TRÉSOR D’ARCHÉOLOGIE # 02

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Texte : Vincent Guichard, Directeur général de l’EPCC Bibracte

Ce « mur gaulois » est désigné comme tel par Jules César dans sa chronique de la guerre des Gaules à l’occasion du siège d’Avaricum (Bourges) qu’il mène au printemps de l’année 52 avant notre ère. Comme le font toujours les observateurs en position d’ethnographes, il ne s’attarde à décrire ce mode de construction des remparts qu’en raison de sa singularité aux yeux d’un Romain habitué aux solides constructions en pierre et mortier de chaux. Cédons-lui la parole :

« Tous les murs gaulois sont faits, en général, de la manière suivante. On pose sur le sol, sans interruption sur toute la longueur du mur, des poutres perpendiculaires à sa direction et séparées par des intervalles égaux de deux pieds. On les relie les unes aux autres dans la fondation, et on les recouvre d’une grande quantité de terre ; le parement est formé de grosses pierres encastrées dans les intervalles dont nous venons de parler. Ce premier rang solidement établi, on élève par-dessus un deuxième rang semblable, en conservant le même intervalle de deux pieds entre les poutres, sans que cependant pour cela elles touchent celles du rang inférieur ; mais elles en sont séparées par un espace de deux pieds aussi, et chaque poutre est ainsi isolée de ses voisines par une pierre, ce qui la fixe solidement. On continue toujours de même jusqu’à ce que le mur ait atteint la hauteur voulue. Ce genre d’ouvrage offre un aspect varié qui n’est pas désagréable à l’œil, avec son alternance de poutres et de pierres, celles-ci n’en formant pas moins des lignes continues qui se coupent à angle droit ; il est, de plus, très pratique et parfaitement adapté à la défense des villes, car la pierre le défend du feu et le bois des ravages du bélier, celui-ci ne pouvant ni briser, ni disjoindre une charpente où les pièces qui forment liaison à l’intérieur ont en général quarante pieds d’un seul tenant. » (De Bello Gallico, VII, 23 ; trad. Constans).

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les agglomérations fortifiées des Gaulois du Ier siècle avant notre ère n’étaient connues que par le témoignage de César : des lieux qu’il était parfois possible de repérer sur une carte, mais dont les caractéristiques topographiques étaient parfaitement ignorées. Cette ignorance explique d’ailleurs que mainte fortification de l’âge du Fer ait été désignée à tort comme « Camp de César », tant on était soucieux de retrouver les traces du passage du général romain.

La reconnaissance des fortifications celtiques de la fin de l’âge du Fer est une des conséquences les plus spectaculaires du développement de l’archéologie, nourrie à la fois par la curiosité scientifique grandissante – à laquelle succomba la bonne société, et même certains de ses princes, comme Napoléon Ill – et par le souci de fonder les nationalismes naissants sur une base historique. C’est ainsi que des fouilles démarrèrent en de nombreux points du continent.

L’honneur revient ainsi à Étienne Castagné, agent voyer (ingénieur en charge des routes), de mettre au jour, en 1867 à Murcens (Lot), un rempart dont la description correspond trait pour trait à celle de César, dans le cadre d’une campagne de recherche officielle destinée à localiser le site de la bataille d’Uxellodunum (51 avant notre ère). Cette découverte constitue une étape décisive dans la connaissance des oppida, ces grandes agglomérations fortifiées qui maillent le territoire celtique au moment de la Guerre des Gaules. Il reviendra à Jacques-Gabriel Bulliot d’effectuer, l’année suivante, la première fouille complète d’une porte d’oppidum à Bibracte.

Au début du XXe siècle, le dossier s’est suffisamment étoffé pour que l’on réalise que Bibracte relève d’un phénomène d’ampleur européenne : ce sont près de 200 oppida qui sont aujourd’hui recensés, de l’Atlantique à la cuvette des Carpates. Bibracte est certainement le plus réputé d’entre eux, parce que c’est un lieu de mémoire fortement attaché à Jules César, qui y acheva la rédaction de ses Chroniques de la Guerre des Gaules, parce que c’est un des lieux fondateurs de l’archéologique celtique, et encore parce qu’on y a développé depuis les années 1980, à l’initiative du ministère de la Culture, un équipement scientifique et culturel original, qui accueille tous les membres de la communauté archéologique européenne intéressés par l’étude du développement urbain celtique de la fin de l’âge du Fer et qui présente au public, grâce au musée de Bibracte et de la mise en valeur du site, la matérialité des vestiges de cette période importante et méconnue de notre histoire qui voit l’Europe moyenne se couvrir d’un réseau urbain et, peu après, une partie de ce territoire englobée dans l’Empire romain.

Fouille d’une section de murus gallicus de l’oppidum de Bibracte sur le mont Beuvray, de part et d’autre d’une poterne ouverte dans le rempart. On note l’empreinte des poutres perpendiculaire au front du rempart. (Fouille O.H. Urban, université de Vienne ; cl. Bibracte / A. Maillier 87066).

Évocation d’une fouille de murus gallicus au musée de Bibracte. (Cl. Bibracte / A. Maillier 122752).