TRÉSOR D’ARCHIVES # 01

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Texte : Éliane Lochot, Directrice honoraire des archives de la ville de Dijon

Une toute petite affiche pour un concert de Mozart
Cette affiche d’un modeste format (22 x 16,5 cm), la moitié du format accoutumé, recèle bien des mystères. L’énoncé en est pourtant simple : Léopold Mozart, qui précise fièrement son titre, maître de musique de la chapelle du prince-évêque de Salzbourg, annonce que le 18 juillet 1766, un grand concert sera donné par son fils Wolfgang, et sa fille Maria-Anna dite Nannerl, en la salle d’audience de l’hôtel de ville de Dijon (aujourd’hui salle de lecture des archives départementales de la Côte-d’Or, 8 rue Jeannin). Il indique que son petit garçon qui a 9 ans (il triche l’enfant a déjà 10 ans et demi) et sa fille 14 ans (elle a 15 ans à la fin du mois de juillet) joueront sur clavecin des pièces de compositeurs célèbres (sans précision) ; par contre les ouvertures, sans doute des sonates, sont des compositions du jeune prodige qui pourra en outre déchiffrer et jouer toute pièce qu’on lui présentera. Ce texte et ce programme sont parfaitement conformes à ceux des annonces de concert donnés par les deux enfants lors de leur voyage, ou plus exactement tournée, dans les différents pays européens traversés depuis 1763. Le public est d’ailleurs informé qu’ils ont rencontré un grand succès à la cour de Versailles, Vienne et Londres.
Les spécialistes n’ont pas manqué de signaler une importante nouveauté dans le déroulement du concert dijonnais : Wolfgang « y chantera un air de sa composition ».  Le concert, public, débute à 20 heures ; le prix d’entrée est fixé à 3 livres, tarif proche de celui pratiqué à la Comédie durant la session des États de Bourgogne. Il permet de sélectionner le public.
Un élément publicitaire est cependant troublant, Léopold se risque à affirmer que le prince de Condé sera présent. Une mise en contexte du texte de cette affiche qui s’avère plus énigmatique qu’il n’y paraît est nécessaire.

Une étape dans un périple européen
Chacun sait que Léopold Mozart a souhaité enrichir la formation de ses enfants en leur faisant découvrir les univers musicaux de plusieurs pays européens. Le 9 juin 1763, la famille Mozart quitte Salzbourg pour un véritable périple européen passant entre autres villes par Liège, Louvain, Bruxelles, Londres, Gand, Rotterdam, La Haye, Amsterdam sans oublier Paris, Versailles ou Lille. Le financement du voyage est assuré par le marchand Lorenz Hagenauer, et par les recettes des concerts donnés par les enfants. En outre la famille reçoit de nombreux cadeaux de valeur (montres, tabatières, bagues…) qui sont mis en vente.
Les Mozart reviennent à Paris en mai 1766 et organisent leur retour à Salzbourg. Les lettres de Léopold à son ami Hagenauer attestent que les questions financières sont toujours prégnantes ; il écrit le 13 juin 1766 « nous ne pourrons pas partir d’ici avant le 6 ou 7 juillet ; mais nous devons absolument partir à cette date à moins de reprendre l’appartement pour quinze jours et de payer par suite à nouveau 3 louis d’or et 3 livres pour quinze jours… ce que je ne ferai pas à moins que quelque chose d’extraordinaire ne nous y force ». Selon Léopold, la famille a finalement quitté Paris le 9 juillet mais nous ignorons le jour de leur arrivée à Dijon, les registres de contrôle des entrées dans la ville sont incomplets pour l’année 1766. La présence de la famille, dont la notoriété demeure alors modeste, n’a pas retenu l’attention des chroniqueurs à la différence des faits et gestes du prince de Condé.

La session des États
Par lettres patentes du 30 juin 1766, le roi Louis XV a fixé l’ouverture de l’assemblée des États de la province de Bourgogne au 14 juillet. Cette assemblée composée de députés du clergé, de la noblesse et des principales villes, est réunie tous les trois ans dans le Palais des États en présence du représentant du roi, le prince de Condé, gouverneur de la province. Le rôle principal de cette assemblée est la désignation des Élus et alcades qui supervisent l’administration de la province puis le vote de l’impôt royal ainsi que sa répartition.
Durant la session des États, le prince de Condé réside au logis du Roi, aujourd’hui l’hôtel de ville. Il y est arrivé le 12 juillet à 19 heures 30 et en repart le 26 juillet à 8 h 30. Durant cette petite quinzaine de jours, la vie mondaine et culturelle est intense. De nombreux spectacles, concerts sont rehaussés par la présence d’artistes ou de musiciens ayant acquis une grande notoriété à Paris. Citons par exemple, le célèbre acteur du Théâtre italien, Joseph Cailleau. C’est dans ce contexte que la famille Mozart fait halte à Dijon comme l’écrit Léopold : « Nous sommes allés de Paris à Dijon en Bourgogne ou nous sommes restés quinze jours. Nous avons fait ce voyage à cause du prince de Condé qui nous a invités. »

Un ou deux concerts ?
Sur le registre de délibérations de la chambre de ville, à une date non consignée mais comprise entre le 16 et le 19 juillet, il est noté que le prince de Condé a émis le souhait d’entendre « un concerto de clavecin par deux jeunes enfants du maître de musique de la chapelle de l’archiduc de Salzbourg ». Aussitôt les échevins ont fait aménager et décorer la salle d’audience, c’est à dire la salle où étaient rendues les décisions de justice relevant de la commune ; estrade au milieu de la salle et fauteuil de velours cramoisi pour accueillir le prince, bancs autour de la pièce pour « les personnes de distinction de sa suite », lustres et girandoles illuminés « en bougie de table », tout est rapidement mis en place. Le secrétaire précise que le prince est arrivé à 20 heures entouré du marquis de la Tour du Pin, commandant militaire de la province, et son épouse, d’Antoine Jean Amelot de Chaillou, l’intendant, et son épouse, ainsi que de plusieurs seigneurs et dames. Il a été reçu par les échevins et en toute simplicité a fait ôter le fauteuil de l’estrade pour s’asseoir « sur les banquettes parmi les dames ». Aucun autre compte rendu n’a été établi dans la presse ou les correspondances privées et nous ignorons à ce jour le programme musical de la soirée. Un mandement, conservé aux archives de la ville de Dijon, fait état des frais de remboursement pour un concert donné le 17 juillet à l’hôtel de ville en présence de son Altesse.
Cette date du 17 juillet est souvent contestée par les spécialistes de Mozart, qui évoquent une erreur de graphie, et fixent la date de ce concert au 16 juillet.
Après ce concert privé, une deuxième prestation, publique et payante cette fois, a-t-elle eu lieu ? Aucune relation ne nous est parvenue, Léopold n’en fait pas non plus mention. Pour l’organisation de cette manifestation, celui-ci aurait toutefois perdu son sens aiguisé de la communication, puisque le délai entre la pose de l’affiche et la tenue de ce concert est particulièrement bref, une journée. Parmi les éléments qui militent en faveur d’un unique concert, il faut également tenir compte de l’emploi du temps du prince qui durant l’après-midi du 18 juillet, préside à partir de 16 heures une longue séance de l’Académie des Sciences de Dijon dont il est le protecteur. En outre, le prince aurait-il assisté à deux concerts successifs ? Léopold ne se serait-il pas trop avancé en déclarant que Condé serait présent à un concert payant ? Cela a-t-il été bien perçu par son altesse ?
Les notes laconiques sur le séjour dijonnais tendent à prouver le dépit de Léopold ; il n’a pas conservé un excellent souvenir de son passage dans la capitale provinciale, si ce n’est de la consommation de bons vins. Il se montre cruel, c’est une habitude, envers les autres musiciens présents à Dijon qu’ils soient venus de Paris ou bien soient membres du Concert dijonnais. Selon Léopold, la famille est restée durant quinze jours à Dijon, dans les faits beaucoup moins ; étonnamment, la famille a en effet quitté la cité, peu après le 18 juillet, une semaine avant la clôture de la session des États puisque leur entrée à la porte de Vaise, au nord de Lyon, est enregistrée le 21 juillet.
Cette affiche, rare témoignage d’un concert de jeunesse des enfants Mozart, était en possession de Pierre Brideau, greffier au tribunal de commerce de Beaune. Après son décès, elle a été donnée en 1957 par ses parents aux archives de la ville de Dijon. Signalons enfin que ce beau document à la graphie harmonieuse est en parfait état de conservation et n’a jamais du être apposé sur un mur ou une porte.

Palais des États et Logis du Roi © Archives de la Ville de Dijon