TRÉSOR D’ARCHIVES # 06

🇫🇷 🇬🇧

Thomas Gainsborough (1727-88)
Lettre à William, 2e comte de Dartmouth [Bath 18 avril 1771]
Gainsborough’s House, Sudbury. 1973.002
L’acquisition de ce document a été rendu possible par la générosité de donateurs, ainsi que par une subvention du Victoria and Albert Museum Purchase Grant Fund, en juillet 1973.
© Gainsborough’s House, Sudbury

https://gainsborough.zetcom.net/en/collection/item/545/

Note : 5 sur 5.

Texte : Mahaut de La Motte-Broöns, assistante de conservation, Gainsborough’s House.

Ce document est l’une des trois lettres adressées par Thomas Gainsborough à William, deuxième comte de Dartmouth, et écrites à cinq jours d’intervalle en avril 1771. Gainsborough a déjà réalisé des portraits de Dartmouth et de sa femme en 1769. Il semble que lady Dartmouth ait demandé à se faire représenter en costumes de fantaisie [in a « fancied Dress »]. Gainsborough estime que de telles « absurdités poétiques » [« Poetical impossibilities »] pourraient compromettre la ressemblance de ses portraits et n’aime donc pas peindre des tableaux de ce type.
Derrière la frustration évidente de Gainsborough par rapport à son modèle et à son client, cette lettre fait allusion à sa rivalité avec sir Joshua Reynolds. Ce dernier a été fait chevalier en 1769 et ses portraits de modèle en costume « van Dyke » étaient très à la mode.

Note : 5 sur 5.

Un essai de traduction du texte en français
par Thomas Ménard, avec le soutien de Monique Petitjean

Bath
18 avril
Mon Seigneur,
Nous y voilà. Il n’y a rien de plus absurde que la sotte habitude de ces peintres qui habillent les gens comme des scaramouches et s’attendent à ce qu’on les reconnaisse. Si un portrait avait une parole, des gestes, etc., pour se faire reconnaître, comme les acteurs sur une scène, aucun déguisement ne suffirait à effacer le modèle. Mais avec uniquement un visage, vu sous un seul angle, et sans aucun muscle capable de bouger pour dire « c’est moi », notre pauvre peintre est peut-être à mille lieux de la vérité en peignant ce visage.
Je suis certain que Votre Seigneurie a été sensible aux effets du déguisement jusqu’à présent, mais je mets au défi tout peintre doté d’une certaine sagacité (et vous voyez que je le suis, mon Seigneur) d’être bien conscient des différents effets qu’une partie d’un tableau peut avoir sur une autre partie et que l’œil peut être trompé, par exemple à propos de la représentation de la taille, etc., par une gestion astucieuse des accessoires. Un son trop grave peut semer la confusion dans une mélodie, de telle sorte qu’elle deviendra un fouillis d’absurdités, même si elle était simple et pleine de sens au départ. De la même manière, un joli visage peut être gâché par un faisceau d’artifices tiré de l’imagination d’un peintre idiot.
En ce qui me concerne, cependant, Votre Seigneurie suspectera peut-être mon génie d’être trompeur. Mais j’ai un tel respect pour la vérité que j’ai autant de considération pour la plus belle des inventions que pour un simple esclave. Je crois que je resterai un être ignorant jusqu’à la fin de mes jours, parce que je n’aurai jamais la patience d’apprendre ces absurdités poétiques qui nourrissent un peintre, notamment s’il a l’intention d’être fait chevalier dans ce pays de rosbif, où même les gens sérieux aiment tant boire une petite mousse.  
Mais je m’égare mon Seigneur ! Je ne fais qu’exprimer ma libre opinion devant témoin.
Pardonnez-moi mon Seigneur, mais je ne suis au mieux qu’une oie sauvage. Tout ce que je veux dire, c’est que le portrait de lady Dartmouth sera plus ressemblant et moins imposant si elle s’habille correctement. Et si ce n’est pas le cas, j’en ferais un autre. Tout va bien se passer.
Je suis de votre Seigneurie le plus obéissant serviteur.
Tho Gainsborough