BALADE À LONDRES # 40

… où il est question de marécages et de tas d’os, de baptistes et de puritain, de Robinson mais pas de Tess.

Si vous passez par Moorgate et que vous avez un moment à perdre, arrêtez-vous à Bunhill Fields.

C’est un ancien cimetière, véritable havre de paix en plein cœur de la capitale, aux portes de la Cité de Londres.

L’origine de ce nom est assez macabre. Cela viendrait de Bone Hill, c’est-à-dire la colline des os ! En 1549, en effet, l’ossuaire de la cathédrale Saint-Paul est démoli et des monceaux de reliques humaines doivent être relogés (l’équivalent d’un millier de charriots). Les autorités prennent la décision de les empiler dans Moorfields et de les recouvrir d’une couche de terre. Bone Hill, ou Bunhill, est née.
Puis, en 1665, la Corporation de la Cité de Londres (c’est-à-dire le gouvernement de la ville) décide d’y inhumer des personnes tuées par la grande épidémie de peste qui sévit en ville (l’un des effets bénéfiques du Grand incendie, l’année suivante, est de débarrasser la ville des rats qui répandent la maladie). C’est alors que la Corporation prend une décision essentielle pour la suite de l’histoire : le site est loué à un particulier, Monsieur Tindal, qui est autorisé à l’utiliser comme lieu de sépulture. Bunhill Fields devient donc un cimetière privé. Il est entouré d’un mur, mais n’a jamais été consacré par l’Eglise d’Angleterre, si bien que n’importe qui peut s’y faire inhumer, dès lors qu’il a les moyens de payer sa sépulture. C’est ainsi que le cimetière de Moorfields devient un lieu « à la mode » pour ceux qu’on appelle les Dissenters, les « dissidents » ou « non-conformistes », c’est-à-dire les protestants qui ne se reconnaissent pas dans l’Eglise d’Angleterre. Ce n’est sans doute pas un hasard si John Welsey, fondateur du méthodisme, installe son église de l’autre côté de la rue.
Finalement, la Cité de Londres reprend la gestion du site en 1791 et prend la décision, en décembre 1853, de fermer le cimetière, en vertu du Burial Act de 1852 qui stipule qu’un cimetière plein doit être fermé. La dernière inhumation se déroule le 5 janvier 1854, celle d’une certaine Elizabeth Howell Oliver. Toutefois, quelques personnes supplémentaires y sont enterrées dans les années suivantes, puisque cela est encore possible dans les caveaux familiaux. La dernière semble avoir été Madame Gabriel, de Brixton, en février 1860.
Pour éviter que le site ne soit repris par la Commission ecclésiastique, qui est propriétaire du lieu et souhaite y construire des bâtiments, le Parlement passe une loi en 1867, le Bunhill Fields Burial Ground Act 1867. Deux ans plus tard, le 14 octobre 1869, le lord maire de la Cité de Londres inaugure un nouveau parc public dans ce lieu hors du temps (photographie de gauche).