L’analyze des échecs, par A. D. Philidor
Bibliothèque municipale de Belfort
Belfort, France
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Figure 1 : L’analyze des échecs, Philidor, édition originale FM MAN 1500,
© Bibliothèque municipale de Belfort.
Texte : Clémence Tariol, Responsable du pôle Patrimoine, Presse et Numérique, Bibliothèque municipale de Belfort
Célébré comme l’un des pères de l’opéra comique [1], musicien et compositeur brillant, François André Danican Philidor (1726-1795) est également un illustre joueur d’échec fréquentant assidument le café de la Régence, haut lieu de ce jeu.
Lors d’un voyage à Londres en 1747, il joue contre Philippe Stamma (v. 1705-1755), réputé comme étant l’un des meilleurs joueurs d’Europe. La victoire d’André Danican Philidor le consacre comme un joueur d’exception. À la suite de cet évènement, il publie ses réflexions sur le jeu dans un traité s’intitulant L’analyze des echecs édité à Londres en 1749. Le livre est publié grâce à la participation de 127 souscripteurs, il est tiré à peu d’exemplaires, moins de 400. Il connaît néanmoins un succès retentissant. Le choix d’éditer le livre à Londres pourrait s’expliquer par la forte dominance de souscripteurs anglais.
Cet ouvrage permet de découvrir le génie du maître. Philidor n’est pas le premier à donner des règles générales, il s’inscrit dans la continuité de Greco (1600-1634) et de Ruy López de Segura (1530-1580). Ces deux auteurs sont par ailleurs présents dans la collection Mennerat [2]. L’une des nouveautés proposées par Philidor est l’inversion du rapport entre les pièces nobles, roi, dame, fou, tour et les pions. Dans la pensée de Danican Philidor, ce sont les pièces nobles qui doivent soutenir les pions ce qui prend le contre-pied de la pensée des échecs défendue par Stamma.
La bibliothèque municipale de Belfort possède de nombreux exemplaires de cet ouvrage provenant du don de la collection Jean Mennerat dont un exemplaire de l’édition originale (cote FM MAN 1500, voir figure 1) et deux copies pirates [3]. La faible production de l’édition originale a conduit au foisonnement des émissions pirates de l’ouvrage afin de répondre à la demande du lectorat.
Les exemplaires de l’édition originale se distinguent par certaines caractéristiques. Ils s’ouvrent sur une dédicace au duc de Cumberland, 3e fils de Georges II. L’édition princeps se distingue notamment par un errata collé à la fin de l’ouvrage. Celui-ci corrige une erreur à la page 118. D’autres particularités sont présentes dans le texte. La page de titre contient une faute grammaticale dans la citation latine de Vida. On peut lire effectivement : « Ludimus Effigie Belli. » au lieu de « Ludimus Effigiem Belli ». Effigie est alors à l’ablatif singulier au lieu de l’accusatif. Nous pouvons traduire littéralement le vers ainsi : « Nous jouons à l’image de la guerre ».
Dans les deux éditions pirates, FM MAN 1501 et FM MAN 1499, les pages sont recomposées, elles sont donc toutes différentes de l’originale. Puisqu’il s’agit de copie l’imprimeur qui a souhaité republier le document a dû recomposer la forme, c’est-à-dire la disposition des caractères typographiques et des ornementations. Ne disposant pas du même matériel, les caractères sont agencés différemment sur les pages. L’exemplaire FM MAN 1501 est une réédition de l’édition pirate avec de nombreuses erreurs typographiques par exemple au niveau des accents. D’autre part on remarque que les lettres sont différentes, un autre jeu de caractère typographiques a été utilisé (voir figure 2). Ces deux éditions pirates, publiées la même année que l’original, soulignent l’engouement pour le livre.


Figure 2 : À gauche, L’analyze des échecs, Philidor, édition originale FM MAN 1500, © Bibliothèque municipale de Belfort ; à droite, L’analyze des échecs, Philidor, édition pirate FM MAN 1501, © Bibliothèque municipale de Belfort.
La collection Mennerat
Ces trois exemplaires que nous venons d’évoquer proviennent d’une seule et même collection, le fonds Mennerat, légué à la ville de Belfort en 2008. Jean Mennerat, médecin passionné par les échecs, a rassemblé tout au long de son existence près de 20 000 ouvrages et 6 000 exemplaires de revues. Il a accompli un travail de collecte et de catalogage important, rédigeant des notes listant les différences entre les mêmes exemplaires d’un même ouvrage – c’est le cas pour L’analyze des échecs (voir figure 3).
La collection est l’une des quatre plus importantes au monde sur les échecs. Aussi, afin d’éviter que cet ensemble ne soit dispersé, Jean Mennerat a préféré le confier à une bibliothèque publique. Grâce à l’entremise de Jean-Paul Touzé, président de Belfort-Echecs, la bibliothèque municipale de Belfort s’est vu confier la garde de ce trésor qui, selon la volonté du donateur, est accessible sur demande et consultable sur place (sur rendez-vous).

Figure 3 : Lettres manuscrites identifiant les éditions du traité de Philidor
© Bibliothèque municipale de Belfort.
[1] L’opéra comique, à ne pas confondre avec l’institution l’Opéra-Comique, est un genre musical alternant des parties chantées et des dialogues parlés. La tonalité n’est pas forcément comique les thématiques traitées sont principalement des sujets d’actualité ou de la vie quotidienne.
[2] La bibliothèque municipale conserve notamment un exemplaire de la première édition italienne parue en 1584 du traité de Lopez (cote FM MAN 1184). Nous conservons également une édition in-12 en français de 1674 (cote FM MAN 1185), publiée à Paris par Antoine de Rafflé reliée en parchemin et comportant une note manuscrite de propriétaire au XVIIIe siècle.
[3] Le fonds Mennerat rassemble 31 exemplaires différents de ce traité.
