TRÉSOR DE BIBLIOTHÈQUES # 06

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Nicolai Copernici Torinensis de revolutionibus orbium coelestium, Libri VI, 1543
© Ville de Vienne

Note : 5 sur 5.

Texte : Bruno Mayorgas, responsable du fonds patrimonial, Médiathèque de Vienne.

Le De Revolutionibus Obium Coelestium… [De la révolution des orbes (sphères) célestes…] est un traité d’astronomie et le livre le plus célèbre de Nicolas Copernic (1473-1543). C’est sans doute le plus prestigieux livre imprimé possédé, dans sa première édition, par la Médiathèque de Vienne (Isère).

Cet ouvrage démontre, par des observations astronomiques et par des calculs, que les systèmes de représentation de l’univers proposés jusqu’alors ne sont pas satisfaisants et contiennent des contradictions. Le système défendu par Copernic est héliocentrique : la Terre n’est pas au centre de l’univers, mais elle tourne autour du soleil avec d’autres planètes. Le livre contient des tableaux de relevés de position des astres, des calculs et une illustration qui permet de résumer sa théorie. Regardons de plus près cette gravure : elle représente, au centre, le soleil (« Sol. »), ensuite Mercure (« Mercury »), Vénus, la Terre avec la Lune (« Terra cum orbe lunari »), Mars (« Martis »), Jupiter (« Jovis ») puis, tout autour, des étoiles immobiles (« stellarum fixarum spahera immobilis »).

La publication de Copernic crée une onde de choc à laquelle l’auteur n’a pas pu assister, puisqu’il est mort l’année de la parution de son livre. Ce bouleversement a mis du temps à s’installer : les conséquences de cette publication, qui remet en question la pensée scientifique, se mesurent sur plusieurs générations. Les travaux de Copernic sont discutés, disséqués et controversés en son temps. Si la communauté scientifique est tout d’abord réticente, c’est surtout l’Église qui est un frein à l’approbation de la théorie copernicienne. Il y a deux raisons à cela. La première est que, du temps de Copernic, science et religion sont intimement liées et que c’est justement l’Église qui, si l’on peut dire, contrôle les pensées. La deuxième est d’ordre théologique : la représentation héliocentrique entre en contradiction avec les Écritures saintes ; elle détrône l’homme et la Terre au centre de toute chose. Il faudra plusieurs siècles avant que la théorie de l’héliocentrisme ne soit acceptée et, de Galilée à Kepler, devienne le fondement de l’astronomie moderne.

L’exemplaire du De Revolutionibus… est entré dans les collections viennoises à une date inconnue. Les archives révèlent cependant qu’il figure dans un inventaire de la bibliothèque datant de 1839. Il est peut-être issu des confiscations révolutionnaires qui, partout en France, ont permis de constituer des bibliothèques publiques. Cette entrée dans les années 1830 fait de ce livre un rescapé, puisque la bibliothèque, alors installée dans l’Hôtel de Ville, a presque entièrement brulé en 1854.
L’œuvre conservée à Vienne est très rare. Il s’agit de la première édition publiée à Nuremberg chez Johann Petreius, en 1543. C’est un format in-quarto (270 x 191 mm) relié de vélin. Ce type de reliure, relativement simple mais solide, était destiné aux exemplaires voués à l’étude. La reliure a subi le poids des siècles : on remarque des traces de lacets qui servaient à fermer le volume pour éviter sa dégradation. Sur le dos ont été inscrits, à la plume, le titre et l’auteur. Compte tenu de l’état des matériaux, on peut raisonnablement penser que le livre est « dans son jus », c’est-à-dire qu’il s’agit de la reliure d’origine. Le vélin qui recouvre le dos est endommagé, mais le papier sur lequel on a imprimé le texte est en très bon état. Le livre n’a pas été massicoté, le texte ayant conservé de larges marges. Celui-ci est parfois enrichi d’initiales gravées sur bois et de diagrammes. Il contient la fameuse gravure représentant le système héliocentrique défendu par Copernic, qui est le cœur de l’ouvrage.

Plusieurs caractéristiques font de l’exemplaire viennois une rareté. Il est issu de la première édition, dont le tirage a été estimé à 500 exemplaires. Le De Revolutionibus… de Vienne fait partie des 20% qui possédaient un feuillet d’errata : à l’époque de son impression, il était déjà relativement rare. 500 ans plus tard, il l’est d’autant plus qu’il fait partie des 260 exemplaires connus dans le monde et recensés par le professeur Owen Gingerich, un éminent spécialiste des travaux de Copernic. Gingerich a vu l’exemplaire de Vienne dans les années 1970. Voici le passage qu’il a consacré à sa visite dans son ouvrage Le livre que nul l’avait lu : à la poursuite du De Revolutionibus de Copernic : « … notre destination était la bibliothèque municipale qui se trouva être de la taille d’une boîte d’allumettes […] Une fois le De Revolutionibus entre les mains dans la bibliothèque, je voulais vraiment photographier la page de titre avec mon Nikon. En l’absence de lumière adéquate, le bibliothécaire m’a suggéré de simplement sortir avec le livre et d’aller dans le square en face de la bibliothèque. J’ai toujours regretté de ne pas avoir demandé à Miriam de prendre un instantané de Jerzy et moi en train d’examiner le livre sur les marches de l’entrée de la bibliothèque municipale de Vienne… ».
Si Owen Gingerich, dans sa tournée de recensement des exemplaires du De Revolutionibus… conservés en Europe, se déplace jusqu’à Vienne et veut absolument photographier l’exemplaire de la bibliothèque municipale, c’est parce que le livre contient un détail qui le rend unique au monde. Le professeur Gingerich sait qu’il possède un ex-libris directement lié à l’histoire de ce livre. Il s’agit de la signature de Pontus de Tyard, que l’on lit très bien sur la page de titre.

Pontus de Tyard (1521-1605) était un prélat et un homme de lettres français (il fait partie des fondateurs du mouvement littéraire de la Pléiade), qui a vécu à la même époque que Nicolas Copernic. L’ouvrage provient de sa bibliothèque, qui se trouvait dans son château de Bissy (actuellement Bissy-sur-Fley, en Saône-et-Loire). Sur la page de titre du livre, outre son ex-libris, on remarque une mention manuscrite qui est peut-être un numéro de registre ou de classement lié à l’organisation de la bibliothèque de Pontus de Tyard. De plus, des notes marginales se trouvent dans plusieurs pages du livre. Il s’agit de corrections et de remarques : le possesseur du livre l’a étudié avec intérêt. Une expertise récente indique qu’elles sont probablement de la main de Pontus de Tyard.

Pourquoi l’ex-libris de cet homme et ses notes sont-ils si importants par rapport à l’œuvre de Copernic ? Replaçons la parution du De Revolutionibus… dans son contexte : l’œuvre a fait scandale, surtout au sein de l’Église, à cause des controverses qu’elle a soulevées. Le fait qu’un prélat comme Pontus de Tyard (il était évêque de Chalon) possède ce traité jugé « dangereux » par l’Église, même si du vivant de Pontus il n’était pas encore mis à l’index (il le sera en 1618), est tout un symbole. Pontus de Tyard était avant tout un humaniste, passionné de sciences et de littérature. Dans un ouvrage intitulé Discours philosophiques qu’il avait publié en 1557, il évoque les travaux de Copernic en utilisant des propos bienveillants : il indique que sa théorie mérite d’être considérée, permettant ainsi la diffusion des travaux de l’astronome polonais. Pontus de Tyard, en tant que vulgarisateur, a été un acteur important dans la diffusion de la théorie copernicienne. C’est son De Revolutionibus qui se trouve dans la collection patrimoniale de la Médiathèque de Vienne : cette particularité fait de cet exemplaire un objet incomparable et unique au monde.