Camden Place
Chislehurst, Royaume-Uni
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Façade d’entrée de Camden Place © Chislehurst Golf Club
[NDLR] : Camden Place est le siège du Chislehurst Golf Club depuis 1894.
Une « balade à Londres » est également consacrée à Camden Place, dans le menu « Dossiers ».
Textes : Angela Hatton, Camden Place House and Heritage Committee.
Traduction et adaptation : Thomas Ménard
À environ 20 kilomètres du centre-ville de Londres, nichée dans un coin de Chislehurst, une grande demeure présente un lien fort et assez surprenant avec l’histoire européenne. Ce bâtiment classé [Grade II* listed selon le système de classement britannique] fut la dernière demeure de l’empereur Napoléon III et de son fils, le Prince Impérial, celui qui était né pour devenir le futur Napoléon IV. Après leur décès, la possibilité d’un retour des Bonaparte et de l’établissement d’un Troisième empire en France s’est envolée. Napoléon, qui est à la fois le premier président élu de la République française et son dernier empereur, est mort sans avoir abdiqué et son certificat de décès, dont Camden Place conserve une copie, indique comme profession « Empereur des Français ». [« Emperor of the French« ].
L’histoire de Camden Place débute au XVIIe siècle, lorsque l’antiquaire [dans le sens d’historien ou archéologue : « celui qui s’adonnait à l’étude des antiquités », voir par exemple la Société des Antiquaires de France ou la Society of Antiquaries of London) William Camden se fit construire une maison sur le site. En 1717, son nom fut conservé pour la nouvelle demeure construite sur le site actuel de Camden Place : le nom de Camden House permettait de faire le lien avec ce fameux érudit de l’époque élisabéthaine, inhumé à l’abbaye de Westminster [voir le site de Westminster Abbey]. La maison fut ensuite achetée, en 1760, par Charles Pratt, un avocat et politicien de tendance radicale, qui sera Lord Chancelier. Il prit le nom de lord Camden de Camden Place, ce qui fut à l’époque considéré comme un outrage : c’était la première fois qu’une personne anoblie prenait le nom d’un autre. Lord Camden fit appel aux architectes George Dance et James « Athenian » Stuart, afin de transformer la vieille maison de campagne en un manoir de style géorgien. Lord Camden était un partisan du droit des colons américains à ne pas être soumis à l’impôt s’ils n’étaient pas représentés au Parlement. En conséquence, quelques 32 villes et villages prirent le nom de Camden en Amérique. Globalement, de Camden Town au nord de Londres à Camden en Nouvelle-Zélande, ce sont plus de 50 lieux qui sont reliés à la demeure de Chislehurst.
Au début des années 1860, la demeure fut achetée par Nathaniel Strode pour la somme de 30.000 livres sterling. Vers 1870, le manoir géorgien avait été transformé en un véritable château français, digne d’accueillir des résidents impériaux. Mais la raison pour laquelle la Cour de France a échoué à Chislehurst est toujours un sujet de débat. La Grande-Bretagne a toujours été une terre d’accueil pour les exilés politiques français. La profonde amitié de la famille impériale avec la reine Victoria n’a fait que rendre cet accueil encore plus naturelle. Ce devait être la troisième période d’exil de Napoléon en Angleterre. Il connaissait donc bien le pays. Il était également très conscient de la volatilité politique en France et la sagesse pourrait l’avoir poussé à préparer un terrain de repli en cas de nécessité. Il semblerait qu’il ait visité Camden Place pendant l’une de ses premières périodes d’exil. Il est également certain qu’il a connu une romance avec une jeune femme née dans la demeure en 1823, Emily Rowles. Par ailleurs, Strode a connu le jeune Louis Napoléon pendant son deuxième exil dans les années 1840. Il était l’un des protecteurs de l’actrice Harriette Howard, qui devint la maîtresse du prince. Elle finança ses activités politiques et l’aida ainsi à être élu Président de la République. Elle le suivi à Paris et s’installa aux environs du palais de l’Élysée. Elle y éleva deux des onze enfants illégitimes supposés de Napoléon. Entre 1860 et 1862, Strode reçut environ 900.000 francs de la Liste civile française. La maison fut considérablement améliorée… bien plus que ce qu’on pouvait attendre d’une propriété de cette taille. Des œuvres d’art françaises et flamandes décoraient la maison, le portail principal provenait de l’Exposition universelle de 1867 à Paris et la salle à manger de la nouvelle aile fut décorée de boiseries du château de Bercy.
Camden Place fut offert à l’impératrice aussitôt qu’elle arriva en Angleterre avec le Prince impérial. Ce n’était pas seulement la résidence d’une famille de réfugiés, mais le centre de la Cour de France en exil. Partisans, amis et domestiques prirent le chemin de Chislehurst. Le drapeau français flottait sur la maison. En mars 1871, l’empereur Napoléon III fut libéré par les Allemands et rejoignit sa famille. De nombreux visiteurs arrivaient à la gare de Chislehurst et montaient le chemin jusqu’à Camden Place : parmi eux, la reine Victoria, des politiciens de premier plan, des prélats… Il y avait également des espions qui surveillaient la maison depuis un moulin du village, tandis qu’on y réfléchissait à des plans pour le retour des Bonaparte en France. Mais Napoléon était un homme malade, souffrant de calculs urinaires extrêmement douloureux. Le Prince impérial n’était pas encore en âge de régner et on opta pour une stratégie d’attente. Pendant ce temps, le garçon acheva sa formation à l’académie royale militaire de Woolwich. Il était plutôt bon élève et termina septième de sa classe.
Napoléon s’éteignit à Camden Place le 9 janvier 1873, à la suite d’une opération de ses calculs, à peine deux ans après sa libération. Il était devenu prisonnier de guerre, lors de la défaite de la France dans sa guerre contre la Prusse. Le Prince Impérial, son unique fils légitime, mourut six ans plus tard, le 1er juin 1879, en portant l’uniforme britannique, alors qu’il était observateur pendant la guerre contre les Zoulous, en Afrique du Sud. Les deux cérémonies de funérailles se tinrent à Chislehurst, réunissant des dizaines de milliers de Français et de Britanniques. Certains évoquent même le chiffre de 200.000. Les deux hommes furent inhumés dans la petite église catholique Sainte-Marie. L’impératrice Eugénie ne parvint pas à acquérir suffisamment de terrain pour faire construire un mausolée sur place. Elle partit donc en 1881 pour Farnborough, où elle fit édifier un monastère. Les dépouilles impériales y furent transférées en 1889.

Façade arrière de Camden Place © Chislehurst Golf Club

Vestibule d’entrée de Camden Place © Chislehurst Golf Club

Salon ovale de Camden Place © Chislehurst Golf Club

Folie de James « Athenian » Stuart dans le parc de Camden Place © Chislehurst Golf Club
Le buste de l’impératrice Eugénie

Buste de l’impératrice Eugénie à Camden Place © Chislehurst Golf Club
Le buste de l’impératrice est présenté au pied du magnifique escalier de Camden Place. Il est l’œuvre de Samuel Adam-Salomon (9 janvier 1818 – 28 avril 1881). L’impératrice était sans doute l’une des femmes les plus puissantes d’Europe. Même sa chère amie, la reine Victoria, devait s’entendre avec son Parlement. Après la naissance de son fils unique, le Prince impérial, elle fut nommée régente à chaque fois que Napoléon était absent. Ainsi, après la défaite infligée par les armées de Bismarck à Sedan, c’est Eugénie qui supervisa les négociations. Eugénie de Montijo était née dans une famille noble espagnole. Cette fougueuse rousse, d’une grande beauté, était une fervente catholique et dotée d’une profonde intelligence. Partisane des droits des femmes, elle était activement impliquée dans les mesures sociales destinées à moderniser la France du Second Empire. L’extravagance de la Cour était souvent critiquée, mais elle fut l’un des éléments qui permirent à la France et à la mode française de gagner en réputation et de rayonner davantage.

Détail du grand escalier de Camden Place, avec le buste de l’impératrice. © Chislehurst Golf Club
Les boiseries de la salle à manger

L’ancienne salle à manger de Camden Place et ses boiseries © Chislehurst Golf Club
Les boiseries de la salle à manger proviennent du château de Bercy. Situé aux limites de Paris [à Charenton-le-Pont], il avait été édifié en 1658 par François Le Vau pour Charles-Henri Ier de Malon de Bercy. Son successeur, Charles-Henri II de Malon de Bercy fut surintendant des finances. En 1713-1714, il engagea des sculpteurs qui travaillaient pour le roi, afin de moderniser le décor de son château. Malheureusement, l’urbanisation et le développement des chemins de fer entraîna sa démolition en 1860, ce qui provoqua un véritable scandale. Le décor de ses salons était en effet considéré comme de grande valeur. On entreprit donc de faire des relevés des décors et de conserver des archives de leur dispersion. Le transfert des boiseries de la salle à manger de Camden Place depuis la France jusqu’à Chislehurst est donc bien documenté. Dès avant la démantèlement, la famille de Nicolaÿ [derniers propriétaires du château], avait demandé à l’architecte Joseph-Antoine Froelicher de constituer un recueil d’aquarelles représentant chacun des salons. Finalement, en 1861, à l’occasion d’une série de ventes, l’ensemble du mobilier et des décors fut vendu. Les boiseries du Grand cabinet du premier étage furent rachetés par le marquis de Hertford pour la somme de 12.000 francs. Quant à l’impératrice Eugénie, elle acheta quatre fois plus cher les boiseries d’un salon du rez-de-chaussée, pour les offrir à sa sœur. Les boiseries acquises par Hertford incluaient quatre dessus-de-portes peints par François Desportes. Ces tableaux enrichirent la riche collection du marquis consacrée à l’art français du XVIIIe siècle, tandis que les panneaux semblent avoir été vendu à Nathaniel Strode vers 1862. Celui-ci fit installer les boiseries dans la salle à manger de Camden Place. Les peintures sont aujourd’hui conservées au Musée de la Chasse et de la Nature, à Paris [voir la page qui leur est consacrée sur le site du musée].
Le monument du Prince impérial

Le monument du Prince impérial, Prince Imperial Road, Chislehurst
© Thomas Ménard, cette photographie et les suivantes
« Alors que la mémoire du troisième Napoléon est implicitement présente dans les splendides boulevards et avenue du Paris d’aujourd’hui, ainsi que dans l’architecture de la majeure partie de la ville, ce n’est qu’une modeste route secondaire, dans une banlieue arborée de Londres, qui commémore le jeune homme qui aurait devenir le quatrième ». John Bierman, Napoleon III and his Carnival Empire.
Deux monuments en mémoire du Prince impérial ont été érigés à Chislehurst. Le « Prince Imperial monument », sur le terrain qui fait face à Camden Place, a été dressé en 1818, d’après un projet d’Edward Ribson. Il s’agit d’une immense croix celtique sur laquelle sont inscrits : d’un côté « Napoléon Eugène Louis Jean Joseph, Prince impérial, tué au Zululand le 1er juin 1879 » [Napoleon Eugène Louis Jean Joseph Prince Imperial killed in Zululand 1st June 1879] et de l’autre un extrait de son testament et de ses dernières volontés : « Je mourrai avec un sentiment de profonde gratitude envers Sa Majesté la reine d’Angleterre et l’ensemble de la famille royale, et envers le pays qui m’a accordé sa cordiale hospitalité pendant huit ans [‘I shall die with a sentiment of profound gratitude to Her Majesty the Queen of England and all the Royal Family, and for the country where I have received for eight years such cordial hospitality‘], ainsi que « En mémoire du Prince impérial et dans la douleur de sa mort, cette croix a été élevée par les habitants de Chislehurst en 1880 » [‘In memory of the Prince Imperial and in sorrow at his death, this cross is erected by the dwellers of Chislehurst 1880’]. Ce mémorial a été financé par une souscription publique.
Le second monument se trouve dans l’église catholique Sainte-Marie, sur Crown Lane. C’est une effigie du prince en uniforme militaire, ornée des violettes et des abeilles dorées des Bonaparte.



