TRÉSORS DE DEMEURES # 07

🇫🇷

Château de La Motte-Tilly, façade sur cour, 2019
© Yann Monel / Centre des monuments nationaux (YMW19-0036)

Note : 5 sur 5.

Textes : l’équipe du château de La Motte-Tilly (Centre des monuments nationaux).
Merci à Anton Roiné, administrateur adjoint.
Contribution publiée le 5 mai 2025.

Édifié pour un ministre de Louis XV puis sublimé au XXe siècle par sa dernière propriétaire Aliette, marquise de Maillé, le château de La Motte-Tilly offre aux promeneurs un rêve d’harmonie et de symétrie. Il témoigne des changements et des progrès des 268 dernières années. Niché dans une boucle de la Seine, le domaine de La Motte-Tilly respire la quiétude et la douceur de vivre. La chaude lumière champenoise, des arcades aux faux-airs d’Italie, les alignements de tilleuls, un miroir d’eau sans ride et un horizon sans construction, inspirent au visiteur des impressions d’ailleurs et la sensation d’un temps suspendu.

La première mention de la Motte-Tilly date du XIVe siècle avec la présence d’un donjon médiéval au bord de la Seine. François-Nicolas Lancret décide de le faire détruire et d’ériger le château actuel sur les hauteurs du domaine en 1754. La maison de plaisance qu’est le château de La Motte-Tilly fait partie du type d’habitation du courtisan, qui a pour ambition de se faire remarquer. Après la Révolution, Claude-Hippolyte Terray, revenant de l’étranger où son père l’avait envoyé pour fuir les tensions politiques, fait raser quelques bâtiments des communs, ainsi que le théâtre. Il s’attache également à redonner au domaine sa dignité, notamment à travers le remeublement complet du château. En 1823, il installe dans la maison du jardinier une école où les religieuses assurent, jusqu’en 1905, l’éducation des enfants du village de La Motte-Tilly, ainsi que des communes voisines.

Deux générations plus tard, le domaine est légué à la fille aînée de Charles Louis Terray, la vicomtesse de Narcillac. Elle le vend en 1910 à son neveu, le comte Guy de Rohan-Chabot. Ce dernier et son épouse, Cécile Aubry-Vitet, entreprennent de grands travaux. Ils reconstituent une partie du domaine d’après les plans de l’architecte Lancret. La famille de Rohan-Chabot y séjourne en été et à l’automne, pour la chasse. Le comte et la comtesse remeublent l’intérieur du château avec de nombreux meubles et objets provenant de plusieurs résidences de famille et effectuent des achats chez des antiquaires. Au premier étage, toutes les chambres sont équipées de leurs propres salles de bain. Le comte ouvre le grand corridor et le transforme en galerie des ancêtres, avec 12 portraits, dont celui de son fils, mort au champ d’honneur en juillet 1918.

L’unique héritière du comte, Aliette, marquise de Maillé, poursuit l’œuvre de ses parents et donne au domaine et à son château le visage que vous pouvez découvrir de nos jours.

Château de La Motte-Tilly, façade sur jardin au coucher du soleil, 2020
© Yann Monel / Centre des monuments nationaux (YMW20-0072)


Château de La Motte-Tilly, salon bleu, 2019
© Emeline Vanderhaegen-Napieraj / Centre des monuments nationaux

Château de La Motte-Tilly, salle à manger, 2019
© Emeline Vanderhaegen-Napieraj / Centre des monuments nationaux

Château de La Motte-Tilly, chambre du comte de Rohan-Chabot, 2013
© Emeline Vanderhaegen-Napieraj / Centre des monuments nationaux

Note : 5 sur 5.

Une table de billard du premier tiers du XIXe siècle

Château de La Motte-Tilly, salle de billard, 2019, YMW19-0060.
© Emeline Vanderhaegen-Napieraj / Centre des monuments nationaux

Cette table de jeu monumentale date du XIXe siècle et a été réalisée par un ébéniste parisien du nom de Descayrac. Elle reçoit une mention honorable en 1839 lors de l’Exposition des produits de l’industrie, pour la finesse de sa marqueterie. Le billard est composé d’un fond en palissandre de Rio, une essence utilisée également pour certains instruments de musique, et d’un mélange de bois de rose, de violette, de citronnier et de sycomore. Notre œil est vite attiré par les médaillons en bois teinté qui représentent différents personnages dont les signes du zodiaque. Le comte de Rohan-Chabot l’achète en 1910 et l’installe dans son château de La Motte-Tilly. Des queues incrustées d’ivoire et un boulier pour compter les points complètent le billard. 
En 2020, l’association des Amis du château de La Motte-Tilly dépense 10 000 € pour sa restauration. Cette lourde et minutieuse tâche est confiée à l’atelier Jean-Marc Darde, ébéniste à Provins. Lors de son travail, ses collaborateurs et lui-même découvrent qu’à l’origine il s’agissait d’un billard américain possédant six poches. Il sera transformé en 1850 pour en faire un billard « à la française ». L’atelier a utilisé de la colle animale pour combler les fissures à l’aide d’une seringue. Les morceaux de bois manquants ont été remplacés par les mêmes essences, citronnier et sycomore en grande majorité. Une couche de vernis a été apposée pour parachever la restauration. 
De nos jours, le jeu le plus connu est le billard américain. Les joueurs ont 16 boules, dont 15 numérotées et 1 blanche. Le but est de mettre les boules numérotées dans les 6 poches et de compter les points réalisés. Le gagnant est celui qui totalise le plus grand nombre de point après que toutes les boules ont disparues de la table. Le billard français, ou billard carambole, se joue avec 3 boules : une rouge et deux blanches. La table ne possède pas de poches. Les deux joueurs doivent percuter les deux blanches avec leur boule rouge. Les points sont comptabilisés sur le boulier.

Note : 5 sur 5.

Saint Jérôme au désert

Château de La Motte-Tilly, Saint Jérôme au désert
© David Bordes / Centre des monuments nationaux

Cette œuvre, datant du XVIIe siècle, est probablement due à Giovanni Castrucci. Cette marqueterie surprenante, uniquement constituée avec des incrustations de différentes pierres, s’inspire de techniques florentines.  Ce commesso, ou marqueterie de pierres dures, se compose d’agate d’Allemagne, de jaspe d’Alsace, de jaspe héliotrope, de calcédoine des Grisons, de bois silicifié, d’agate mousse et de silex. La majorité des matériaux provient d’Europe centrale et septentrionale. Florence est considérée comme la capitale historique de la marqueterie de pierres en Europe. Néanmoins, ce savoir-faire va s’exporter grâce à la mobilité des artisans-lapidaires florentins. Les grandes familles aristocratiques vont également favoriser le développement de cette technique.
La marqueterie conservée au château représente une scène de saint Jérôme avec un lion. Un des quatre grands docteurs de l’Église, ce moine est connu pour avoir traduit la Bible aujourd’hui reconnue par l’Église catholique. Ici, nous avons une iconographie connue de saint Jérôme, représenté avec un lion qui s’approche de lui. L’histoire voudrait que ce lion boitait près du monastère de Bethléem, où se trouvait saint Jérôme. Les autres moines prirent peur, sauf lui qui s’approcha de l’animal et lui retira une épine, le soulageant de sa douleur. En remerciement et par fidélité, le lion restera avec saint Jérôme tout le reste de sa vie. Ce dernier est représenté en habit de cardinal, dont le rouge contraste avec les pierres plus neutres. Il est assis sur un tronc d’arbre, en train d’écrire dans un livre (peut-être la Bible). La tête du moine est tournée sur le côté, vers le lion qui semble caché derrière l’arbre. Au centre de la composition, on peut apercevoir une croix plantée dans la roche, référence directe à la religion catholique. Le titre de cette œuvre, Saint Jérôme au désert, illustre bien l’esprit de méditation de ce moine.
Cette pièce exceptionnelle a été restauré en 2021 par Hervé Obligi, maître d’art glypticien et marqueteur de pierres dures. En effet, le panneau de marqueterie avait souffert du temps, certaines pièces avaient été perdues, percées ou poncées d’une façon non uniforme, ce qui peut laisser supposer que ce tableau a été brisé puis restauré. Au cours de la restauration, les pièces manquantes ont été réintégrées, l’ensemble a été nettoyé et protégé, afin de mieux le conserver.
Ce tableau, que l’on peut aujourd’hui observer dans le salon du billard, fait partie de la collection du vicomte de Morel-Vindé. Ce grand collectionneur du début du XIXe siècle a accumulé au cours de sa vie diverses pièces pour sa collection. Son but était de présenter des exemplaires uniques de ce que l’on peut trouver dans l’art. 

Note : 5 sur 5.

La grotte

Château de La Motte-Tilly, grotte, 2025
© Emeline Vanderhaegen-Napieraj / Centre des monuments nationaux

Le château de La Motte-Tilly se faisait appeler, au XVIIIe siècle, le château de « belle vue », du fait de sa situation dominant la vallée de la Seine. Lors de sa construction par l’abbé Terray, des jardins français à la manière d’André Le Nôtre ont été élaborés autour du château. Comme dans la plupart des châteaux, le style anglais y fait son apparition à la fin du XVIIIe siècle : un jardin irrégulier, peuplé d’arbres rares et d’allées tortueuses, mais également de petites constructions appelées « fabriques ». Plusieurs types ont été construits : des tentes turques, des kiosques chinois, des pyramides, des laiteries… et des grottes ! Antoine Jean Terray, neveu de l’abbé, engage ces importants travaux paysagers en 1783.
Près du potager, il fait ériger un petit édifice circulaire, mi-enfoncé dans la terre et mi-saillant au-dessus du sol. Après avoir descendu 14 marches, on découvre trois niches. Mais le mieux, pour décrire cet endroit est de laisser la parole à la marquise de Maillé : « L’entrée se présente à la façon d’une ouverture, pratiquée à coup de pioche. À l’évidence, on voulait faire croire à la découverte fortuite d’un monument disparu. Entre les niches, des pilastres à clef saillante sont décorés de stalactites en forme de larmes. Trois corniches achèvent l’édifice. Un lanternon vitré pratiqué au centre de la petite voûte de pierre, laisse filtrer dans l’édifice un jour avare. Le sol est en terre battue. »
La grotte de La Motte-Tilly est essentiellement construite en tuf de Resson. Le tuf est une roche friable et minérale, constituée de dépôts successifs de cendres volcaniques ou de calcaire selon les régions. Celle utilisée pour la grotte du domaine provient d’une carrière située entre le village de La Saulsotte et le hameau de Resson, à quelques kilomètres au nord du village de La Motte-Tilly. Sa construction semble donc être l’œuvre d’un architecte qui a souhaité donner à la grotte un aspect naturel et ancien, en utilisant les ressources du territoire.