Le Centre international du Vitrail de Chartres
Entretien avec Jean Touchard
www.centre-vitrail.org
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Cellier de Loëns, colonne et console, Chartres
© Le Passant, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
La réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été l’occasion de rappeler quelques-unes des polémiques qui sont survenues au cours de ces cinq années de travaux. L’une d’elles concernait le remplacement de vitraux anciens par des créations contemporaines, comme cela a pu se faire à l’abbaye de Westminster il y a quelques années. Notre propos n’est pas ici d’intervenir dans ce débat, mais de vous faire découvrir un lieu qui décline l’art du vitrail aussi bien dans sa dimension patrimoniale et historique que dans ses aspects les plus actuels (recherche, création, formation, médiation). Installé depuis presque 50 ans à quelques dizaines de mètres de la cathédrale de Chartres, le Centre international du Vitrail est au cœur de cet art souvent méconnu, mais pourtant omniprésent dans notre paysage architectural, et ce depuis le Moyen Âge. Jean Touchard, chef de projet De l’écrin à l’écran, a accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Thomas Ménard.
Qu’est-ce que le Centre international du Vitrail de Chartres ?
Le Centre international du Vitrail (CIV) de Chartres, inauguré en 1980 en présence de Valéry Giscard d’Estaing, est un établissement culturel pionnier dans l’art du vitrail et de la lumière contemporaine. Fondé à l’initiative de Pierre Firmin-Didot, le centre est devenu un lieu incontournable pour les artistes du verre et de la lumière, et il est désormais reconnu mondialement pour sa capacité à réunir tradition et innovation dans le domaine du vitrail.
C’est un lieu de recherche et de développement où l’on explore les applications du verre décoratif dans l’architecture moderne, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles possibilités créatives. Lieu de rencontre entre les œuvres et les créateurs, le Centre mène des actions pédagogiques visant à mieux comprendre ces œuvres, leur sens, et à faire le lien avec les sociétés dont elles sont la production. Il contribue ainsi à favoriser la transmission des valeurs sociales à travers l’action culturelle et artistique.
Pourriez-vous nous parler du lieu historique qui vous accueille ?
Les bâtiments de Loëns à Chartres, un ensemble historique et architectural situé à l’extérieur de l’enclos de la cathédrale, ont été d’une grande importance au Moyen Âge. Ces bâtiments, appartenant au chapitre de la cathédrale, comprenaient diverses structures telles que le cellier, le grenier, une prison et un four banal.
Le nom « Loëns » pourrait provenir de l’ancien français « lois » (loyer) ou du latin « locatio », indiquant une zone de stockage pour les revenus issus des terres. Une autre hypothèse suggère une origine germanique ou nordique, « loens » signifiant « grange », en lien avec les Vikings qui ont occupé la région.
Le maire ou lieutenant général de Loëns, une fonction laïque au sein du chapitre, supervisait la gestion des terres et des biens du chapitre, exerçant parfois des fonctions judiciaires, notamment en tant que juge de paix et, plus tard, pour des affaires criminelles. Le maire rendait justice, notamment dans le cellier et le grenier, qui pouvaient servir de prétoire.
Le cellier, datant vraisemblablement du règne de Philippe Auguste (vers 1200), est une grande salle divisée en trois nefs égales, chacune avec des croisées d’ogives soutenues par des consoles et des colonnes à chapiteaux octogonaux. Les voûtes ogivales, faites de pierre calcaire et de tuffeau, témoignent du style gothique. Le cellier servait aussi à stocker des produits agricoles comme le blé, qui étaient prélevés sous forme de dîmes.
Au XVIIIe siècle, après la Révolution, Loëns servit à diverses fonctions administratives, y compris comme magasin de subsistances militaires. Plus tard, il fut utilisé comme espace de stockage et même comme salle de projection pour les films des frères Lumière après l’invention du cinématographe. En 1974, le maire de Chartres a proposé d’aménager Loëns en un centre international du vitrail, projet confié à l’architecte Guy Nicot. Aujourd’hui, le musée du Vitrail est un élément central du patrimoine de Chartres.
Justement, le CIV est d’abord un musée. Que peut-on y découvrir ?
Le musée du Vitrail de Chartres, situé dans l’enceinte de l’enclos de Loëns, est un lieu de découverte et de préservation du patrimoine lié au vitrail, offrant une immersion dans l’histoire de cet art, du Moyen Âge à nos jours.
Le musée présente une collection remarquable de 70 vitraux authentiques de la Renaissance, installés au premier niveau. Ces vitraux proviennent d’édifices disparus de Chartres et ont été préservés grâce à une histoire complexe et mouvementée. Un espace pédagogique complète cette exposition, présentant des maquettes et des schémas explicatifs qui permettent de comprendre l’iconographie et les scènes figurées dans les vitraux de la cathédrale de Chartres. Des vitrines présentant des outils et différents matériaux verriers en cours de façonnage permettent de suivre les étapes de la fabrication des vitraux et de comprendre l’histoire des évolutions techniques du métier de vitrailliste au cours des siècles.
Au sous-sol, une vaste salle gothique, voûtée d’ogives, accueille les expositions temporaires de vitraux contemporains monumentaux. Cet espace, véritable témoin du style gothique, permet de découvrir les œuvres modernes et actuelles en vitrail, montrant ainsi l’évolution de cet art au fil des siècles et son intégration dans des créations contemporaines.
Et les célèbres vitraux de la cathédrale de Chartres, comment les mettez-vous en valeur ?
Le projet du Centre International du Vitrail (CIV) repose sur une initiative ambitieuse visant à utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour enrichir l’expérience des visiteurs de la cathédrale de Chartres en leur offrant une nouvelle manière de comprendre les vitraux. L’objectif est de créer la première application au monde qui permettrait à chacun de découvrir l’histoire et les symboles présents dans les vitraux, à l’aide de la reconnaissance d’image et d’autres technologies avancées.
L’idée est de rendre les informations sur chaque vitrail facilement accessibles aux visiteurs, tout en surmontant les obstacles liés à l’éloignement, à la hauteur et aux différences de luminosité à l’intérieur de la cathédrale. L’IA offre des solutions pour analyser et organiser les données relatives aux vitraux tout en permettant de personnaliser l’expérience de chaque visiteur, quel que soit son emplacement dans la cathédrale.
L’application sera disponible en trois langues (français, anglais, allemand) et permettra à tous, croyants ou non, de mieux comprendre les vitraux et leur histoire. En facilitant l’accès à l’iconographie, l’application rendra la contemplation des vitraux plus profonde et enrichissante.
Le projet met également l’accent sur la façon dont la lumière change au fil du temps dans la cathédrale, et comment cette lumière influence la perception des vitraux.
Quelle place accordez-vous à la création contemporaine ?
Depuis 1988, le C.I.V. organise dans son musée des exposition internationales pour diffuser les créations en vitraux des artistes contemporains du vitrail dans le monde entier.
Le XXe siècle a été le siècle de l’innovation dans le domaine de la fabrication du verre et de sa mise en œuvre dans l’architecture. Le Centre international du Vitrail a contribué à diffuser et à promouvoir l’introduction dans le monde traditionnel du vitrail des nouvelles techniques verrières : collages, thermoformage, émaillage et peintures. L’essor de la commande publique a également soutenu cette évolution en donnant à de nombreux artistes les moyens de réaliser des chantiers spectaculaires. Le Centre international du Vitrail a suscité et accompagné ce mouvement de renaissance du vitrail, en même temps qu’il réussissait à sensibiliser et à conquérir de nouveaux publics. Le vitrail occupe aujourd’hui en France une place de premier rang dans la création artistique contemporaine, et s’impose de plus en plus souvent dans la conception des bâtiments civils, tant publics que privés.
Votre mission est également de former les vitraillistes de demain. Quelles formations proposez-vous ?
Le Centre de Formation au Métier de Vitrailliste du Centre international du Vitrail, créé en 1995, est un établissement clé pour la transmission des savoir-faire et le développement des compétences dans le domaine du vitrail. Son objectif principal est de diffuser les innovations et de faciliter l’accès aux techniques et aux pratiques du vitrail.
Le centre bénéficie d’une expertise exceptionnelle grâce à son ancrage dans l’histoire et la modernité du vitrail, et son environnement culturel riche. Il est particulièrement reconnu pour ses liens avec le monde de l’art contemporain et les professionnels du vitrail. Le CIV entretient des partenariats avec des chercheurs et des universités pour approfondir l’étude des matériaux, des techniques anciennes et contemporaines du vitrail, et de l’architecture des cathédrales. Il organise régulièrement des publications, des journées d’études et des colloques, contribuant ainsi à la recherche scientifique et à la connaissance historique dans le domaine du vitrail.
Le centre accueille des artistes en résidence, leur offrant un espace pour expérimenter et échanger sur les techniques du vitrail et son évolution. Des projets de grande envergure ont été accompagnés, tels que ceux des lauréats du Prix de la Fondation Bettencourt. Ces résidences sont une occasion unique pour les artistes de se confronter aux enjeux contemporains du vitrail et de collaborer avec des maîtres verriers.
En 12 ans, 1634 personnes ont été formées : artisans et maîtres verriers en parcours de perfectionnement, personnes en reconversion professionnelle souhaitant apprendre un nouveau métier, artistes plasticiens désirant explorer une nouvelle forme d’expression, amateurs intéressés par le métier de vitrailliste.
Comment utilisez-vous les nouvelles technologies dans vos missions de médiation ?
La base de données consacrée aux vitraux de la cathédrale recense 176 verrières, 10 000 médaillons et 20 000 détails, offrant une vue exhaustive de ce patrimoine unique. Chaque élément est documenté avec des photographies haute définition, des fiches descriptives détaillées et des notices expertes, validées par un comité scientifique de renommée internationale. La base de données est trilingue (français, anglais, allemand), permettant un accès à un public international.
La base de données du CIV permet de conserver et documenter le patrimoine des vitraux de Chartres, de rendre accessible ce patrimoine à un large public, local et international, d’enrichir l’expérience de visite grâce à des outils numériques interactifs, de créer de nouveaux supports de médiation pour les musées et les institutions culturelles.
Comment le grand public peut-il accompagner votre projet ?
En faisant un don sur le site helloasso pour la cagnotte du centre.
