La Cité internationale de la langue française
Entretien avec Xavier Bailly
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Une des salles de la Cité internationale de la langue française © Didier Plowy – CMN
Le 30 octobre 2023, le Président de la République a inauguré la Cité internationale de la langue française, nouvel équipement culturel installé au château de Villers-Cotterêts, dans le département de l’Aisne. Un château pour une langue, c’est un peu le concept de ce site exceptionnel, placé dans le giron du Centre des Monuments Nationaux, aux côtés de l’abbaye de Cluny, du Panthéon, des remparts de Carcassonne ou de la Villa Kérylos, pour ne citer que quelques-uns des trésors du patrimoine français gérés par l’institution basée à l’Hôtel de Sully, à Paris. Un château pour une langue, mais aussi une langue pour un château, et plus précisément pour sauver un château menacé de ruine. Une langue donc, la langue française, et un château, celui de Villers-Cotterêts, évoqués dans ce nouveau contenu par Xavier Bailly, directeur délégué de ce nouveau fleuron de la culture française et francophone.
Propos recueillis par Thomas Ménard.
Comment est né ce projet ?
Il s’agit d’une commande du Président de la République, confiée au Centre des Monuments Nationaux en 2018. Elle fait suite à un discours prononcé par Emmanuel Macron à l’Institut de France, où il annonçait le sauvetage du château de Villers-Cotterêts et la création d’un laboratoire dédié à la langue française. Le Centre des Monuments Nationaux a travaillé pendant cinq ans autour de trois axes principaux : la restauration d’un château proche de la ruine ; la création d’un projet culturel et scientifique ; la mise en place de partenariats, par exemple à travers une commission d’experts et de contributeurs qui sont à l’origine du parcours de visite dédié à l’aventure du français.
Concrètement, le parcours permanent est né de la réflexion d’un commissariat scientifique, composé de quatre personnalités : Xavier North (ancien délégué général à la langue française et aux langues de France), Barbara Cassin de l’Académie française, Hassane Kassi Kouyaté (directeur du festival des Francophonies de Limoges) et Zeev Gourarier (ancien directeur scientifique et des collections du MUCEM). Avec le soutien de plusieurs dizaines de contributeurs (linguistes, historiens, etc.), ils ont approfondi le sujet et écrit le propos de l’exposition permanente, ensuite scénographiée par l’atelier Projectiles.
Une langue est-elle un élément du patrimoine comme peut l’être un tableau ou une sculpture ?
Si un tableau et une sculpture peuvent être considérés comme faisant partie du patrimoine matériel, alors on peut estimer qu’une langue relève du patrimoine immatériel. En ce sens, c’est un patrimoine qui peut être aussi évolutif que d’autres formes de patrimoine. Par exemple, le patrimoine mondial de l’UNESCO définit désormais la notion de paysages culturels évolutifs. La langue est donc un patrimoine non figé.
Concrètement, quels procédés de médiation culturelle utilisez-vous pour « montrer la langue française » ?
Le parcours permanent de visite est construit autour d’une soixantaine de dispositifs de médiation numérique, dont certaines font appel à l’Intelligence artificielle, notamment pour la « bibliothèque magique ». Il peut s’agir de textes, mais aussi de différents médias : image, son, cinéma, chanson, humour… Les commissaires scientifiques ont tenu à ce que ces dispositifs soient complétés par des œuvres et des objets qui illustrent des mots et viennent en appui des propos. Par exemple, une maquette de paquebot illustre un mot « voyageur ». Chacun de ces objets raconte une histoire, en lien avec l’aventure de la langue française.
Je ne peux manquer de citer deux objets majeurs associés aux mots « Académie française ». Le premier est un portrait du cardinal de Richelieu, peint par Philippe de Champaigne et qui, à ma connaissance, n’avait encore jamais été présenté au public. Le second est une épée d’académicien qui est touchante à bien des égards : c’est l’épée d’académicien d’Alain Decaux, réalisée par le sculpteur Paul Belmondo. C’est un dépôt de l’Hospice Comtesse de Lille, ville natale d’Alain Decaux. L’épée a la particularité d’être ornée de l’émeraude de Sacha Guitry.
Et bien sûr, le parcours s’achève sur l’ordonnance de Villers-Cotterêts, prêtée par les Archives nationales de France.
Il s’agit de la Cité internationale de la langue française. Pourquoi cette dimension internationale ? Parlez-vous de la francophonie, de la dimension universelle du français ou de ses liens (apports réciproques) avec les autres langues ?
Le premier chapitre du parcours est justement intitulé « Le français, une langue monde ». Il évoque les relations entre la langue française et les autres cultures du monde, à travers trois thématiques : la passion amoureuse, la révolte et le rire. Il existe également un « mur des francophones » où, par le biais de vidéos, des francophones racontent leur amour pour la langue française.
Au-delà du parcours de visite, la dimension internationale du projet est présente dans les autres composantes de la Cité internationale de la langue française. Par exemple, ces derniers jours, une artiste québécoise a proposé des ateliers dans le cadre d’une résidence artistique. L’enseignement du français, et notamment du Français Langue Étrangère (FLE), est l’un des sujets traités dans le cadre de nos missions d’expérimentation et d’innovation pédagogique.
Le terme de « cité » a du sens, puisque c’est un lieu de vie où artistes, apprenants, enseignants et visiteurs peuvent entrer en contact. La dimension plurielle d’une cité est vraiment importante dans le projet, avec des interactions nombreuses, notamment avec le public international. D’ailleurs, le parcours de visite est disponible non seulement en anglais et en allemand, mais aussi en arabe, en chinois, en italien, en espagnol et en néerlandais.
La Cité internationale de la langue française est donc un équipement culturel de proximité, offert aux publics locaux, mais avec une dimension nationale – c’est le premier équipement de ce type en France – et même internationale. D’ailleurs, le Président de la République a décidé que le prochain Sommet de la francophonie se tiendrait ici en 2024.
À l’inverse, faites-vous une place aux langues régionales qui, pendant très longtemps, ont été les grandes oubliées (voire les ennemis) de la politique linguistique de l’État ?
Les langues vernaculaires ont effectivement leur place. D’ailleurs, 72 langues de France sont présentes dans le parcours permanent. Elles donneront lieu à des échanges avec l’ensemble des communautés linguistiques parce qu’il s’agit d’une très grande richesse associée à la langue française.
Pourriez-vous nous parler de l’écrin de cette nouvelle institution, le fabuleux château de Villers-Cotterêts ?
C’est une véritable renaissance à bien des égards. Le château de Villers-Cotterêts a connu des vies successives assez rocambolesques. Le site a été occupé par différents états d’un château médiéval qui s’est transformé sur lui-même. D’ailleurs, les études archéologiques menées pendant les travaux ont révélé des pans entiers d’une histoire jusqu’alors méconnue. Elles ont notamment confirmé la dimension cynégétique du château et son lien profond avec forêt de Retz de 13 500 hectares.
La forteresse médiévale a été transformée par François Ier en château Renaissance à l’aube des années 1530. Quatre ailes sont venues ceinturer une cour centrale, qu’on appelle la cour du Jeu de paume. Mais les ailes reprennent l’implantation des anciens bâtiment médiévaux. D’ailleurs, le porche d’entrée n’est pas dans l’axe et occupe l’implantation de l’ancienne porte médiévale, avec son pont-levis. Le château conserve une dimension royale jusqu’à Louis XIV. En 1661, il donne le Valois en apanage à son frère. Villers-Cotterêts devient alors une résidence princière, qui reste dans la famille des ducs d’Orléans jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Puis il devient un bien national, un dépôt de mendicité en 1808, la maison de retraite du département de la Seine en 1889, puis celle de la Ville de Paris, avant de devenir un EHPAD de la Ville de Paris, fermé en 2014. Il reste à l’abandon entre 2014 et 2018, avant d’être restauré par le Centre des Monuments Nationaux. Même si le château a conservé sa silhouette générale, celle représentée par Jacques Androuet du Cerceau au XVIe siècle, les transformations des XIXe et XXe siècles ont constitué un véritable saccage de ces bâtiments historiques. Par exemple, l’aile est de la cour des offices (la cour de service située entre le château et la ville) a été en partie détruite au cours du XIXe siècle, parce qu’elle était déjà dans un état de délabrement avancé. Elle a été partiellement reconstruite, ce qui a permis la construction d’un bâtiment moderne, qu’on appelle le séchoir, c’est-à-dire la buanderie du dépôt de mendicité. Autour de 1900, on a ensuite construit des cuisines industrielles pour la maison de retraite du département de la Seine. Il faut dire qu’il y avait environ 1850 résidents en 1910. En 2014, certains espaces étaient à l’état de ruine. Le logis royal était à l’abandon depuis le milieu du XXe siècle.
La restauration, confiée à Olivier Weets, architecte en chef des monuments historiques, est donc très profonde. Dans le logis royal, il a fallu supprimer tous les aménagements du XIXe siècle (couloirs, sanitaires…) et restaurer complètement la maçonnerie, la charpente, les toitures, les portes et fenêtres, les sols et les plafonds. L’idée était de procéder à une restitution des volumes d’une ancienne demeure royale et princière, de rendre au château sa silhouette de la fin de l’Ancien Régime. Toutefois, les espaces intérieurs sont restés comme des pages blanches, où le projet de Cité internationale de la langue française est venu s’inscrire, avec une écriture contemporaine. Je signalerai toutefois que trois chefs-d’œuvre de la première Renaissance ont restaurés : l’escalier du Roi, la chapelle et l’escalier de la Reine, qui témoignent à nouveau des fastes de la cour de François Ier.
Quelle est l’importance de l’ordonnance de Villers-Cotterêts dans l’histoire culturelle de la France ? Le comité scientifique a tenu à interroger, au sein du parcours, l’héritage de ce document datant d’août 1539. Les articles 110 et 111 décident qu’un justiciable sera désormais jugé dans sa langue et que les arrêts seront rendus et transcrits dans sa langue, mais aussi que l’administration s’exprimera en français. Il s’agit bien sûr de la « langue maternelle françoise ». Il faut préciser que cette décision a toujours fait l’objet de nombreux débats. On se demande encore aujourd’hui si tout le monde maitrisait la langue française à cette époque. Mais, sur le principe, c’est véritablement un acte fondateur, qui légitime à lui seul l’installation de la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts. Rappelons que c’est également le plus ancien texte législatif encore en vigueur en France.
Selon vous, quelle est la plus belle langue du monde et pourquoi ?
Il m’est bien difficile de répondre à cette question. Je dirais que ce que j’aime, c’est la musicalité des langues. Bien sûr, j’aime la langue française, que j’essaie d’honorer chaque jour et de respecter au maximum. C’est une langue que j’ai plaisir à parler. Mais j’ai aussi beaucoup de plaisir à écouter d’autres langues, pour leur musicalité, par exemple le portugais, l’italien ou l’espagnol, mais aussi le néerlandais. Pour moi, c’est une très grande richesse.
Nos entretiens s’achèvent toujours par trois illustrations choisies par la personnalité invitée. Pourriez-vous nous expliquer votre choix ?

Vue aérienne du château de Villers-Cotterêts © Fabrice Baroiller – Airbuzz
Cette photographie montre les trois parties du site, articulées entre la ville, au sud, et l’un des bras de la forêt de Retz, au nord.
On trouve d’abord la cour des Offices, qui était la grande cour où étaient réunis tous les services nécessaires à la vie du château, mais également des logements pour les courtisans. Elle s’ouvre sur la ville. À droite, on voit l’aile est qui a été en partie remplacée par le séchoir du dépôt de mendicité, avec sa façade en pignon sur la cour, (et la cuisine industrielle de la maison de retraite). Dans cette cour, Olivier Weets a uniquement restauré les façades et les toitures. La plupart des espaces restent vides à ce jour et serviront à développer des fonctions économiques et culturelles complémentaires (hôtellerie, restauration…).
Vient ensuite le logis royal, constitué de quatre ailes qui entourent la cour intérieur, dite du Jeu de paume, parce que c’est là que François Ier et Henri II pratiquaient ce sport. La petite aile située sur la droite renferme un second jeu de paume, construit au XVIIIe siècle. Entre ces deux ensembles, il est intéressant de voir la hiérarchie dans la noblesse des matériaux : le logis est construit en pierre de taille, mais elle n’est utilisée que pour l’encadrement des portes et des fenêtres dans la cour des Offices.
Enfin, au dernier plan, on voit le petit parc, le jardin de plaisance, ceinturé de murs et qui servait d’écrin végétal au château. Il est à opposer au grand parc de chasse, sur plusieurs milliers d’hectares, en forêt.

La cour du Jeu de Paume et son ciel lexical © Pierre-Olivier Deschamps – CMN
La cour du Jeu de paume a été couverte d’une verrière, agrémentée d’un « ciel lexical ». C’est le cœur battant de la Cité, un lieu où les différents publics peuvent se rencontrer : ceux qui viennent visiter le parcours permanent, ceux qui viennent simplement pour boire un café ou faire des achats à la librairie, ceux qui ne font que traverser l’espace pour passer de la ville au parc. L’accès est libre et gratuit.
Au rez-de-chaussée du logis, on trouve également des espaces partagés, qui nous servent à remplir les missions de proximité qui sont les nôtres (salles de formation, salles d’activités pédagogiques). Elles occupent certaines salles d’apparat des ducs d’Orléans. Enfin, il y a un espace d’accueil qui s’ouvre sur deux itinéraires distincts : d’une part, un espace d’exposition temporaire de 400 m2, qui nous permettra d’aborder à chaque saison une nouvelle thématique, dans les meilleures conditions de conservation ; d’autre part, l’accès à l’escalier du Roi, qui conduit au parcours permanent.
Il faut également parler de l’auditorium de 250 places qui se trouve dans l’aile du jeu de paume. Nous pourrons y organiser des conférences, des lectures, des spectacles, y proposer de la chanson ou du cinéma.

Salle « Un château, un territoire » © Didier Plowy – CMN
En haut de l’escalier du Roi, tous les visiteurs ont accès gratuitement à une salle intitulée « Un château, un territoire ». C’est une sorte de centre d’interprétation de l’histoire du château de Villers-Cotterêts. Il retrace les grandes étapes que nous avons évoqué plus haut. Mais il permet également de se demander en quoi ce château a aussi des choses à dire dans son histoire récente, celle du dépôt de mendicité ou de la maison de retraite, ou dans son positionnement géographique. Nous sommes à quelques kilomètres du Chemin des Dames et il y a forcément une résonnance locale avec la Grande Guerre. Il y a également une grande fécondité littéraire dans les environs : Villers-Cotterêts est la cité natale d’Alexandre Dumas ; Jean Racine, Jean de La Fontaine, Paul Claudel sont nés ou ont vécu dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Cette première salle est également le lieu où s’inscrit le lien entre le château et les Cotteréziens : leurs visites à l’EHPAD, leurs premières histoires d’amour dans le parc…
C’est aussi ce projet de territoire qui m’a intéressé. J’étais administrateur du Mont-Saint-Michel, en 2019, quand Philippe Bélaval, alors président du Centre des Monuments Nationaux, m’a proposé de rejoindre le projet. Il s’agissait de répondre à l’urgence du sauvetage d’un château au bord de la ruine, mais en animant un réseau constitué d’une multitude d’interlocuteurs locaux, tous préoccupés par l’avenir du lieu : des associations, des sociétés savantes, des élus locaux, des habitants.
