EXPOSITION # 67

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Napoléon IV . Le prince corse oublié (1856-1879).

À travers l’exposition consacrée à la figure de Napoléon IV, le musée de Bastia — futur musée d’histoire de la Corse — entend faire découvrir au public un personnage historique oublié, mais aussi un exemple de processus d’héroïsation tant au niveau national que régional. Ces échelles complémentaires permettent en effet d’explorer, une nouvelle fois, deux périodes charnières de l’histoire de la Corse dont il reste encore beaucoup à découvrir : le Second Empire et, en l’occurrence, la première décennie de la Troisième République, à travers la biographie de Napoléon-Eugène-Louis Bonaparte, fils de Napoléon III et petit-neveu de Napoléon Ier.

Élevé dans le faste d’un empire florissant, il est, dès sa naissance, l’incarnation de la pérennité de la dynastie. Son personnage devient l’une des pierres angulaires de la légitimation d’un régime entaché, aux yeux des démocrates, du péché originel qu’a été le coup d’État de 1851. Mais on ne peut limiter le personnage à son rôle d’héritier. Il est également celui dont le parcours se mêle aux grands phénomènes français et européens de ce XIXe siècle : la victoire de la république face au bonapartisme, l’achèvement de l’édification de la nation, la colonisation du continent africain, l’irruption de la dimension sociale dans le champ politique, etc. Napoléon IV incarne enfin en ce même siècle finissant le héros romantique par excellence. Sa vie est en effet brisée par un implacable destin : il ne régnera jamais, sera contraint à l’exil, sera tiraillé tout au long de son existence par le modèle de Napoléon Ier qui le fascine, tout en voulant paradoxalement s’en individualiser, trouvera une mort tragique en pleine jeunesse pour finir en « héros manqué » du bonapartisme et devenir largement méconnu du grand public de nos jours.

Outre ses origines familiales insulaires, c’est sans doute sur ce dernier point que son lien avec la Corse transparaît. Une relation jusqu’alors ignorée tant par l’historiographie nationale qu’insulaire, le personnage ayant été longtemps victime d’une véritable damnatio memoriae liée à la dimension strictement idéologique qu’il était censé incarner. Pourtant, cette relation particulière entre l’île et la famille impériale initiée par Napoléon III lui-même permet de souligner le rôle politique tutélaire joué au niveau national, mais surtout sur le plan local par son fils promu en 1873, chef de file symbolique d’un bonapartisme rejeté dans l’opposition. Un bonapartisme dont l’image collera à l’identité corse tant Napoléon IV trouvera, pendant et après le Second Empire, des personnalités politiques originaires de l’île comme autant d’appuis indéfectibles. Les grandes familles ajacciennes ne manquent d’ailleurs pas de souligner les liens généalogiques qui les rattachent à la famille Bonaparte. Cette forme de corsité, le Prince impérial la revendique parfois, tout comme le discours bonapartiste local la lui confère, l’érigeant ainsi en héros finalement bel et bien identitaire.

La vocation sociétale d’un musée n’est évidemment pas de perpétuer les mythifications des héros, ni de délivrer des brevets « d’hommes illustres », mais de rendre intelligibles et d’interroger les processus d’héroïsation entendus comme des constructions intellectuelles sous-tendant toujours des préoccupations culturelles et politiques. En pleine année de commémoration du 300e anniversaire de la naissance de Pasquale Paoli, à l’heure des fake news, de l’instrumentalisation de l’intelligence artificielle à des fins idéologiques, la lumière ainsi projetée sur ce Prince impérial illustre la nature souvent éphémère du héros et la fragilité des mécanismes d’héroïsation soumis aux contingences du moment. À ce titre, son exemplarité valait bien une exposition et un catalogue… tout comme une (ré)insertion dans l’histoire de la Corse.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

Note : 5 sur 5.

L’Exposition universelle de 1867

Anonyme, Le Prince impérial à l’Exposition universelle de 1867, 1867
Soie brodée, 52 x 18 cm
Collection Régis Rouillier

Texte : Alexandra Moretti, responsable des expositions temporaires et des publications, Musée de Bastia.

L’Exposition universelle de 1867, organisée sur le Champ-de-Mars, à Paris, du 1er avril au 3 novembre, marque l’apogée du Second Empire. Vitrine éclatante du progrès industriel, scientifique et artistique, elle reflète l’ambition de Napoléon III de faire de la France un modèle de modernité, face aux nations du Vieux Continent et aux nouvelles puissances émergentes. À travers cette grande célébration internationale, qui réunit cinquante-deux mille exposants venus de trente-deux pays différents, le régime entend renforcer sa légitimité sur la scène mondiale. Plus de cinq millions de visiteurs se pressent à Paris, favorisant le développement du tourisme dans la capitale parée de ses plus beaux atours. Dès son inauguration, l’Exposition s’impose comme un événement majeur qui, tout en célébrant l’innovation et les arts, envisage la situation politique, intérieure et étrangère, en réunissant chefs d’État et envoyés diplomatiques du monde entier. Le Prince impérial, alors âgé de 11 ans, présent aux côtés de ses parents lors des grandes cérémonies, y joue un rôle hautement symbolique. S’il est chargé le 1er juillet de remettre les récompenses, sa participation n’est pas seulement protocolaire ; elle est aussi l’un des premiers actes de la formation publique du jeune prince, appelé à se familiariser avec les attributs du pouvoir. En apparaissant en compagnie des puissances dirigeantes de son temps, il affirme la continuité et la pérennité du projet impérial dans un monde en pleine transformation. Par sa présence, Louis-Napoléon participe également à l’inscription de la famille impériale dans l’imaginaire collectif d’une France tournée vers l’avenir. Il symbolise une génération nouvelle, appelée à conjuguer l’héritage napoléonien avec les fruits de la révolution industrielle. L’Exposition de 1867, conçue comme un manifeste de la richesse du Second Empire, met en scène le jeune prince au cœur des festivités, et consolide ainsi son image publique tout en servant les desseins politiques du régime.

Note : 5 sur 5.

Le buste de Carpeaux

Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Le Prince impérial, 1865
Plâtre, 63,5 cm
Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, S90-119

Texte : Sylvain Gregori, conservateur en chef, Musée de Bastia

À partir de sa naissance, Napoléon-Eugène-Louis Bonaparte incarne, en compagnie de ses parents, la famille impériale. Mais toute une série de représentations diffusées par le régime le met en scène seul, dans le but d’imposer à une opinion ayant connu la IIe République, le retour du principe dynastique. Œuvres artistiques comme productions industrielles dupliquent les traits de l’enfant, puis ceux de l’adolescent et enfin du jeune homme, au fur et à mesure de ses âges. De ce point de vue, les codes iconographiques qui en découlent ont finalement le même objectif que ceux élaborés par la monarchie sous l’Ancien Régime, puis par Napoléon Ier du vivant de l’Aiglon. D’ailleurs, dès l’enfance de Louis-Napoléon, sa désignation sous l’expression Napoléon IV commence à être utilisée confirmant à la population, si besoin était, qu’il est bien l’héritier d’une lignée et qu’il incarne aussi un régime entendant bien durer.

Note : 5 sur 5.

Un uniforme britannique

Anonyme, Tunique de grande tenue de lieutenant du Royal Regiment of Artillery
et talpack de l’école d’artillerie de Woolwich ayant appartenu au Prince impérial
,
4e quart du XIXe siècle
Draps de laine, cuir, ours, 90 x 53 x 30 cm (tunique) ; 30 x 25 cm (talpack)
Musée de l’Armée, Paris, 09658 ; 95-12

Texte : Christian Antonini, commissaire associé de l’exposition, collectionneur.

Le Prince impérial, fils de Napoléon III, suit une formation militaire exigeante à l’Académie de Woolwich, en Angleterre. Loin des privilèges liés à son nom, il mène une vie austère, identique à celle des autres cadets. Logé dans une maison modeste près du champ de manœuvres, il rejoint chaque matin l’école et n’en sort qu’en soirée. Sa journée est rythmée par les cours, les exercices techniques et physiques, et les jeux collectifs, comme le cricket. Il travaille sérieusement en laboratoire, pratique la gymnastique, l’escrime, l’équitation et la natation, toujours en tenue identique à ses camarades. Il mange à la table commune, assis sur le même escabeau, et partage les mêmes efforts sans traitement de faveur. Le soir, après une promenade avec son précepteur M. Filon, il étudie les lettres, l’histoire et la politique dans un cadre sobre mais rigoureux. Il vit sans distractions : aucune visite, aucun congé, aucun luxe. Seul moment de répit, le week-end passé à Camden Place auprès de sa mère, dans une maison remplie de souvenirs de l’Empire [voir ici les « Trésors de demeures » # 05, consacrés à la demeure d’exil de la famille impériale à Chislehurst]. Le dimanche commence par la messe dans la chapelle où repose son père (source : Ad. Caillé, Le Prince impérial à l’école militaire de Woolwich, février 1874.). Entré à l’Académie avec le rang 36, il progresse jusqu’à atteindre la première place à l’examen préparatoire d’artillerie. Ce parcours illustre sa volonté farouche de réussir par le mérite, son sérieux et sa fidélité aux valeurs transmises par ses parents. Trois ans plus tard, en 1875, il achève brillamment son instruction. Il en sort lieutenant de l’artillerie royale, riche d’un savoir rigoureux, d’un courage éprouvé, et du poids silencieux de son destin. Il se rendra au camp d’Aldershot à partir du 14 juin 1875 confirmant sa formation militaire.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES POUR LES VISITEURS

Quoi ?
Napoléon IV . Le prince corse oublié (1856-1879).
Cette exposition est organisée par le Musée de Bastia / Museu di Bastia.
Commissaires : Éric Anceau, commissaire général de l’exposition et directeur scientifique du catalogue de l’exposition, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lorraine, et Christian Antonini, commissaire associé de l’exposition, collectionneur.

Comment ?
L’exposition est accompagnée d’un catalogue, dirigé par Éric Anceau et édité par le musée de Bastia (360 pages, 38 euros).