EXPOSITION # 75

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Jean Dampt. Tailleur d’images

À l’automne, le musée des Beaux-Arts de Dijon présente sa grande exposition annuelle qu’il consacre à Jean Dampt (1854-1945), sculpteur emblématique du courant symboliste et de l’Art nouveau. Inédite et exceptionnelle à plus d’un titre, Jean Dampt. Tailleur d’images s’appuie sur le plus large fonds consacré à l’artiste, conservé à ce jour par l’institution dijonnaise. Elle met également en lumière le travail de recherche mené sur près de trois ans, qui a permis de redécouvrir plusieurs des œuvres de Dampt, parfois dispersées dans des musées confidentiels ou conservées dans des collections privées.
Jean Dampt, originaire de Venarey-les-Laumes, près de Dijon, savait marier à la perfection les courbes élégantes de l’Art nouveau à une virtuosité dans tous les matériaux. Cet idéal esthétique lui assure une exposition quasi annuelle au Salon, ainsi que des commandes et la reconnaissance de ses pairs. Après une formation à l’École des Beaux- Arts de Dijon, puis de Paris, il s’affirme comme un artiste polyvalent, alliant sculptures, objets d’art et mobilier. Son travail, marqué par une obsession incessante pour la spiritualité (il est, comme son épouse, la peintre argentine Diana Cid Garcia, influencé par la théosophie), se distingue par sa polychromie audacieuse et son exploration de thèmes comme le rêve, l’ésotérisme et les âges de la vie. Parmi les quelque 200 objets, documents d’archives et sculptures de Dampt présentés, l’exposition révèle toute une série de sculptures caractéristiques, telles que Le Baiser de l’aïeule et La Fin du Rêve, et aussi des pièces de mobilier maîtresses du musée des Beaux-Arts comme Le Lit des Heures.
Première exposition dédiée au sculpteur, Jean Dampt. Tailleur d’images s’applique aussi à dessiner les contours d’une personnalité atypique : un artiste connu pour son allure extravagante, vêtu de longues tuniques et d’un large chapeau de feutre, au tempérament aussi taciturne que passionné. Il est fasciné par la période médiévale et l’explore notamment au travers de thèmes religieux et légendaires, comme avec La Fée Mélusine et le chevalier Raymondin. Membre du groupe L’Art dans Tout, il revendique un art total, visant à intégrer les arts décoratifs et les métiers d’art dans une vision harmonieuse du monde.
Le fonds du musée des Beaux-Arts de Dijon fut le point de départ de cet ambitieux projet. Pensée comme un hommage à la carrière exceptionnelle de Jean Dampt, l’exposition dévoile, entre autres, près de trente-cinq sculptures issues de la collection dijonnaise. La quasi-totalité d’entre elles a d’ailleurs fait l’objet d’une restauration, dont la plus spectaculaire concerne la Diane regrette la mort d’Actéon, grand marbre de 2,10 m qui a retrouvé toute sa superbe en novembre dernier.
Jean Dampt. Tailleur d’images est enfin l’occasion de mettre en exergue le travail de recherche qui a permis de retrouver les œuvres dispersées de l’artiste. Plusieurs appels dans la presse spécialisée, dans les listes de diffusion professionnelles, ainsi que des recherches généalogiques à partir de sources anciennes, ont permis de compléter les prospections dans le cercle des collectionneurs privés et du marché de l’art (galeristes, antiquaires). Ce travail a notamment abouti à la redécouverte du fonds d’atelier de Dampt, resté quasi intact depuis les années 1940, et aussi des documents inédits, des photographies d’époque et des archives, faisant ainsi de l’exposition présentée par le musée la plus complète jamais réalisée jusqu’alors.

Vue de l’exposition © Dijon, musée des Beaux-Arts

Vue de l’exposition © Dijon, musée des Beaux-Arts

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

présentées par la commissaire de l’exposition,
Naïs Lefrançois, conservatrice du patrimoine, en charge des collections du XIXe siècle,
musées de Dijon

Note : 5 sur 5.

Enfant à la pomme

Jean Dampt, Enfant à la pomme, 1895
Marbre, H. 26 cm ; L. 27 cm ; P. 26 cm
Acquis avec l’aide de la Région Bourgogne-Franche-Comté et de l’État
dans le cadre du Fonds régional d’acquisition pour les musées, 2023
Dijon, musée des Beaux-Arts, Inv. 2023-4-1
© Dijon, musée des Beaux-Arts / François Jay

Réalisée en 1895 et exposée au Salon de la même année, cette tête d’enfant est tout à fait représentative de la période de maturité de l’artiste. La tête, délicatement sculptée, joufflue, émerge d’un magma de matière, qui suggère seulement la ligne des épaules et un vêtement ample. L’introduction d’un élément extérieur, une pomme que l’enfant tient dans sa main, fait basculer l’œuvre dans la narration et la capture d’un instant furtif. Avant 1895, Dampt avait déjà représenté plusieurs têtes d’enfants ou de bébés. Signalons notamment le Baiser de l’aïeule (1892) en marbre et bois, double buste figurant le visage ridé d’une femme âgée qui se penche sur un nouveau-né. Plus tard, en 1904, en ivoire et bois cette fois-ci, Dampt renouvelle le motif de l’enfant avec un fruit, en exposant au Salon national des beaux-arts L’Enfant aux cerises. Louées par les critiques, ces représentations intimistes et privilégiant souvent le petit format sont bienvenues, diversifiant ainsi l’offre face aux tendances à la monumentalité et aux statues des grands hommes de la fin du siècle. Les âges de la vie sont par ailleurs un thème alors en vogue dans l’art français, belge ou suisse de la fin du XIXe siècle, en lien avec l’essor du symbolisme qui tente de ramener de la spiritualité ainsi qu’une certaine mélancolie dans une société fortement marquée par les sciences et l’industrie. La vision de l’enfance comme état idéal et innocent est un concept largement développé par les artistes. Camille Claudel (1864-1943) expose d’ailleurs Jeanne enfant ou La Petite Châtelaine, également en 1895. Le peintre Eugène Carrière (1849-1906) s’attelle lui-même au sujet de scènes familiales. Cette sculpture a appartenu à Jean-Philippe Worth, célèbre couturier de la fin du XIXe siècle.

Note : 5 sur 5.

Diane regrette la mort d’Actéon

Jean Dampt, Diane regrette la mort d’Actéon, 1887
Marbre, H. 210 cm ; L. 66,5 cm ; P. 70,5 cm, signé J. DAMPT 1887
Dépôt de l’État de 1889, transfert définitif de propriété à la Ville de Dijon,
arrêté du ministre de la Culture du 15 septembre 2010.
La restauration de cette œuvre a bénéficié d’une subvention de l’État, 2024
Dijon, musée des Beaux-Arts, Inv. 983
© Dijon, musée des Beaux-Arts / François Jay

Ce marbre, la plus grande œuvre connue de Jean Dampt, a été exposé au Salon de 1887. Il est envoyé au musée des Beaux-Arts de Dijon en 1890, après avoir été également exposé à l’Exposition universelle de 1889 où il a obtenu la médaille d’or. Rappelons ici le mythe antique, issu des Métamorphoses d’Ovide (Ier siècle apr. J.-C.), d’après lequel Dampt a réalisé ce marbre à ses frais : Actéon est un jeune chasseur, orgueilleux, qui prétend rivaliser avec la déesse Diane. Au cours d’une chasse, il la surprend au bain. Furieuse d’être vue nue, la déesse le transforme en cerf. Les chiens d’Actéon, ne reconnaissant plus leur maître, le dévorent. Un chien aux pieds de la déesse matérialise cet épisode, il ronge un os à côté des bois du cervidé. La déesse est représentée en pied, monumentale, presque nue. Seul un mamillare orné d’une agrafe formée d’un triple croissant de lune soutient sa poitrine. Ce vêtement de l’Antiquité, connu notamment à travers certaines fresques de Pompéi, montre la rigueur historique de l’artiste, mais souligne évidemment un certain érotisme. La déesse tenait à l’origine un arc en métal dans sa main droite et un croissant de lune ornait le sommet de son crâne. On a trace de ces éléments grâce à un dessin de l’artiste (musée des Beaux-Arts de Dijon) et des photographies d’atelier (collection privée). L’artiste tente d’humaniser la déesse en la représentant repentante de sa décision. La sculpture en marbre, brisée en plusieurs morceaux, a fait l’objet en 2024 d’une restauration d’ampleur.

Note : 5 sur 5.

La Fée Mélusine et le chevalier Raymondin

Jean Dampt, La Fée Mélusine et le chevalier Raymondin, 1894
Acier ciselé, damasquiné, ivoire et or, H. 25 cm
Inscr. : J. DAMPT 1894 / TA FOY /GARDERAS
Collection privée © André Morin

En 1894, Jean Dampt surprend le Salon national des beaux-arts avec l’envoi de cette statuette en ivoire et acier, dont le livret détaille la source de son sujet : le manuscrit de Jehan d’Arras de 1387, Le Roman de Mélusine ou Le Roman de Mélusine ou l’Histoire des Lusignan. Il s’agit d’un livre en prose, rédigé à la demande du duc Jean de Berry et de sa sœur Marie de France, duchesse de Bar. Ce roman répondait à la volonté du duc, qui souhaitait légitimer sa position en tant que seigneur du Poitou, tout en transcrivant à l’écrit un conte folklorique relatant les amours d’une fée et d’un mortel. À la fin du XIXe siècle, les légendes médiévales regagnent en visibilité. Jean Lorrain publie, dès 1883, divers récits se rapportant à cette légende. Il est probable que Dampt ait pris connaissance de la légende par cet intermédiaire. Mélusine est un être merveilleux, maudite par sa mère, et destinée à se transformer, en partie, en serpent, tous les samedis. Elle pourra épouser un homme, issu d’un glorieux lignage, à condition que celui-ci consente à ne jamais chercher à la voir les samedis. La jeune fée rencontre le chevalier Raymondin, qui accepte l’étonnante condition, et avec qui elle eut dix enfants. Ainsi débute la lignée des Lusignan. Raymondin finit par briser son serment, l’épiant un samedi dans son bain, et découvre la moitié inférieure de son corps transformée en serpent. Mélusine est forcée de s’enfuir en abandonnant ses enfants. Si la robe serpentine semble sortie de l’imagination du sculpteur et évoque tout à fait la transformation magique, le vêtement du chevalier a été documenté par l’artiste à la Bibliothèque nationale et au musée d’Artillerie, selon le biographe et proche de l’artiste Charles Masson. La statuette est immédiatement célébrée tant pour son sujet poétique et amoureux que pour la virtuosité de sa réalisation : l’assemblage des deux matériaux semble naturel, tandis que la finesse de la sculpture, notamment de l’ivoire, est exemplaire. La statuette est acquise par la jeune comtesse de Béarn, Martine de Béhague (1870-1939). Elle est mise en scène au sein de la salle de musique de son hôtel particulier, rue de Saint-Dominique à Paris, dans la salle dite « Byzantine ». Elle y était disposée au sein d’une niche murale, où un mécanisme électrique permettait au socle de tourner sur lui-même.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES POUR LES VISITEURS

Quoi ?
Jean Dampt. Tailleur d’images
Cette exposition est organisée par les musées de la Ville de Dijon.
Commissaire : Naïs Lefrançois, conservatrice du patrimoine, en charge des collections du XIXe siècle, musées de Dijon.

Comment ?
La programmation culturelle en lien avec l’exposition est consultable dans l’agenda du musée.
Le catalogue de l’exposition est publié aux éditions in Fine (224 pages, 250 illustrations, 35 euros). Un album de l’exposition est également disponible (80 pages, 21 notices d’œuvres, 15 euros).