EXPOSITION # 74

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Le phare Rembrandt.
Le mythe d’un peintre au siècle de Fragonard.

Du 15 novembre 2025 au 15 mars 2026, le musée des Beaux-Arts de Draguignan présente Le phare Rembrandt, une exposition originale consacrée à Rembrandt et son héritage. Le phare Rembrandt invite le public à plonger dans l’univers de Rembrandt à un moment crucial : un demi-siècle après sa mort (en 1669), son nom devient un véritable mythe en Europe, et particulièrement à Paris, devenue capitale du marché de l’art. De plus en plus de tableaux du maître hollandais y sont importés, pour ensuite être en partie exportés vers l’Allemagne, l’Angleterre ou la Russie.
L’originalité de l’exposition réside dans sa volonté de faire découvrir comment l’art de Rembrandt a été perçu au XVIIIe siècle en France, où ses œuvres influencent profondément les artistes et collectionneurs. À travers une sélection de cinquante peintures visibles à l’époque, dont certaines de Rembrandt, d’autres lui ayant été attribuées, et d’autres encore ayant été réalisées par des artistes ayant étudié ou collectionné son travail, l’exposition explore les thèmes de l’imitation et de l’appropriation de son art.
Le parcours met en lumière les diverses qualités qui ont progressivement été associées à son nom, à sa gestuelle et à son style, de la fascination des collectionneurs pour ses portraits saisissants à son traitement magistral du clair-obscur. L’exposition s’intéresse également à la figure de fantaisie, inspirée des personnages de Rembrandt vêtus d’armures et d’accessoires exotiques. Elle montre ainsi l’étendue de l’influence du maître hollandais sur des artistes français du XVIIIe siècle tels que Chardin, Fragonard ou Greuze.
Les visiteurs pourront mieux appréhender le regard fasciné, parfois contradictoire, entre admiration et reproche, porté à un Rembrandt à la fois vénéré et critiqué. La confrontation entre les œuvres originales et leurs réinterprétations permettra de comprendre les subtilités d’une époque où les perceptions de l’art étaient en pleine transformation.

Vue de l’exposition © Ville de Draguignan

Vue de l’exposition © Ville de Draguignan

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

Note : 5 sur 5.

Vieille femme avec un livre

Rembrandt (1606-1669) et atelier, Vieille femme avec un livre, 1637.
Huile sur toile.
Washington, National Gallery of Art, inv. 1937.1.73
© Courtesy National Gallery of Art, Washington

Texte : Marjorie E. Wieseman, directrice honoraire du département des peintures du Nord, National Gallery of Art, Washington

Bien que l’identité de la femme représentée ne nous soit pas parvenue, l’apparence visuelle du portrait est révélatrice du monde dans lequel elle vivait. Sa robe de tissu noir uni est recouverte par un vêtement sans manches rappelant un manteau et orné de fourrure appelé vlieger : à la mode au XVIe siècle, mais indéniablement démodé à la fin des années 1630, quand le portrait fut peint. Sa fraise large faite de plis très denses était également passée de mode. En somme, la femme porte des vêtements certes soigneusement taillés et à la qualité évidente, mais qui étaient en vogue durant sa jeunesse. Les habits noirs sont souvent associés au deuil, mais au XVIIe siècle, les teintures noires de qualité étant coûteuses et difficiles à produire, cette couleur était un signe de richesse et de statut social. Sa coiffe noire, formant une pointe sur le front (souvent appelée « pic de veuve »), n’était pas portée uniquement par les veuves, mais plus généralement par les femmes âgées. Le conservatisme vestimentaire était souvent considéré comme un signe de respectabilité chez les femmes âgées, mais la simplicité affichée des habits de cette femme pourrait également indiquer son appartenance à un groupe religieux comme les mennonites, qui prônaient une grande sobriété vestimentaire parmi leurs membres.
Le portrait de la Vieille femme avec un livre, toujours attribué à Rembrandt, a changé de mains plusieurs fois en France à la fin du XVIIIe siècle. Bien qu’une vente (1778) ait, de manière assez ambitieuse, présenté le tableau comme un portrait de la mère de Rembrandt, le sujet du tableau était complètement inconnu. Détaché de toute identification historique, l’attrait du tableau reposait alors uniquement sur sa valeur esthétique. Les catalogues de vente du XVIIIe siècle louaient systématiquement le haut degré de finition du tableau, le qualifiant d’œuvre de la « meilleure période » de Rembrandt – formule qui, à cette époque, faisait référence aux peintures lisses et maîtrisées des années 1630 plutôt qu’aux chefs-d’œuvre expressifs de ses dernières années. Ici, les surfaces relativement lisses du costume et du fond servent à concentrer l’attention sur le visage et les mains de la femme. Encadré par un large col blanc, son visage est modelé avec sensibilité par de petits coups de pinceau hachés ; de délicates touches de couleur attirent l’œil sur le pince-nez coincé entre ses doigts et donnent de l’éclat aux fermoirs métalliques et aux cordons suspendus à sa bible.

Note : 5 sur 5.

Portrait de jeune femme portant un chapeau à plumes

Alexis Grimou (1678-1733), Portrait de jeune femme portant un chapeau à plumes, 1730.
Huile sur toile.
Nice, musée des Beaux-Arts Jules Chéret, inv. N.Mba 6159
© Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice – François Fernandez

Texte : Yohan Rimaud, conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Draguignan.

Ce beau portrait féminin est l’un des plus ambitieux de la maturité de Grimou. Il représente une jeune femme de trois quarts, vêtue d’une robe bleutée brodée d’or, la main droite appuyée sur sa hanche, tenant de la gauche une cape bleue qui passe derrière son épaule et vient retomber derrière sa main droite. Un chapeau plat violine orné d’une grande plume surmonte le visage ovale du modèle, dont les cheveux tirés en arrière révèlent une perle accrochée à l’oreille droite. La pose du modèle, le cadrage de la composition, la subtile palette colorée brune, les détails luxueux du costume et des accessoires évoquent des modèles rembranesques, parmi lesquels un tableau en particulier, décrit par Lebrun dans le catalogue de la vente Poullain en 1780 comme l’« un des plus connus et des plus estimés [tableaux] de ce Maître ». Grimou aurait ainsi pu penser la composition de Nice comme une sorte de réponse à Rembrandt. Son tableau témoigne, quoi qu’il en soit, de sa parfaite maîtrise de la technique picturale flamande.
La figure est posée sur un fond uni brun, travaillée en glacis ocre-brun sur lesquels sont posées les teintes les plus claires. Ainsi les aplats clairs du visage, du cou et des mains détachent-ils le modèle de la pénombre du fond, tandis que dans la manche, le col de la chemise, le poignet droit et les plis de la robe, des coups de pinceau blancs contribuent à projeter la figure vers l’avant. Il existe au moins trois versions du tableau, qui témoignent de la réussite de cette invention. Grimou n’hésitait pas à répéter ses peintures les plus appréciées, ainsi que le montrent les nombreuses versions de l’Espagnolette.

Note : 5 sur 5.

Tête de vieillard

Jean Honoré Fragonard (1732-1806), Tête de vieillard, vers 1768-1770.
Huile sur toile.
Amiens-Métropole, musée de Picardie, inv. M.P.Lav.1894-144
© Musée de Picardie – Michel Bourguet

Texte : Marie-Anne Dupuy-Vachey, historienne de l’art.

La prédilection de Fragonard pour les figures d’hommes d’un certain âge, arborant fièrement barbe et moustache également fournies, le crâne éventuellement dégarni comme dans la toile du musée d’Amiens, se manifeste très tôt dans sa carrière. L’une de ses toutes premières toiles datées, Jéroboam sacrifiant aux idoles, Grand Prix de l’Académie royale (1752), présente déjà une belle série de têtes de ce type. Même quand le sujet ne le nécessite pas, l’artiste aime placer dans ses compositions des personnages d’un âge mûr. Le Lavement des pieds peint en 1755 pour la cathédrale de Grasse montre des apôtres ayant largement dépassé la trentaine qu’ils sont pourtant censés avoir à l’époque de l’épisode représenté. Le grand Coresus et Callirhoé, morceau d’agrément à l’Académie (1765), en représente également plusieurs. C’est dans ces années 1763-1768, où la personnalité de l’élève de Boucher s’affirme, que l’on situe une dizaine de têtes de vieillards peintes indépendamment de tout contexte historique, religieux ou narratif, même si l’on a parfois voulu y reconnaître ici un saint Pierre – c’est le cas pour la toile d’Amiens –, là un saint Jérôme, ou encore un philosophe. Quoique peintes prestement, elles ne peuvent pas être considérées comme des études préparatoires.
On ne connaît la Tête de vieillard d’un format rond, exposée au Salon de 1767, que par le commentaire dédaigneux de Diderot : « Cela est faible mou, jaunâtre ; teintes variées, passages bien entendus, mais point de vigueur. Ce vieillard regarde au loin. Sa barbe est un peu monotone, point touchée de verve ; même reproche aux cheveux, quoiqu’on ait voulu l’éviter. Couleur fade. Cou sec et roide. » Un autre critique n’est pas moins sévère : « la gravité de la figure n’admet pas ces touches claires, qui sont trop disparates ». Celui du Mercure de France se montre plus connaisseur en la trouvant « peinte dans le goût du Guide ». Cette comparaison pourrait tout aussi bien s’appliquer au tableau picard, dans lequel Jean-Pierre Cuzin reconnaît le souvenir « des prototypes italiens, surtout bolonais, […] où la référence aux Têtes d’apôtres d’un Guido Reni paraît flagrante dans le jeu ondoyant des touches rapides en pleine pâte qui pétrissent les volumes construits […] grâce à un éclairage venant de l’arrière ». On pourrait aussi citer un autre Bolonais, le Guerchin, copié à maintes reprises par Fragonard sur le chemin du retour en France en 1761. Toutefois, les touches de bleu acier effleurant de longs rubans jaunes sur fond violine créent ici une harmonie veloutée qui puise dans le répertoire rembranesque.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES POUR LES VISITEURS

Quoi ?
Le phare Rembrandt. Le mythe d’un peintre au siècle de Fragonard.
Cette exposition est organisée par le musée des Beaux-Arts de Draguignan et labellisée d’intérêt national par le ministère de la Culture.
Commissaire : Yohan Rimaud, conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Draguignan.

Comment ?
L’exposition est accompagnée par une très riche programmation d’activités culturelles : visites guidées (en français, anglais et LSF), conférences, balades musicales, bals et spectacles, ateliers et projections. Le détail est disponible dans l’agenda du musée.
Le catalogue de l’exposition, dirigé par Yohan Rimaud, est publié aux éditions in Fine (304 pages, 180 illustrations, 35 euros).