EXPOSITION # 54

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Paris-Bruxelles, 1880-1914
Effervescence des visions artistiques

La nouvelle exposition du Palais Lumière est inédite dans son intention et par sa nature. Elle présente un panorama des grands mouvements artistiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle à travers près de 400 œuvres issues d’une collection privée. Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques permet aux visiteurs de naviguer à travers 10 courants artistiques par le biais de peintures, dessins, aquarelles, estampes, affiches, livres et revues illustrés… d’artistes français et belges reconnus ou plus confidentiels.

Phillip Dennis Cate, commissaire scientifique de l’exposition et spécialiste de l’art français du XIXe siècle a minutieusement choisi les œuvres. Le garant de ces créations ? Un particulier désireux de conserver son anonymat. Sa collection privée renferme plus de 5 000 œuvres inédites, assemblées depuis 25 ans dans le but de documenter en profondeur les différents mouvements artistiques qui ont marqué l’histoire de l’art au cours de cette période. Au fil des ans, le collectionneur s’est intéressé à la fois aux artistes considérés comme majeurs, mais également aux artistes peu représentés auprès du grand public mais très actifs dans les mouvements d’avant-garde. Les visiteurs pourront ainsi découvrir l’influence du thème de Paris, de sa banlieue et de ses campagnes, Montmartre et ses lieux de divertissement, le rayonnement de l’art japonais sur l’art européen, le symbolisme comme moyen d’évasion, la Bretagne et Pont‑Aven, le néo-impressionnisme, les Nabis, les Vingt (cercle artistique bruxellois d’avant-garde) ou encore le portrait.

1882 marque le début de la période d’expansion d’Évian qui passe d’une petite ville haut-savoyarde à une ville-monde où se croisent et se côtoient nombre d’artistes tels que Marcel Proust, Gustave Eiffel, les frères Lumières ou encore Anna de Noailles. Des personnalités telles que les maharadjahs de Kapurthala et Baroda (Inde) y séjournent en 1912 et 1913. Le grand collectionneur lyonnais, le Baron Jonas Vitta, achève la construction de sa villa La Sapinière en 1896. Mécène et ami des plus grands artistes de son temps comme Auguste Rodin, Jules Chéret, Albert Besnard, Félix Bracquemond ou Alexandre Charpentier, il leur confie la décoration de cette grande demeure d’inspiration palladienne avec campanile et terrasses. C’est donc tout naturellement que l’exposition Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques trouve sa place au Palais Lumière, lieu emblématique de cette ville lacustre chargée d’histoire.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

Proposée par les commissaires de l’exposition
Phillip Dennis Cate, directeur émérite du Jane Voorhees Zimmerli Art Museum,
commissaire indépendant et spécialiste de l’art français du XIXe siècle
et William Saadé, conservateur en chef honoraire du patrimoine,
commissaire d’exposition et conseiller artistique du Palais Lumière depuis 2005.

Note : 5 sur 5.

Charles Lacoste

Charles Lacoste, Paris, rue de nuit, 1901
Huile sur carton, 48,3 × 57,7 cm
Collection privée © Photo Michiel Elsevier Stokmans

Le ciel de Paris, la Seine, la lumière, les reflets constituent les sujets de prédilection de Charles Lacoste, dont la peinture se distingue par une absence d’épaisseur. Le flou et l’évanescent, qui s’opposent aux formes solides et souvent géométriques des monuments et des immeubles, caractérisent ses paysages urbains aux accents symbolistes. Ces vues de Paris constituent des sortes d’instantanés émotionnels. Ce terme convient également aux compositions parisiennes de Guilloux, peintes dans une opposition de teintes binaires, que l’artiste qualifie de « bonnes combinaisons d’émotion ». Il remarque que les couleurs sont porteuses de sensations comme « l’orange foncé – outremer » évoquant la « douleur, [le] deuil ». Si la plupart des vues de Paris peintes par Charles Lacoste sont immédiatement identifiables en raison de la présence de monuments célèbres comme la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre ou encore le pont des Arts, elles restituent surtout l’atmosphère poétique d’un quartier à différentes heures du jour ou de la nuit. Metteur en scène du paysage parisien, l’artiste compose des nocturnes ou les lampadaires allumés, posés régulièrement le long des trottoirs, indiquent la profondeur de l’espace. S’inspirant d’un lieu réel, il compose des paysages décoratifs imprégnés de mélancolie. Son Paris, rue de nuit est proche de l’atmosphère du poème de Baudelaire, À une passante, où, dans la rue déserte, la silhouette furtive d’une femme vêtue de noir suscite le fantasme.

Note : 5 sur 5.

Les Incohérents

Émile Cohl, Henri Patrice Dillon, Henri Gray, Henri Boulanger (dit),
Henri Pille, Charles Henri Pille (dit), ≪ Exposition des Arts Incohérents ≫, 1893
Lithographie, 157,5 × 117 cm
Collection privée © Photo Michiel Elsevier Stokmans

« Il me semble qu’en face du chef-d’œuvre de Michel-Ange, Moïse,
le véritable artiste aujourd’hui doit dire : je voudrais faire tout autre chose. »
Henri Detouche, « Incohérent », Panurge, 18 novembre 1882

Si les termes « ready-made », « objet de récupération », « mono-chrome », « absurde », « humour », « assemblage », « calembour visuel », « performance » et « art conceptuel » font partie du vocabulaire communément utilisé pour décrire des aspects majeurs de l’avant-garde des XXe et XXIe siècles, ce n’est que récemment que nous avons pu déterminer l’origine de cet état d’esprit précurseur : un groupe fin de siècle, aussi méconnu qu’extraordinaire, d’artistes et écrivains parisiens, fondé en 1882 par l’auteur et éditeur Jules Lévy, et qui se faisait appeler « Les Incohérents ». Si les Incohérents sont si longtemps restés absents des annales de l’histoire de l’art, c’est parce qu’il s’agissait d’un groupe « anti-art » qui s’exprimait par l’humour – notamment par d’absurdes calembours visuels et autres jeux de mots et d’images – et utilisait des médiums le plus souvent éphémères ; ils ne furent pas pris au sérieux par les critiques de l’époque, justement parce qu’ils étaient trop avant-gardistes. Les Incohérents passaient pour de simples praticiens, non pas de l’art, mais de l’« esprit français » tel que l’avait défini au XVIe siècle François Rabelais. D’emblée, les Incohérents promurent l’idée que n’importe qui pouvait créer de l’art, ce qui allait totalement à l’encontre de l’establishment artistique. À la fin du XIXe siècle, les marchands de tableaux d’Europe et des États-Unis firent des toiles impressionnistes et postimpressionnistes le fleuron de l’art commercialisable ; les historiens de l’art leur emboîtèrent le pas. Les œuvres éphémères n’étaient pas considérées comme financièrement rentables, ni d’ailleurs comme une forme d’art intéressante. Et pourtant, ce sont justement les activités, philosophies et productions des Incohérents qui inspirèrent par la suite les artistes expérimentaux du XXe siècle, puis du XXIe siècle. Il existe en effet des liens directs entre les Incohérents et les dadaïstes, surréalistes et auteurs d’art conceptuel. En 1966, Marcel Duchamp raconte que lorsqu’il arriva à Paris, au début du XXe siècle, il s’installa à Montmartre avec son frère aîné, Jacques Villon. Peu intéressé par les impressionnistes et les tenants d’autres courants artistiques, il leur préférait les illustrateurs de journaux humoristiques, tels son frère et Charles Léandre, ainsi que l’Incohérent Adolphe Willette. En fait, comme Picasso, Duchamp entama sa carrière parisienne comme illustrateur de journaux satiriques, à l’instar de nombreux Incohérents. Ce n’est pas pure coïncidence si Duchamp, à la manière de l’Incohérent Sapeck (Eugène Bataille), altéra l’image de la Joconde en l’affublant d’un bouc et d’une moustache.

Note : 5 sur 5.

Lucien Levy-Dhurmer

Lucien Levy-Dhurmer, Regrets, 1899
Huile sur toile, 43,5 × 21 cm
Collection privée © Photo Michiel Elsevier Stokmans

L’œuvre du symboliste Lucien Levy-Dhurmer (1865-1953) multiplie les femmes mélancoliques, les incarnations de l’automne et les figures du silence ou de l’énigme, au moyen d’un traitement virtuose du pastel. Si certaines œuvres, telles Circé et Hélène de Troie (collections privées), mêlent références homériques et contemporaines (dans ces deux œuvres, le décor qui accompagne les héroïnes n’est autre que Paris, désignant une actualisation des mythes), nombre d’autres pastels relèvent d’une intemporalité mystérieuse et poétique. C’est le cas du triptyque à l’huile L’Eden, exposé au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1899 et dont il existe une réplique au pastel et des reprises partielles. L’huile Regrets, version isolée de la partie droite du triptyque (les deux autres étant Émoi et Passion), s’inscrit dans la vision symboliste que le peintre donne de l’iconographie traditionnelle de l’histoire d’Adam et Ève. Levy-Dhurmer s’éloigne de la seule signification biblique pour évoquer les affres de l’amour sur un plan plus humain que théologique. Donnant à la femme nue, vue de dos, et dotée d’une coiffure contemporaine, la posture d’une pleureuse, l’artiste traite le personnage et le paysage dans une harmonie de bleus, jusqu’à presque les confondre. Couleur favorite de Levy-Dhurmer, ce chromatisme nocturne érige le paysage en sanctuaire de l’âme. La fusion de l’humain avec la nature ou le mystère de villes comme Bruges, Venise et Istanbul, est caractéristique du peintre entre 1896 et le début du XXe siècle. Sa pratique, plastique comme iconographique, atteint à une déréalisation qui projette le spectateur dans un autre monde.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES

Quoi ?
Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques

Cette exposition est organisée par le Palais Lumière de la Ville d’Évian.
Commissaire scientifique : Phillip Dennis Cate, directeur émérite du Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, commissaire indépendant et spécialiste de l’art français du XIXe siècle.
Commissaire général : William Saadé, conservateur en chef honoraire du patrimoine, commissaire d’exposition et conseiller artistique du Palais Lumière depuis 2005.

Comment ?
Des visites commentées de l’exposition sont proposées par l’équipe du musée, pour les individuels et les familles.
Le catalogue de l’exposition est publié par le Palais Lumière Évian et In Fine éditions d’art. (304 pages, 365 illustrations, bilingue français-anglais, 39 euros).