EXPOSITION # 39

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

François Chifflart. L’insoumis.

La Maison de Victor Hugo poursuit son cycle, débuté en 2021, d’expositions monographiques consacrées à des peintres liés à Victor Hugo. Après François-Auguste Biard, Louis Boulanger et Georges Hugo, c’est François Chifflart (1825-1901) qui est mis en lumière cet automne à travers 170 pièces rassemblées pour l’occasion. Le musée rend hommage à ce maître du noir et blanc complétant son fonds important par des prêts de nombreuses institutions, notamment du musée de l’Hôtel Sandelin de Saint-Omer et de la Bibliothèque nationale de France, offrant ainsi une rétrospective à un artiste qu’il importait de faire redécouvrir.

Né à Saint-Omer en 1825, François Chifflart se forme à l’École des Beaux-Arts de Paris, ville où il demeurera jusqu’à sa mort, en 1901. Son esprit indépendant et révolté contre l’académisme et le pouvoir en place a raison de la carrière prometteuse qui s’offrait à lui après l’obtention du grand prix de Rome en 1851. Cet admirateur de Hugo exprimera son talent dans les arts graphiques : aquafortiste hors pair, il participe par ses « improvisations sur cuivre » au renouveau de l’eau-forte ; dessinateur inspiré, il réalise des illustrations des Travailleurs de la mer en 1869, puis exécute les dessins pour Notre-Dame de Paris et La Légende des siècles, devenues depuis des icônes hugoliennes. Pour Le Monde illustré, il fixe aussi dans la mémoire collective les incendies parisiens de la Commune.

Après avoir consacré sa thèse à Chifflart et assuré le commissariat de l’exposition François Chifflart, graveur et illustrateur au musée d’Orsay (octobre 1993), Valérie Sueur-Hermel répond à l’invitation de Gérard Audinet – directeur de la Maison de Victor Hugo et passionné par l’œuvre de François Chifflart – à partager le commissariat de l’exposition, offrant aux visiteurs l’occasion de (re)découvrir l’œuvre de cet artiste méconnu et oublié du plus grand nombre. L’exposition sera présentée au musée Sandelin de Saint-Omer du 20 avril au 28 août 2025.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

présentées par les commissaires de l’exposition
Gérard Audinet
, directeur des Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey,
et Valérie Sueur-Hermel, conservatrice générale des bibliothèques,
responsable des collections du XIXe siècle, département des Estampes et de la Photographie, Bibliothèque nationale de France.

Note : 5 sur 5.

Les Faust du Salon de 1859

Alfred Bahuet, d’après François Chifflart, Faust au sabbat,
lithographie d’après le fusain présenté au salon de 1859, collection particulière.
© photo Thomas Hennocque

Alfred Bahuet, d’après François chifflart, Faust au combat,
lithographie d’après le fusain présenté au salon de 1859, collection particulière.
© photo Thomas Hennocque

Exposés au Salon de 1859, Faust au sabbat et Faust au combat, deux dessins au fusain grouillant de créatures fantastiques, véritables visions traduites par le clair-obscur, attirent l’attention sur le transfuge romain qu’est François Chifflart. Ils surprennent la critique, peu habituée à ce pas de côté de la part d’un grand prix de Rome de peinture historique. C’est pour certains commentateurs le prétexte à une transposition littéraire à travers de longues descriptions pittoresques qui rendent hommage à Goethe autant qu’à Chifflart. Ainsi les plumes d’Ernest Chesneau et de Théophile Gautier se sont-elles laissé emporter par le sujet emprunté au Premier Faust de Goethe (1808), pour le Faust au sabbat, et au Second Faust (1832), pour le Faust au combat, tous deux traduits par Gérard de Nerval. La nuit du sabbat se déroule au sommet du Brocken où Faust a été conduit par Méphistophélès. Dans les nuées, le ballet des sorcières escorte le spectre de Marguerite. À la tentation de l’amour à laquelle est soumis Faust répond celle de la puissance. L’empire qu’il habite sombre dans l’anarchie ; secondé par Méphistophélès, il parvient à sauver l’empereur de ses ennemis. Non sans avoir évoqué le « goût tout à fait romantique » des deux dessins, la formule la plus poétique revient à Charles Baudelaire qui, louant le style « beau et grandiose » des Faust, les qualifie de « rêve chaotique ». Le passage élogieux qu’il consacre à Chifflart est autant redevable au plaisir esthétique qu’à l’étonnement de voir un prix de Rome manifester une telle individualité : « M. Chifflart est un grand prix de Rome, et, miracle ! il a une originalité. Le séjour dans la ville éternelle n’a pas éteint les forces de son esprit. » Par le choix de son sujet, le dissident de l’Académie s’inscrit délibérément dans la mouvance romantique et dans la lignée d’Eugène Delacroix qui, en 1828, a publié une suite de dix-sept lithographies illustrant le drame de Goethe. Le choix de la technique du fusain que le dessinateur n’a pas hésité à adapter aux dimensions de la peinture d’histoire ne manque pas d’audace. À l’exception d’Alexandre-Gabriel Decamps qui a présenté trois dessins consacrés à l’Histoire de Samson au Salon de 1845, rares sont les artistes à y avoir recours. Le renoncement à la couleur instaure une distance par rapport au réel qui, par le biais du clair-obscur, ouvre la voie à l’art fantastique. Malgré le succès remporté auprès de la critique, étendu au grand public grâce à leur diffusion par les photographies de Bingham, publiées par Alfred Cadart dans l’album de 1859 et mises en vente chez de nombreux marchands, ces fusains n’ont pas été achetés au moment du Salon. Vingt ans plus tard, après une demande d’acquisition refusée en 1879 par le ministère des Beaux- Arts, la Ville de Paris finit par les acquérir le 28 juillet 1883. D’abord accrochés aux murs de la buvette de l’Hôtel de Ville, ils entrent en 1902 dans les collections du musée du Petit Palais et sont alors reproduits en lithographie par Alfred Bahuet.

Note : 5 sur 5.

Martyrs chrétiens livrés aux bêtes

François Chifflart, Martyrs chrétiens livrés aux bêtes, vers 1856.
Huile sur toile, 265 × 199 cm
Boulogne-sur-Mer, Château-Musée comtal © photo Xavier Nicostrate

En 1855, Chifflart est à la Villa Médicis depuis quatre ans en qualité de lauréat du premier grand prix de Rome de peinture historique. Il s’est fait remarquer par son indiscipline, ne respectant pas les exigences du règlement pour la troisième année durant laquelle il ne livre aucun des travaux attendus des élèves. L’année suivante, il envoie huit œuvres (quatre toiles et quatre dessins) dans lesquelles affleure une personnalité originale, peu soumise à la doxa académique. L’esquisse peinte représentant Les Chrétiens au cirque répond avec un an de retard aux exigences de troisième année. Il y fait dialoguer le registre céleste, d’inspiration classique, dominé par la figure du Christ en gloire entouré des saints et des anges distribuant des couronnes, et le registre terrestre, où grouillent des hommes et des femmes attaqués par les fauves, dans lequel il exprime ses goûts romantiques. La toile peinte en grisaille (aujourd’hui disparue) n’est connue que par la photographie de Bingham publiée dans l’album Œuvres de M. Chifflart, grand prix de Rome, en 1859, par Alfred Cadart, son beau-frère. Parmi les envois de quatrième année figurait un dessin au fusain (non retrouvé), intitulé Martyr défendant son ami contre un lion, qu’il convient de rattacher au même ensemble. Théophile Gautier, qui l’a remarqué lors de son exposition à l’École des beaux-arts en octobre 1856, note que « M. Chifflart devrait bien traduire cette esquisse en tableau ». L’artiste a suivi le conseil du critique tout en remplaçant le jeune homme défendu par une jeune femme pour laquelle il reprend la pose de sa Zénobie précipitée dans l’Araxe, envoi de dernière année, connu par une eau-forte gravée d’après sa peinture. Si l’influence exercée par les fresques de la chapelle Sixtine, en particulier par le Jugement dernier, ne laisse aucun doute devant les Chrétiens au cirque, la fascination de l’artiste pour Michel-Ange se manifeste ici par le souvenir du groupe sculptural de la Pietà de la basilique Saint-Pierre auquel Annibale Carracci a fait référence dans celle qu’il a peinte pour le cardinal Farnèse. Une des nombreuses estampes d’interprétation d’après cette œuvre a probablement guidé Chifflart pour le dessin du corps inanimé de la martyre. La gamme chromatique est caractéristique de sa palette, dominée par ces tons brunâtres et blanchâtres qu’il affectionne déjà et qui, plus tard, font dire à la critique qu’il est fait pour la grisaille. Le rose du drapé du martyr introduit néanmoins une note inattendue que le jeune concurrent au prix de Rome de 1851 avait déjà utilisé pour le drap du lit de mort du fils de Périclès. Jamais exposé, ce tableau se trouvait dans l’atelier du peintre au moment de sa mort et a été acheté, en décembre 1901, lors de la vente après décès, pour le compte de la ville de Boulogne-sur-Mer, par Hubert Louis-Noël, dit Louis Noël (1839- 1925), sculpteur artésien, auteur d’une monographie sur Chifflart parue en 1902.

Note : 5 sur 5.

La bataille de Cannes

Étude pour La bataille de Cannes dédicacé à Victor Hugo, vers 1862-1863
Maison de Victor Hugo, Hauteville House, Guernesey, Inv. 2019.1.1.
© photo Thomas Hennocque

Des trois toiles par lesquelles Chifflart a porté à la connaissance du public parisien ses talents de peintre d’histoire, La Bataille de Cannes, inscrite au livret du Salon de 1863 sous le titre Combat, apparaît, par son format ambitieux, comme le morceau de bravoure d’un artiste à l’aube de sa carrière. Elle révèle tout à la fois l’ancien prix de Rome, fidèle aux sujets puisés dans l’Antiquité qui lui étaient devenus familiers, et le tempérament romantique féru de visions épiques et de tension dramatique. Bien que le titre du Salon le gomme, l’ancrage historique de cette mêlée antique est indiscutable. Le peintre a lu le récit que donne Tite-Live de la bataille qui opposa en 216 avant Jésus-Christ les Romains à l’armée d’Hannibal durant la deuxième guerre punique. Les détails vestimentaires comme les armes utilisées par chaque peuple (l’armée d’Hannibal était composée de Gaulois, de Libyens, d’Ibères et de Carthaginois) apparaissent fidèles à la description de l’historien. Mais ce qui frappe de prime abord, c’est la culture visuelle de l’artiste qui témoigne d’une parfaite assimilation des sources picturales romaines, en particulier des fresques des Chambres vaticanes (La Bataille du pont Milvius et Héliodore chassé du temple). Si le souvenir de Raphaël s’est imposé à lui, celui de Michel-Ange est tout aussi prégnant. Comme pour La Bataille de Cascina du maître vénéré, dont il a sans doute consulté des gravures, l’exécution d’une scène de combat est un prétexte à révéler sa science de l’anatomie humaine et équestre. Multipliant les angles de vue et les attitudes, abusant du raccourci, Chifflart donne un large aperçu de ses acquis scolaires. Il n’en évite pas toujours l’écueil : les postures et les visages de certains combattants laissent deviner les modèles d’atelier ou les stéréotypes des têtes d’expression. Les regards féroces des guerriers du camp d’Hannibal confrontés à la terreur des Romains suggèrent l’imminence du dénouement. Le peintre est parvenu à capter l’équilibre précaire du point culminant de la bataille. Il ne renonce à aucun effet pour suggérer le drame d’un combat aux allures de carnage. Plus que l’héroïsme des vainqueurs, c’est la barbarie qu’il met en avant. Mêlant, dans un désordre savant, hommes et chevaux, il n’hésite pas à traduire l’horreur de la scène en rejetant au premier plan cadavres et blessés ainsi qu’un corps décapité gisant sur une branche d’arbre arrachée, comme en a gravé Goya dans Les Désastres de la guerre. L’atmosphère étrange qui baigne la composition préserve de l’outrance d’un réalisme morbide et en tempère la violence. Le paysage aride de l’arrière-plan y contribue, de même que les tonalités chaudes d’ocre et de brun, qualifiées d’« harmonie roussie et enfumée », comparables à celles de La Bataille des Cimbres exposée au Salon de 1834 par Alexandre-Gabriel Decamps. Le sol, les plateaux rocheux, les chevaux et les corps des combattants sont peints dans un camaïeu quasi monochrome qui confère à l’ensemble « l’accent rude et abrégé du bas-relief ». Cette grande toile, la plus ambitieuse de la carrière de Chifflart, était encore dans son atelier à sa mort ; elle a été acquise lors de sa vente après décès, en 1901, par la Ville de Paris. Son format a compromis son exposition dans les salles de la Maison de Victor Hugo où elle est toutefois représentée grâce à un dispositif numérique.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES

Quoi ?
François Chifflart. L’insoumis.
Cette exposition est organisée par la Maison de Victor Hugo à Paris (Paris Musées). Elle sera ensuite présentée au musée Sandelin de Saint-Omer, du 20 avril au 28 août 2025.
Commissariat : Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey, et Valérie Sueur-Hermel, conservatrice générale des bibliothèques, responsable des collections du XIXe siècle, département des Estampes et de la Photographie, Bibliothèque nationale de France.

Comment ?
La Maison de Victor Hugo propose des visites conférences dans l’exposition, ainsi qu’un parcours pour les enfants. Par ailleurs, un concert sera donné au mois de mars par le Département de musique ancienne du Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Il mettra à l’honneur des compositeurs devenus amis de Chifflart pendant son séjour à Rome.
Un catalogue, rédigé par les deux commissaires de l’exposition, a été publié par les Éditions Paris Musée (192 pages, 175 illustrations, 30 euros).