EXPOSITION # 32

Note : 5 sur 5.

Donne di Corsica

Les musées de la Collectivité de Corse proposent pour 2024-2025 une thématique commune d’expositions temporaires « Donne di Corsica ». La Direction du patrimoine a souhaité mettre en synergie quatre établissements labellisés « musée de France » et ainsi proposer aux publics une offre scientifique et culturelle structurée à travers toute la Corse. Le public, corse et touristique, pourra découvrir des statuettes préhistoriques à Livia ; des pièces d’orfèvrerie étrusque inédites à Aleria ; des éléments d’anthropologie et d’historiographie à Corti. Enfin à Merusaglia, ce sont des collections historiques inestimables sur Maria Cosway qui seront exposées.

Pè u periudu 2024-2025, i musei di a Cullettività di Corsica pruponenu un tema cumunu di mostre tempuranie « Donne di Corsica ». A Direzzione di u Patrimoniu hà vulsutu mette in sinergia quattru stabilimenti certificati « museu di Francia » è prupone à i publichi un prugramma scentificu è culturale strutturatu attraversu a Corsica sana. Corsi o turisti averanu tandu l’occasione di scopre statulette preistoriche in Livia; pezze inedite d’oreficeria etrusca in Aleria; elementi d’antrupulugia è di sturiugrafia in Corti. Infine, in Merusaglia, seranu in mostra cullezzione storiche eccezziunale nantu à Maria Cosway.

Maria Cosway (1760-1838)

L’itinéraire singulier d’une artiste
L’exposition raconte le cheminement d’une femme brillante que tout prédestinait à une grande carrière d’artiste dans la High Society anglaise et qui, contre toute attente, trouvera sa véritable émancipation en renonçant à sa première vocation pour se consacrer à l’éducation des jeunes filles. Ami fidèle, Pasquale Paoli fut présent à chaque étape de cette vie singulière. Ses lettres à l’attention de Maria Cosway, tel un fil rouge, ponctuent les différentes sections de cette exposition.

A Strada eccezziunale di un’artista
A mostra conta a storia di una donna eccezziunale chì tuttu destinava à una grande carriera d’artista in l’Alta Sucetà inglese, è chì, à l’ispensata, truvò a so vera emancipazione abbandunendu a so prima vucazione per impignassi in l’educazione di e giuvanette. U so amicu fidatu Pasquale Paoli fù sempre prisente, in ogni fasa di quella vita fora di u cumunu. E so lettere à Maria Cosway ghjovanu di filu rossu è danu u so ritimu à e sequenze diverse di a mostra.

Dès son enfance en Toscane, le destin de Maria Cosway semble tout tracé : elle sera peintre. À Florence et à Rome, les artistes anglais qui croisent sa route lui prédisent un grand destin de peintre d’histoire. À Londres, où sa carrière débute avec l’exposition de ses œuvres à la Royal Academy of Arts, le succès est immédiat et elle n’a que 22 ans. Mariée à Richard Cosway, peintre officiel du prince de Galles, elle mène une existence fastueuse et reçoit toute la High Society londonienne dans ses salons musicaux. Amie de Thomas Jefferson, de Letizia Bonaparte, du cardinal Fesch, du peintre Jacques Louis David ou du sculpteur Antonio Canova, elle tisse un véritable réseau d’influence à travers le monde. Surnommée « la dixième muse » par son complice Pasquale Paoli, elle attire tous les regards mais continue de chercher sa véritable place. Défiant toutes les prédictions, Maria Cosway trouvera finalement son émancipation dans une toute autre voie: l’éducation des jeunes filles. C’est l’itinéraire singulier de cette femme extraordinaire qui va vous être conté.

En exil à Londres, Pasquale Paoli devient un assidu des soirées musicales de « la dixième muse » après être immédiatement tombé sous son charme. Dès leur rencontre en 1782, s’amorce une correspondance régulière qu’ils entretiendront pendant plus de vingt ans. Ce sont principalement les lettres de Paoli qui nous sont parvenues. Entre déclarations ferventes et complicité intellectuelle, leur relation se fonde sur des échanges autour de l’art, le théâtre, la littérature et la musique. Paoli lui présente James Boswell et l’illustre homme de lettres Samuel Johnson. Il est un pilier paternel dans la vie de Maria et devient même le parrain de sa fille Louisa Paolina Angelica née en 1790. Dans les lettres écrites à la fin de l’année 1792, les deux amis imaginent leurs retrouvailles en Corse où se trouve Paoli tandis que Cosway est en Italie. Maria ne foulera finalement jamais le sol de l’île mais cette exposition les réunit d’une autre manière aujourd’hui.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

Proposées par
Isabelle Latour, 
Directrice du Musée Maison natale de Pascal Paoli, Morosaglia
Museu Casa Nativa di Pasquale Paoli, Merusaglia

Note : 5 sur 5.

Gravures d’Antoine Cardon

Fig. 1 : Planche 2, A Progress of Female Virtue
Antoine Cardon d’après Maria Cosway, A Progress of Female Virtue [Progrès de la vertu féminine],
A Progress of Female Dissipation [Progrès des distractions féminines], 1800
Gravures et aquatintes rehaussées de gouache blanche et brune,
publiées par Rudolph Ackermann, The Repository of Arts, 33,5 x 28 cm
New Haven, Yale University Art Gallery, don de Joseph Lanman Richards,
inv. 1980.35.1a-I, 1980.35.2a-i © CCO

Fig. 2 : Planche 2, A Progress of Female Dissipation

Fig. 3 : Planche 4, A Progress of Female Virtue

Fig. 4 : Planche 4, A Progress of Female Dissipation

Texte : Amandine Rabier, historienne de l’art, commissaire de l’exposition.

« Cela fait deux ans que je suis ici, mon établissement se porte très bien et j’ai la consolation d’être mère de 60 enfants. Rien n’est plus intéressant que de se rendre utile à ses semblables, et quel meilleur moyen que de faire leur éducation ! » À la mort de sa fille (1796), l’éducation des jeunes filles devint progressivement, pour Maria Cosway, un refuge sacerdotal. Avant l’ouverture de son école à Lyon (1803), elle aurait eu une première expérience pédagogique, au milieu des années 1790, dans un établissement à Knightsbridge. Mais c’est par le dessin que nous pouvons d’abord observer ses principes éducatifs destinés aux jeunes filles. Sa collaboration avec Rudolph Ackermann fut décisive. Éditeur de gravures, ce dernier possédait une boutique (The Repository of Arts) sur le Strand à Londres.

En 1800, Ackermann publia deux albums de Maria Cosway, intitulés A Progress of Female Virtue et A Progress of Female Dissipation. Gravés par Antoine Cardon d’après les dessins de Cosway, ces recueils décrivent respectivement le chemin à suivre pour devenir une jeune femme vertueuse et celui à réprouver pour échapper à la vacuité d’une existence superficielle.  Cosway s’inscrivait ainsi dans la tradition littéraire des « livres de conduite ». Deux personnalités aussi différentes que Madame de Genlis et Mary Wollstonecraft, dont les travaux sur l’éducation précédèrent ceux de Cosway, étaient des références en la matière.

Wollstonecraft, considérée comme un emblème du protoféminisme, commença par publier ses Thoughts on the Education of Daughters dès 1787 et Original Stories from Real Life, l’année suivante. Ces ouvrages lui avaient été inspirés par ses expériences pédagogiques dans l’école pour jeunes filles qu’elle ouvrit en 1784 à Newington Green (au nord de Londres), puis en tant que gouvernante (1786) en Irlande chez Robert King, vicomte Kingsborough.

Maria Cosway et Mary Wollstonecraft étaient de la même génération et vivaient toutes deux à Londres à la fin des années 1780, tout en évoluant dans des sphères opposées. Après avoir grandi à Florence dans un milieu bourgeois, culturellement ouvert, accueillant des personnalités originales et raffinées, Maria fut contrainte au mariage avec l’artiste fortuné Richard Cosway, de dix-huit ans son aîné, qui la fit entrer dans la High Society anglaise. Mary, de son côté, fut élevée à Spitalfields puis en dehors de Londres par un père ivrogne et tyrannique. Célibataire, puis « fille-mère », elle n’eut d’autre choix que de vivre de sa plume. Selon Cosway, l’éducation était nécessaire pour devenir une femme accomplie. Selon Wollstonecraft, elle était plutôt un droit à conquérir afin de garantir l’égalité entre les sexes.

Malgré leurs différences, Maria et Mary avaient des relations communes. Henry Fuseli et William Blake côtoyaient le couple Cosway et frayaient avec le cercle prorévolutionnaire de l’éditeur Joseph Johnson auquel appartenait Mary Wollstonecraft. Blake illustra la deuxième édition (1791) de Original Stories de Wollstonecraft dont on peut imaginer qu’elle fut une source d’inspiration littéraire et esthétique pour Cosway.

Dans ses albums, Maria dissémine ses recommandations de l’enfance à l’âge adulte : elle encourage les petites filles à étudier (l’artiste représente une fillette délaissant ses jouets pour s’exercer à la lecture [fig. 1]), elle valorise les actes de charité, la fidélité dans le mariage, les soins d’une mère à son enfant. À l’inverse, elle réprouve la contemplation de soi, matrice de toutes les vanités. Maria figure cette fois une petite fille abandonnant sa poupée pour se regarder dans un miroir (fig. 2) ; elle blâme la mère qui abandonne sa progéniture pour se perdre en mondanités et se moque de la futilité de celles qui cancanent à l’heure du thé.

Cosway fait de la pratique du dessin une vertu : une jeune artiste est représentée près de son chevalet, dessinant face à une fenêtre ouverte sur la nature minutieusement observée (fig. 3). À l’inverse, la musique est assimilée à une activité frivole à travers une harpiste admirant son reflet (fig. 4).

La formation du regard joue un rôle important dans la méthode pédagogique de Madame de Genlis. Cosway fit sa connaissance lors de son premier voyage à Paris en 1786. Les ouvrages de Genlis destinés à réformer l’éducation, en particulier celles des filles, circulaient largement au XVIIIe siècle. Préceptrice des princesses et princes d’Orléans, elle louait déjà dans son édition d’Adèle et Théodore (1782) l’enseignement du dessin dispensé aux deux enfants. Dans Les Veillées du château, ou Cours de morale à l’usage des enfants, Anne L. Schroder montre combien Madame de Genlis insiste sur la valeur pédagogique de l’art, où la vertu humaine prend visuellement forme, et développe chez les plus jeunes la raison, l’intuition et l’imagination.

On ne peut s’empêcher de voir dans la comparaison de ces deux activités que Maria Cosway maîtrisait elle-même avec virtuosité, l’expression de deux faces opposées de sa personnalité. Malgré sa passion pour la musique, c’est ici la pratique du dessin que Maria fait prévaloir dans son enseignement des vertus.

Note : 5 sur 5.

Portrait de Paoli, par Richard Cosway

Fig. 1 : Richard Cosway, Portrait du Général Paoli, vers 1798
Huile sur toile, 69 x 45,4 cm
Florence, Gallerie Degli Uffizi, inv. 1890 n577
© Gabinetto Fotografico delle Gallerie degli Uffizi

Texte : Isabelle Latour, directrice du Museu Casa Nativa di Pasquale Paoli, Merusaglia.

En 1798, Richard Cosway expose à la Royal Academy (n°71) un portrait en demi-buste de Pascal Paoli (fig. 1). Le général, regard volontaire, porte une armure avec l’égide à tête de méduse. Il tient un casque empanaché de plumes écarlates.

La représentation de Pasquale Paoli en farouche guerrier n’est pas nouvelle. En 1769, alors qu’il se rend à Londres où il vivra exilé jusqu’en 1790, Suzanne Caron exécute à La Haye un portrait de Paoli en cuirasse sous un habit aux revers brodés (fig. 2). Cette image fantasmée du rebelle qui a défié la puissante armée du roi Louis XV correspond à celle qui se crée dans l’imaginaire de ses contemporains. Témoin de l’époque, le Français Coste d’Arnobat rapporte la déception des Hollandais qui, « [s’attendant] à voir un guerrier défiguré de cicatrices et couvert d’un habillement aussi terrible que sa contenance », rencontrent « un homme poudré à blanc mis comme tout le monde et de l’extérieur le plus doux et le plus honnête ».

Dans un portrait exécuté à la même période que celui peint par Richard Cosway, et exposé en 1799 à la Royal Academy (n°234), sir Thomas Lawrence propose une autre version de la figure héroïque de Paoli (fig. 3). Sur un fond sombre, en habits civils, se détache le visage du général vieillissant, fixant de son regard magnétique le spectateur du tableau. Cette description est fidèle à l’image que ses contemporains se font de Pascal Paoli et que l’Histoire a conservée. Celle d’un chef d’État, homme des Lumières, penseur, initiateur et ordonnateur d’institutions politiques nouvelles, fervent défenseur du droit et de la justice.

La lecture de la correspondance qu’a entretenue le général avec Maria Cosway laisse découvrir une autre facette du personnage. Paoli s’y révèle mondain, sensible, homme de lettres et cultivé, aux antipodes de la représentation rêvée du guerrier conquérant qu’a exécutée Richard Cosway. C’est pourtant ce portrait que Maria Cosway a gardé avec elle sa vie durant, preuve de l’indéfectible amitié qui la liait au général, avant de le léguer à la galerie Palatine du palais Pitti de Florence où il est aujourd’hui encore conservé.

Fig. 2 : Jacob Houbraken d’après Suzanne Caron,
Portrait de Pascal Paoli en buste portant une cuirasse sous un habit aux revers brodés, 1769,
eau-forte, 53×57 cm,
Corse, Merusaglia, musée maison natale de Pasquale Paoli, inv. MDM 2016.7
© Cullettività di Corsica – Museu Casa nativa Pasquale Paoli/DR

Fig. 3 : Thomas Lawrence, Portrait de Pascal Paoli, 1794,
huile sur toile, 102×89 cm,
Corse, Merusaglia, musée maison natale de Pasquale Paoli, inv. MDM 993.2.1
© Cullettività di Corsica – Museu Casa nativa Pasquale Paoli/DR

Note : 5 sur 5.

La mort de Miss Gardiner, par Maria Cosway

Maria Cosway, The Death of Miss Gardiner [La Mort de Miss Gardiner], Signé et daté de 1789
Huile sur toile, 101,2 ´ 127 cm
Vizille, musée de la Révolution française, inv. MRF 1994-30
© coll. Musée de la révolution française – Département de l’Isère

Texte : Stephen Lloyd, conservateur de la collection Derby, Knowsley Hall, Merseyside.

The Death of Miss Gardiner [La Mort de Miss Gardiner] est une huile sur toile de grand format, ambitieuse et particulièrement originale. Peinte par Maria Cosway, elle est présentée lors de l’exposition d’été de 1789 de la Royal Academy (n° 101) sous le titre A dying child, summoned by the spirit of its deceased parent: an historical fact [Enfant agonisant, convoquée par l’esprit de sa défunte parente : un fait historique]. La date et la signature de l’artiste sont bien lisibles : Maria Cosway P. 1789. Avec le spectaculaire et aérien portrait en pied de Georgiana, Duchess of Devonshire, as Cynthia [Georgiana, duchesse de Devonshire, sous les traits de Cynthia], qui avait lancé avec tant d’éclat sa carrière d’artiste au sein de la Royal Academy de Londres en 1782, La Mort de Miss Gardiner peut être considérée comme l’expression la plus notable de Maria en matière de mysticisme dans la sphère privée, et de sensibilité féminine. On peut aussi y voir une réponse personnelle à la déclaration plus publique de Jacques Louis David, La Mort de Socrate (1787), que Maria a pu admirer lors de ses deux longs séjours à Paris en 1786 et 1787, qui lui a fait forte impression.

Au premier plan du tableau de Maria, deux figures féminines imposantes se tiennent dans un intérieur sombre, drapé sur la droite d’un épais rideau et éclairé dans l’angle supérieur gauche d’un halo de lumière céleste. La composition est dominée par la grande femme michélangelesque, vêtue d’une robe jaune et assise de profil, l’air inquiet. Elle tient tendrement la main d’une jeune fille au visage angoissé. Habillée de blanc et allongée sur un lit, celle-ci désigne, de son index droit, le ciel en direction du rayon lumineux qui se détache sur l’arrière-plan obscur.

Plusieurs articles relatifs à l’exposition d’été de la Royal Academy de 1789 ont révélé ce qui avait inspiré le singulier tableau peint par Maria Cosway. Le critique d’art du journal The World note avec satisfaction : « Miss Gardiner et sa tante, Lady Townshend, par Maria Cosway – d’après l’anecdote bien connue du rêve de Miss G. qui a vu sa mère après sa mort, et puis est morte à son tour. L’ensemble est très intéressant et agréable, quoique très contemplatif. » Celui du Times commente également l’œuvre : « Maria Cosway a, comme à son habitude, produit quelque chose qui sort de l’ordinaire. » Miss Florinda Gardiner (1774-1786) était la fille de Luke Gardiner, 1er vicomte Mountjoy (1745-1798) et d’Elizabeth Montgomery (vers 1751-1783), sœur d’Anne Montgomery (vers 1752-1817), seconde épouse de George, 1er marquis Townshend (vers 1751-1807).

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES

Quoi ?
Maria Cosway – 1760-1838 – A Strada eccezziunale di un’artista (L’itinéraire singulier d’une artiste)
Cette exposition est organisée par la Collectivité de Corse / Culletività di Corsica, au Musée Maison natale de Pascal Paoli, Morosaglia / Museu Casa nativa di Pasquale Paoli, Merusaglia.
Commissaire : Amandine Rabier, docteur en histoire de l’art.

Comment ?
L’exposition donne lieu à la publication d’un catalogue, dirigé par Amandine Rabier (coédition Direction du patrimoine de la Collectivité de Corse / Éditions Snoeck, 191 pages, 30 euros). Deux éditions sont proposées, l’une en français, l’autre en anglais.