EXPOSITION # 45

🇫🇷

Une vue de l’exposition « Amies de cour, amis de cœur » au château de Voltaire
© Sophie Balaska / Château de Voltaire

Note : 5 sur 5.

Amies de cour, amies de cœur

Le Centre des monuments nationaux propose au château de Voltaire, du 5 octobre 2024 au 10 mars 2025, l’exposition « Amies de cour, amies de cœur », fruit d’une collaboration entre la Société Voltaire, le centre MARGE de l’Université Lyon-3 (EA 3712) et le Centre international d’étude du XVIIIe siècle. L’exposition permettra de découvrir les relations entretenues par Voltaire et ses nombreuses amies, qu’elles entrent dans le cercle de ses relations intimes (Mme du Châtelet, Mme Denis) ou qu’elles évoluent dans le cercle plus distant des différentes cours européennes (Catherine II de Russie) ou des salons parisiens (Mme du Deffand). Le personnel et le politique sont-ils donc obligés de s’imbriquer sans cesse ? Est-ce là une marque de l’époque des Lumières ou est-ce au contraire une spécificité de Voltaire ? Cette tendance à mêler les genres s’est-elle accrue au moment où le patriarche emménage à Ferney ? Telles sont les questions qu’aborderont les différents espaces scénographiques de ce parcours ! En montant à l’étage noble du château, les visiteurs seront ainsi invités à côtoyer les amies – très nombreuses – qui ont accompagné Voltaire toute sa vie durant. Ils y retrouveront aussi quelques figures masculines décidément incontournables (Frédéric II, D’Alembert).

« Croyez-moi, mon cher Voltaire, vous auriez grand tort de vous brouiller avec moi ». En effet, explique la marquise du Deffand, « personne ne vous considère et ne vous aime davantage que la plus ancienne de vos amies… » Être l’amie de Voltaire serait-il donc un titre qu’on se dispute ? Nombreuses sont celles qui, en tout cas, peuvent prétendre à cette qualité. Il y a d’abord celles qui évoluent dans les différentes cours d’Europe, depuis la margravine de Bayreuth, sœur de Frédéric II, jusqu’à la marquise de Pompadour sans oublier, bien entendu, Catherine II, tsarine de toutes les Russies. Il y a celles qui lui permettent, tandis qu’il vit à Ferney, de garder un contact avec Paris : Mme du Deffand, bien sûr, mais aussi Mme d’Épinay, et, dans une moindre mesure, Mme de Graffigny… Il y a celles enfin dont l’écrivain est si proche que les sphères publique et privée se trouve inextricablement mêlées : à la marquise du Châtelet succède ainsi, non sans quelques turbulences, sa propre nièce, Mme Denis. Les amies de cour, ou de cœur, favorisent les échanges et permettent à Voltaire d’avoir un regard plus distant, plus réfléchi sur les réalités du monde qui l’entoure : c’est en cela, principalement, qu’elles nous intéressent aujourd’hui. La présente exposition autorisera toutes sortes de regards croisés (ceux, par exemple, des portraits qui se feront face) et permettra peut-être de réaliser ce que d’aucuns pressentaient déjà, voici près de 300 ans : le XVIIIe siècle est féminin, ou n’est pas !

L’exposition se présentera – mais pas seulement – comme une galerie de portraits, et principalement, on s’en doute, des portraits féminins. Rappeler qu’elles furent les amies de cœur de Voltaire, examiner dans quelle mesure elles ont pu être aussi – ou d’abord – des amies de cour aura deux vertus. Les visiteurs seront tout d’abord immergés dans la réalité des relations des hommes et des femmes du XVIIIe siècle, s’agissant bien sûr de la société que fréquentait Voltaire ou des petites sociétés dans lesquelles il était admis. Ils seront ensuite invités à évaluer la part du public et du privé dans un dialogue toujours ambigu qui mêle au désir de l’écrivain le souhait d’une relation parfaitement accomplie – seule manière de faire jouer le cœur dans la cour des grands.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

présentées par François Jacob,
président du Centre international d’études du XVIIIe siècle
et professeur à l’université Jean Moulin – Lyon 3,
co-commissaire de l’exposition.

Note : 5 sur 5.

Émilie du Châtelet ou la folle passion de Voltaire

Jean-Marc Nattier (1685-1766), Portrait de Madame du Châtelet
Huile sur toile, vers 1750
Collection Bibliothèque de Genève / Les Délices © Ville de Genève

Émilie de Breteuil (1706-1749), marquise du Châtelet, fut une femme de lettres, mathématicienne et physicienne éminente. Elle rencontre Voltaire en 1729 et sera sa compagne jusqu’en 1748. Leur liaison, qui a débuté en 1733, est synonyme de passion et de complicité intellectuelle. En 1745, elle s’attaque à la traduction en français de Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, l’œuvre majeure d’Isaac Newton. Publié en 1759 puis réédité en 2015, son livre demeure LA référence, Émilie du Châtelet étant encore aujourd’hui la seule traductrice de l’ouvrage initial. Ses contributions à la théorie newtonienne ont participé à ouvrir la voie à la physique moderne.
Ce portrait est une version partielle du tableau conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux et peint par Marianne Loir. Dans ce dernier, la marquise est représentée jusqu’au niveau des genoux, assise sur une chaise et elle tient une fleur ; sur une table à côté d’elle se trouve un instrument scientifique.

Note : 5 sur 5.

Madame Denis, la compagne des années ferneysiennes

Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine (1715-1771), Portrait de Marie-Louise Denis née Mignot, dite Madame Denis (1712-1790), soeur de l’artiste, vers 1737.
Pastel sur parchemin, 485 x 382 mm
MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève. Inv. 1878-0004
Don de Marc-Samuel Constant de Rebecque, 1830
© MAH Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève

« Vous êtes ma famille entière, ma cour, mon Versailles, mon Parnasse, et la seule ressource de mon cœur ». Tels sont les mots que Voltaire adresse à Mme Denis, le 28 février 1750, quelques mois après la disparition d’Émilie du Châtelet. La suite de ses relations avec sa nièce ne confirmera que trop cette déclaration pour le moins enthousiaste : « Il y a trente-deux ans que je vous aime de tout mon cœur, écrit ainsi « Maman Denis » à son oncle, le 23 avril 1769, et il y en a vingt-six que je vous suis attachée uniquement. Je ne changerai jamais ». Mme Denis reste effectivement la figure dominante des dernières années du philosophe, jusqu’à sa mort, en 1778.
Les historiens de la littérature s’en sont longtemps pris à elle avec une particulière véhémence. Comment ! Voltaire entretient des relations coupables avec sa propre nièce ! Comment peut-on justifier, sur le plan moral, un tel « arrangement » ? Celle qu’il appelle « Mme Daurade » a même failli, paraît-il, avoir un enfant… Toutes ces horreurs sont naturellement condamnées ou soigneusement occultées.
Ce n’est que récemment qu’on lui a rendu justice. D’abord en rappelant qu’elle devient l’intendante de la « maison » de Voltaire, d’abord aux Délices, puis à Ferney : « Votre sœur embellit les dedans de Ferney, écrit ainsi Voltaire à Mme Dompierre de Fontaine, en 1761, et moi je me ruine dans les dehors ». Ensuite en rappelant que la « rupture » d’une vingtaine de mois qui rythme les années 1768 et 1769 a mis Voltaire au désespoir. Et enfin en rappelant que, de manière paradoxale, Mme Denis n’a pas peu contribué à la reconnaissance du génie de son oncle.
Elle aime d’abord le théâtre : n’a-t-elle pas rédigé, en 1752, une Coquette punie ? N’excelle-t-elle pas, aux dires de Voltaire, dans les répétitions de ses prochaines tragédies ? « Nous venons de répéter Tancrède avec Mme Denis, écrit-il ainsi aux d’Argental, en septembre 1760. Je parie, et même contre vous, que Mlle Clairon ne joue pas si bien le quatrième acte ». Elle a ensuite veillé, avec un zèle particulièrement actif, à la sécurité de Voltaire, à son bien-être, à sa santé, à son confort : véritable maîtresse du domaine de Ferney, elle est l’ordonnatrice de la « cour » qui s’y organise et où convergent visiteurs, solliciteurs et pèlerins. Elle est enfin à l’origine du transfert de la bibliothèque de Voltaire à Saint-Pétersbourg et a ainsi permis – même s’il est probable que ce fait lui ait quelque peu échappé – qu’elle ne fût pas dispersée.
Amie de cœur, Mme Denis le fut certainement. « Si je meurs, lui écrit Voltaire en mars 1768, je meurs tout entier à vous ; si je vis, ma vie est à vous ».

Note : 5 sur 5.

Voltaire et Frédéric II de Prusse

Heinrich Göschl (1839-1896), Voltaire et Frédéric II de Prusse.
Bronze sur socle de bois, 2e moitié du XIXe siècle.
Collection Bibliothèque de Genève / Les Délices © Ville de Genève

La rivalité du politique et de l’affectif trouve un dénominateur commun dans la séduction qu’il s’agit de mettre en œuvre. Voltaire n’est évidemment pas en reste : sa très vaste correspondance reproduit à cet égard toutes sortes de formules destinées à s’attirer bien plus que les simples bonnes grâces de telle ou telle correspondante… Et lui-même fait l’objet de tentatives de séduction à l’échelle européenne ! En effet, que penser de la rivalité quasi amoureuse et des joutes que se livrent Émilie du Châtelet et Frédéric II ? La marquise avait bien compris que le roi de Prusse était – ou prétendait être – bien plus qu’un simple monarque éclairé : c’est moins la personnalité que la personne de Voltaire qu’il s’agit d’atteindre, ou d’étreindre.
« Pour Dieu, ne m’écrivez qu’en homme, et méprisez avec moi les titres, les noms et l’éclat extérieur ». Tel est le vœu que Frédéric adresse à Voltaire, le 6 juin 1740, six jours seulement après son couronnement. Voltaire lui répond, le 18, en des termes similaires : « Votre majesté m’ordonne de songer en lui écrivant moins au roi qu’à l’homme. C’est un ordre bien selon mon cœur ». Le nouveau roi a d’ailleurs, précise-t-il, « dans sa tête et dans son cœur, l’amour du genre humain ».
Autrement dit, une idylle est en train de naître, qui réconcilie – ce que nul n’imaginait possible – le cœur et la cour. Une idylle qui, comme bien l’on pense, ne durera que ce que durent les roses. Mais pouvait-il en être autrement ?
Frédéric intervient d’abord de manière insistante dans la relation de Voltaire et de Mme du Châtelet, pour laquelle il éprouve certes une forme d’admiration intellectuelle, mais qu’il considère d’emblée comme une rivale. Émilie ne s’y trompe pas. La vie à la cour de Prusse met ensuite en présence deux hommes avec leurs exigences, leurs particularités, leur rayonnement parfois contradictoires. Frédéric se montre ainsi rapidement excédé des « affaires » qui ponctuent le séjour de son plus célèbre chambellan. Le procès Hirschell, en particulier, l’irrite au plus haut point : « c’est, affirme-t-il à sa sœur, la margravine de Bayreuth, l’affaire d’un fripon qui veut tromper un filou ».
Les prétentions diplomatiques de Voltaire, qui se veut l’agent – pas très secret – du cardinal de Fleury et s’imagine pouvoir jouer un rôle sur l’échiquier européen ne sont pas, non plus, du goût de Frédéric. Qu’il règne sur les belles-lettres, nul ne le conteste, mais pour le reste… Voltaire aura pourtant soin, le 1er janvier 1753, de rappeler au monarque la force des sentiments qui « l’ont emporté dans [s]on cœur sur [s]a patrie, sur le Roi [s]on souverain et [s]on bienfaiteur, sur [s]a famille, sur [s]es amis… » Rien n’y fait : la rupture est pleinement consommée.
La seule manière de concilier amitié de cœur et amitié de cour, s’agissant d’une personnalité aussi exceptionnelle que Frédéric, reste donc l’écriture : après le terrible épisode de Francfort, marqué par la séquestration prolongée de Voltaire et de Mme Denis, c’est l’échange épistolaire, et lui seul, qui sauvera la relation de Voltaire et du roi de Prusse : l’une des toutes dernières lettres reçues par l’écrivain, quelques heures avant sa mort, fin mai 1778, sera signée Frédéric.

Note : 5 sur 5.

INFORMATIONS PRATIQUES

Quoi ?
Amies de cour, amies de coeur.

Cette exposition est organisée par le Centre des monuments nationaux au château de Voltaire, en collaboration avec la Société Voltaire, le centre MARGE de l’Université Lyon-3 (EA 3712) et le Centre international d’étude du XVIIIe siècle.
Commissariat scientifique : François Jacob, président du Centre international d’études du XVIIIe siècle et professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3, et Ulla Kölving, membre du comité de la Société Voltaire.

Comment ?
L’équipe du musée propose des visites guidées thématiques et des ateliers, pour les particuliers et les groupes scolaires et périscolaires. Le détail de la programmation est disponible dans l’agenda du site du château : www.chateau-ferney-voltaire.fr