Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum
Collection Al Thani
30 juin – 22 octobre 2023
www.thealthanicollection.com
🇫🇷

Présentation
par Thomas Ménard
Président de l’association « Les Amis du Patrimoine Européen »
Partout, à Londres et ailleurs, au Royaume-Uni, des devises peuvent être lues sur des édifices, des ornements, des uniformes, des vitrines, des documents officiels. La plupart sont écrites dans des langues étrangères. Certaines sont en latin, comme celle de la Maison militaire du souverain (Septem juncta in uno) ou celle du duc de Wellington (Virtutis Fortuna Comes). Une autre, assez étonnante, est en allemand : c’est le Ich Dien du prince de Galles. Mais les plus célèbres sont en français. Qui n’a jamais entendu parler de la devise de la monarchie britannique, « Dieu et mon droit », et celle de l’ordre de la Jarretière, « Honi soit qui mal y pense » ? Ces quelques mots en français évoquent un temps à jamais révolu, le Moyen Âge, quand les Anglais parlaient français.
« Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum. Quand les Anglais parlaient français » est la quatrième exposition temporaire organisée par la Collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine et la première d’une série de trois consacrées aux collections du Victoria and Albert Museum de Londres, l’un des plus grands musées d’art décoratifs du monde. Signalons que la deuxième de cette série, consacrée à la Renaissance, sera présentée à l’hiver 2023-2024.
Pourquoi cette collaboration avec le fameux V&A ? Comme l’explique Amin Jaffer dans l’entretien exclusif qu’il a accordé aux Amis du Patrimoine européen, les liens entre la Collection Al Thani et le musée londonien sont nombreux. D’ailleurs, le directeur de la Collection a lui-même débuté sa carrière au Victoria and Albert Museum. Le musée de South Kensington (le quartier français de la capitale britannique) renferme également l’une des plus importantes collections d’art médiéval du monde. James Robinson, directeur du département des arts décoratifs et de la sculpture au V&A et commissaire de l’exposition, évoque pêle-mêle « des sculptures, des pièces d’orfèvrerie, des manuscrits enluminés, des textiles, des ivoires et de la joaillerie, allant de la période romane à l’époque gothique ». Soixante-dix de ces trésors ont été sélectionnés pour l’exposition de la Collection Al Thani.
Son ambition : démontrer que l’Angleterre, loin d’être un royaume reculé et isolé sur son île, était au cœur des échanges culturels et artistiques européens, tout au long du Moyen Âge, malgré les guerres successives et parfois grâce à elles.
Si les Anglais parlaient français, c’est d’abord parce qu’un Français, ou plutôt un Normand, partit à la conquête du royaume d’Angleterre. Notre entretien avec Antoine Verney, conservateur de la Tapisserie de Bayeux, rappelle le contexte de cette année 1066, lorsque Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, devint Guillaume le Conquérant, roi d’Angleterre. L’ancienne noblesse saxonne fut soumise, voire détruite, et remplacée par une aristocratie normande, donc francophone. D’immenses domaines furent confiés à ceux qui avaient combattu aux côtés de Guillaume à la bataille de Hastings. Des Normands furent placés à la tête des évêchés et des monastères. Tous les dignitaires du royaume étaient désormais originaires de ce côté-ci de la Manche. L’élite anglaise parlait désormais le français.
Cette francophonie de la Cour perdura à travers les siècles, tout simplement parce que les souverains anglais continuaient à regarder du côté du Continent. Les successeurs de Guillaume le Conquérant conservèrent le duché de Normandie jusqu’en 1204. D’ailleurs, le roi Charles III est toujours, en titre, duc de Normandie, et sa mère, la reine Élisabeth, a régné sur les îles de Jersey, Guernesey et dépendances, en tant que duc de Normandie, pendant plus de sept décennies. Mais les rois d’Angleterre voyaient bien plus loin que la Normandie. Mathilde, petite-fille du Conquérant, apporta d’immenses territoires en France à son fils, Henri II, par son mariage avec Geoffroy V Plantagenêt, comte d’Anjou, du Maine et de Touraine. Henri II ira plus loin en épousant Aliénor, héritière du duc d’Aquitaine. Leurs fils, Richard Cœur-de-Lion, gouvernait plus de la moitié du royaume de France, à défaut d’y régner. Il n’était que le vassal du roi de France.
Les échanges entre Anglais et Français étaient donc quotidiens. Comme leur suzerain, beaucoup de grands seigneurs possédaient des terres en Angleterre et sur le Continent, tout comme bon nombre de prélats, qui dirigeaient des établissements monastiques des deux côtés de la Manche. Les stratégies dynastiques et les mariages croisés ne faisaient que renforcer cette proximité : des princesses françaises partaient à Londres épouser des rois d’Angleterre, accompagnées d’une immense suite francophone. Et inversement. Et puis vint le temps de la Guerre de Cent Ans, quand les rois d’Angleterre prétendirent devenir rois de France. Le jeu des alliances ne fit que renforcer la proximité linguistique, culturelle et artistiques entre l’Angleterre et le Continent. Tristram Hunt, directeur du Victoria and Albert Museum, cite ainsi le mariage de Marguerite d’York avec Charles le Téméraire, duc de Bourgogne et l’un des plus puissants princes d’Occident. Nous avons déjà évoqué ce couple passionnant dans un précédent article.
Le Moyen Âge n’est pas que cette période de repli et de recul de la civilisation qu’on évoque souvent. C’est aussi une période flamboyante où l’élite parcourait une bonne partie de l’Europe, pour des missions politiques, diplomatiques, religieuses, économiques ou artistiques. Il en résulte de formidables échanges culturels, fruits des voyages des abbés, des princes, des artistes ou des commerçants. C’est ainsi que les broderies et les statues d’albâtre d’Angleterre se répandirent en Europe, tandis que les émaux de Limoges et les joyaux de Flandres, d’Allemagne, d’Italie, et même d’Asie ou d’Afrique, arrivèrent sur les bords de la Tamise. Les trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum présentés dans les salles de la Collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine nous racontent l’histoire de ces échanges… quand les Anglais parlaient français !
UNE SÉLECTION D’ŒUVRES
présentées par James Robinson
Directeur du département des arts décoratifs et de la sculpture
Victoria and Albert Museum
Commissaire de l’exposition

Croix reliquaire
Angleterre (probablement Winchester), Xe siècle. Monture : Allemagne. Or, émaux, ivoire de morse, bois de cèdre, 18,5 × 13,7 × 2,6 cm. Victoria and Albert Museum, 7943-1862.
Image © Victoria and Albert Museum, London.
La pièce que je préfère est probablement la croix reliquaire du Xe siècle. Elle associe des émaux cloisonnés spectaculaires, probablement de facture allemande, à l’un des plus beaux exemples de sculpture anglaise en ivoire de morse qui nous soit parvenu. Il est presque certain qu’elle a été réalisée pour un mécène noble ou royal, peut-être Mathilde, abbesse d’Essen de 973 à 1011 et descendante du roi anglo-saxon Alfred le Grand. Outre sa valeur artistique intrinsèque et sa beauté, cette croix reliquaire incarne certains des thèmes principaux de l’exposition. D’une part, la place centrale de l’Église et de la Couronne en tant que mécènes. D’autre part, l’internationalisme de l’Europe médiévale ainsi que la diversité et le choix des matières premières – qu’il s’agisse de l’or, qui est peut-être un réemploi de l’époque romaine classique, de l’ivoire, échangé sur les côtes septentrionales de l’Europe ou du support en bois de cèdre provenant de l’est de la Méditerranée.

Chandelier de Gloucester
Angleterre, 1107-1113. Fonte d’alliage de cuivre, dorure, nielle, perles de verre. 58 x 20 x 20 cm. Victoria and Albert Museum, 7649-1861.
Image © Victoria and Albert Museum, London.
« + ABBATIS PETRI GREGIS / ET DEVOTIO MITIS / + ME DEDIT ECCLESIE SCI PETRI GLOECESTRE »
(« La douce dévotion de l’abbé Pierre et de son troupeau m’a donné à l’église Saint-Pierre à Gloucester »)
Cette inscription latine gravée sur une bande qui court en spirale autour du fût nous apprend que le chandelier dit de Gloucester a été donné à l’abbaye bénédictine de Gloucester par l’abbé Pierre, qui, d’abord prieur de l’abbaye, a assumé ensuite la fonction d’abbé en 1104 et a été officiellement élu le 5 août 1107. Dans la mesure où l’abbé est mort en 1113, on peut penser que le chandelier a été fabriqué entre 1107 et 1113. Pierre est connu pour son caractère studieux et pour avoir fait don de nombreux livres à la bibliothèque. Malheureusement, aucun document ne fait état du don du chandelier, malgré son importance artistique et le coût probable de cette création fabuleuse en fonte de cuivre, qui a échappé aux ravages de la Réforme anglaise. Elle avait en effet déjà quitté le pays, comme l’indique une inscription postérieure dans la bobèche : « + HOC CENOMANNENSIS RES ECCLESIE POCIENSIS / THOMAS DITAVIT CVM SOL ANNVM RENOVAVIT » (« Thomas de Poché a donné cet objet à l’église du Mans lorsque le soleil a fait débuter une nouvelle année »). Il est difficile de déduire la date précise de cette donation à la cathédrale du Mans, mais il est probable qu’elle se situe avant 1122, date de la destruction de l’abbaye de Gloucester par un incendie. Le chandelier ne figurant pas parmi les objets sauvés du désastre, on peut supposer qu’il avait déjà pris le chemin de la France. […]
Fondu en trois parties distinctes selon le procédé de la cire perdue, le chandelier est densément décoré d’hommes et de créatures fabuleuses qui émergent de profus rinceaux de feuillages. Au centre de cette nature tourmentée, on remarque les symboles des quatre évangélistes dans des médaillons perlés, séparés par des fleurons en argent niellé. Dans ce décor fantastique, les évangélistes représentent la doctrina refulgens, la doctrine brillante qui sauvera l’humanité dans une lutte écrasante contre le péché.

Luck of Edenhall
Égypte ou Syrie, vers 1350. Verre émaillé et doré. H. 15,8 cm ; D. 11,1 cm.
Victoria and Albert Museum, C.1-1959.
Image © Victoria and Albert Museum, London.
Le Luck of Edenhall a été fabriqué en Égypte ou en Syrie vers 1350. Son voyage vers l’Angleterre n’est pas documenté mais il est enregistré, sous le nom qu’on lui connaît actuellement, dans un testament de 1677, alors qu’il appartenait à la famille Musgrave, à Eden Hall près de Penrith, dans le comté de Cumbria. Il nous est parvenu avec son étui en cuir bouilli, un cuir durci souvent utilisé comme protection dans les tournois et les batailles. De la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle, l’étui a été expressément fabriqué pour protéger le gobelet. Décoré par repoussage de motifs variés dont des rinceaux de trèfles, il porte sur son couvercle le monogramme sacré IHS, contraction du nom grec de Jésus, largement invoqué comme charme amulétique au Moyen Âge. Le gobelet lui-même était considéré comme ayant des propriétés talismaniques, et le nom de Luck (chance) qui lui a été donné renvoie à cette mystérieuse magie.
De proportions élégantes, il est d’une forme assez habituelle, avec une base étroite s’élargissant progressivement jusqu’à un col évasé, un corps décoré d’arcs entrecroisés et d’arabesques végétales, peints dans un éblouissant émail rouge, blanc, vert et bleu. Les motifs ont reçu un trait de contour à l’or appliqué après émaillage. L’attrait de ce type de verre sur le marché du luxe s’explique, certes, par son indéniable qualité esthétique, mais aussi par l’extrême habileté technique requise pour sa fabrication. »
POUR ALLER PLUS LOIN : LES ENTRETIENS EN RAPPORT AVEC L’EXPOSITION
INFORMATIONS PRATIQUES
Quoi ?
« Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum – Quand les Anglais parlaient français »
Exposition de la Collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine / Centre des Monuments Nationaux
Commissaires : Dr James Robinson, directeur du département des arts décoratifs et de la sculpture au Victoria and Albert Museum de Londres, et Dr Emma Edwards, commissaire adjointe.
Où ?
Salles de la Collection Al Thani – Hôtel de la Marine
2, place de la Concorde 75008 PARIS
Métro : Concorde (lignes 1, 8 et 12) / Madeleine (ligne 14)
Bus : lignes 42, 45, 52, 72, 73, 84, N11, N24
www.hotel-de-la-marine.paris
Quand ?
Du 30 juin au 22 octobre 2023
Tous les jours de 10h30 à 19h00 (fermeture de la billetterie à 18h30)
Le vendredi, fermeture à 21h30 (fermeture de la billetterie à 20h45)
La cour intérieure est ouverte de 8h00 à 1h00 du matin
Comment ?
Plein tarif : 13 euros, avec accès aux salons d’apparat et à la loggia de l’Hôtel de la Marine
Réservations via www.hotel-de-la-marine.paris
Les billets peuvent également être achetés sur place



