EXPOSITION # 13

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

L’exposition Luxe de poche au musée Cognacq-Jay présente une collection exceptionnelle de petits objets précieux et sophistiqués, en or, enrichis de pierres dures ou de pierres précieuses, couverts de nacre, de porcelaine ou d’émaux translucides, parfois ornés de miniatures. Les usages de ces objets varient, mais ils ressortent tous des us et coutumes d’un quotidien raffiné, signe de richesse, souvenir intime. Au siècle des Lumières comme aux suivants, ils suscitent un véritable engouement en France d’abord puis dans toute l’Europe. Luxe de poche a pour ambition de renouveler le regard que l’on porte sur ces objets, en adoptant une approche plurielle, qui convoque à la fois l’histoire de l’art et l’histoire de la mode, l’histoire des techniques, l’histoire culturelle et l’anthropologie en faisant résonner ces objets avec d’autres œuvres : des accessoires de mode, mais aussi les vêtements qu’ils viennent compléter, le mobilier où ils sont rangés ou présentés et enfin des tableaux, dessins et gravures où ces objets sont mis en scène. Ce dialogue permet d’envisager ces objets dans le contexte plus large du luxe et de la mode au XVIIIe et au début du XIXe siècle. Point de départ de cette nouvelle exposition, la collection remarquable d’Ernest Cognacq est enrichie de prêts importants – d’institutions prestigieuses comme le musée du Louvre, le musée des Arts décoratifs de Paris, le Château de Versailles, le Palais Galliera, les Collections royales anglaises ou le Victoria and Albert Museum à Londres et des collections particulières – afin d’offrir une nouvelle lecture de ces accessoires indispensables du luxe.

Le XVIIIe siècle se caractérise par le développement des métiers d’art et l’essor des arts décoratifs. Les petits objets précieux sont regroupés sous le vocable générique de « boîtes » ou de « bijoux » : tabatières, bonbonnières, boîtes à mouches ou à fard, étuis, nécessaires, flacons, montres, châtelaines, lorgnettes… L’Encyclopédie les définit comme « les ouvrages d’orfèvrerie qui ne servent que d’ornement […] Cette partie n’étant qu’un talent de mode et de goût ne peut avoir aucune règle fixe que le caprice de l’ouvrier ou du particulier qui commande ». Par la préciosité de leurs matériaux, l’inventivité de leurs mécanismes, les gestes raffinés qu’ils exigent, ils révèlent le statut social de leur propriétaire. La mode pour ces objets de luxe favorise la créativité des orfèvres, qui rivalisent de virtuosité. L’arrivée de matériaux exotiques – porcelaine, laque – est source d’émulation et d’innovations techniques. Ces objets portatifs accompagnent les pratiques de sociabilité des élites et en codifient les usages. Cachés au creux des poches, ils participent de la culture des apparences et des enjeux de distinction sociale. Grâce à un ensemble exceptionnel de près de trois cents œuvres, l’exposition replace ces objets dans le contexte de leur fabrication et de leurs usages.

Cachés dans les poches puis révélés d’un geste élégant, boîtes, étuis et tabatières participent d’une stratégie de l’élégance. Mobiles, tenant dans la main ou portés au plus près de soi, ces objets sont à la fois personnels, intimes et éminemment sociaux. Ils accompagnent leur propriétaire hors de la sphère privée pour aller sur le théâtre du monde. Destinés à être vus et montrés, ils relèvent pleinement de la parure et contribuent à façonner la culture des apparences, caractéristique du siècle. Les objets de poche participent des pratiques de sociabilité tout au long de la journée. Les délicates boîtes à poudre ou à mouches servent aux rituels de la toilette, et les flacons à parfum éveillent les sens. En société, il est de bon ton de sortir de sa poche une jolie tabatière pour offrir du tabac à la compagnie, ou d’en extraire un nécessaire élégant dont les accessoires miniatures, s’ils sont parfois utiles, servent avant tout à signaler le raffinement et le goût. Au théâtre ou au bal, les ingénieuses lorgnettes permettent autant de voir que d’être vu, tandis que les étuis à messages participent de la même culture de sociabilité.

L’essor des échanges commerciaux à partir de la fin du XVIIe siècle favorise le goût pour l’exotisme. Les marchands-merciers font réaliser des objets ornementaux composites alliant laque, coquilles, écailles de tortue et pierreries issues de ces flux. La galanterie de poche devient un ailleurs transporté au plus près de soi. Cet Orient rêvé fascine et inspire les artistes européens, comme François Boucher (1703-1770), qui déclinent dans les arts décoratifs la mode des « chinoiseries ». Au sein des manufactures comme des ateliers, artisans et orfèvres innovent pour imiter ces matériaux exotiques – tel le vernis Martin, qui reproduit la brillance de la laque. Le secret de la fabrication de la porcelaine, à l’origine importée d’Asie, est découvert par les chimistes au cours du siècle en Europe, où elle est utilisée pour la réalisation de boîtes ou d’étuis. Cette émulation et le développement de savoir-faire connaissent un renouveau au début du XXe siècle. De grandes maisons de la joaillerie – Fabergé ou Van Cleef & Arpels – s’inspirent des formes et des techniques de l’art raffiné du XVIIIe siècle.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

proposée par Sixtine de Saint Léger,
attachée de conservation au musée Cognacq-Jay
commissaire de l’exposition

Johann Christian Neuber, Boîte, vers 1780
Pierres dures (agate, jaspe, onyx, cornaline, améthyste, pétrifications…), or, perles fines, émail.
Paris, musée Cognacq-Jay © CC0 Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

De la fabrique à la diffusion de ces objets, une économie inventive et florissante se développe à Paris et en Europe au cours du XVIIIe siècle. Des foyers de production apparaissent en Allemagne, en Italie ou en Angleterre, avec pour chacun des spécificités et techniques particulières. La curiosité scientifique et l’attrait pour les sciences naturelles, telle la minéralogie, favorisent la création d’objets à la fois érudits et utiles. Leur fabrication requiert le savoir faire de nombreux artisans d’art : peintres, émailleurs, lapidaires, vernisseurs… Les innovations techniques offrent de multiples possibilités. Les orfèvres réalisent des « montures à cage » qui mêlent or et tout autre matériau : porcelaine, émail, écaille ou micro-mosaïques. Ces objets se déclinent du luxe au “populuxe”, dans les matériaux des plus précieux aux plus anodins (bois, paille, papier mâché…), offrant une production plus abordable vendue par les orfèvres, les bijoutiers et les marchands merciers. En France, ces derniers jouent le rôle de prescripteurs de tendances, favorisant la naissance d’une culture de la consommation.
Cette précieuse tabatière, ornée de 120 fines lamelles de pierres serties dans une monture en or, est caractéristique de la production de l’orfèvre allemand Johann Christian Neuber. Les numéros gravés renvoient à un livret dans lequel chaque pierre est identifiée selon les recommandations du géologue Abraham Gottlob Werner. Cet objet, d’une élégante sobriété, constitue un cabinet de minéralogie miniature. Propriétaire de plusieurs carrières, l’orfèvre puisait des roches et pierres aux teintes variées plus ou moins veinées pour composer de véritables mosaïques ouvragées.

Note : 5 sur 5.


Paul-Nicolas Ménière, Tabatière, entre 1776 et 1777
Manufacture de Sèvres, Porcelaine tendre de Sèvres, or.
Paris, musée Cognacq-Jay © CC0 Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

Les objets précieux témoignent de l’essor du luxe, qui s’accompagne d’une grande créativité esthétique. Un formidable répertoire de formes, motifs et petites scènes se décline sur les couvercles de tabatières, les flacons, les camées montés en boutons ou bijoux… Miroirs de leur époque, ces accessoires suivent l’évolution du goût comme les effets de mode d’une société en mouvement. Les toiles mythologiques ou pastorales des maîtres du XVIIIe siècle de la peinture galante – Watteau, Boucher, Greuze et Fragonard – sont copiées ou imitées en miniature. Les références littéraires s’exposent sur ces objets, attestant de la culture et de la sensibilité de leur propriétaire. Aux côtés de ces imaginaires élégants et fantasmés, les grands événements occupent une place de choix dans ce vocabulaire esthétique. Ces objets parlants, à l’iconographie riche de sens, sont au cœur des circulations, et se font vecteurs de l’actualité royale, des avancées scientifiques et des progrès technologiques.
Cette tabatière de l’orfèvre Ménière est exceptionnelle par son ornementation, qui met en scène pas moins de seize portraits peints sur porcelaine. Véritable mémorial dynastique, elle représente le jeune Louis XVI et Marie-Antoinette, les princes et princesses de la maison de France, ainsi que les aïeux du roi, Louis XV et Marie Leszczyńska, entourés de guirlandes de fleurs. Probablement commandée par Louis XVI pour commémorer son accession au trône en 1775, cette tabatière était destinée à être offerte en cadeau, scellant ainsi les liens diplomatiques et familiaux.

Note : 5 sur 5.


Jean-François Bautte, Pistolet à parfum, vers 1800-1820.
Or, émail, perles fines. Paris, musée Cognacq-Jay
© CC0 Paris Musées/Musée Cognacq-Jay

Prisés par les monarques, les membres des familles royales et les cours à travers l’Europe, ces petits objets précieux sont dès le XVIIIe autant offerts que collectionnés. Frédéric II (1712-1786), roi de Prusse, rassemble ainsi près de trois cents tabatières parmi les plus luxueuses. Bijoux de valeur et souvenirs au puissant pouvoir évocateur, ils témoignent d’une amitié, d’un amour, d’un haut fait. Pour les connaisseurs des siècles suivants, la richesse de ces objets incarne une époque marquée par l’élégance. L’intérêt renouvelé pour la virtuosité des orfèvres des Lumières trouve son expression auprès des collectionneurs du tournant du XXe siècle.
À l’affût d’objets emblématiques de ce savoir-faire, Ernest Cognacq et Marie-Louise Jaÿ ont ainsi acquis quelque deux cent soixante «bijoux», qui forment un ensemble exceptionnel, parmi les plus prestigieux et représentatifs de cette production raffinée. La collection du musée comporte de nombreux objets aux formes inventives et ludiques, illustrant la culture de la curiosité d’un XVIIIe siècle facétieux – jambe de femme, dromadaire, poisson articulé – dont ce vaporisateur à parfum est emblématique. Particulièrement ingénieux, le mécanisme de détente sous la crosse ouvre les pétales situés à l’extrémité du canon, dévoilant le cœur de la fleur percé de trous, libérant ainsi la fragrance. Jean-François Bautte, orfèvre genevois de renom, se fait une spécialité de ces petits pistolets à parfum émaillés, intégrant tantôt de minuscules montres, tantôt un oiseau chanteur, dissimulé dans le canon.

Note : 5 sur 5.

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