EXPOSITION # 16

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Le musée des Beaux-arts de Tours présente du 8 mars au 17 juin 2024 une exposition exceptionnelle consacrée aux femmes entre la fin du Moyen Âge et la Renaissance, en France et en Europe du Nord.
Plus d’une centaine d’œuvres majeures – peintures, sculptures, manuscrits, estampes, objets du quotidien – issues des plus grands musées, sont rassemblées pour mettre en lumière la place, le rôle et l’image des femmes dans la société des 15e et 16e siècles. Cette exposition s’appuie sur les avancées historiques des dernières décennies, ainsi que sur le travail d’un comité scientifique rassemblant d’éminents spécialistes du sujet. Toutes les femmes trouvent leur place au cœur de cette exposition : princesses, nobles et bourgeoises, commerçantes et paysannes, riches et pauvres, heureuses et malheureuses, au pouvoir ou au travail, épouses ou veuves, réelles ou imaginaires. Ce tableau remet en cause les clichés et les idées reçues. Il propose un regard nouveau sur les femmes des époques médiévale et moderne, abordées dans toute leur profondeur, et offre une remise en perspective historique à un enjeu majeur de nos sociétés contemporaines.

Femmes et maris
Depuis l’institution du mariage chrétien comme sacrement aux 12e-13e siècles, l’Église a peu à peu structuré la société autour du noyau constitué par le couple et sa descendance. Le mariage, stratégie d’union entre deux familles, est un enjeu fondamental pour les femmes et définit leur place dans la société. Le lien matrimonial, fondamentalement dissymétrique, institue la soumission de la femme à son époux : le rôle des femmes se définit donc dans un référentiel masculin. Si ce cadre, nécessairement uniformisant, est évidemment parfois en décalage avec une réalité vivante autrement plus variée et complexe, le couple conjugal reste un cadre privilégié pour appréhender la construction des rapports et les relations entre les sexes. Cette section s’intéresse à la manière dont les couples se forment et comment ils se donnent à voir, au statut des femmes se trouvant hors du mariage (veuves notamment) et s’interroge sur la place laissée à l’amour et à la sexualité au sein et hors du couple conjugal, dans des modalités tantôt heureuses, tantôt violentes.

Femmes au quotidien
La seconde section explore les rôles dévolus aux femmes dans la société et les activités qui en découlent et qui structurent leur quotidien. Elle aborde une grande variété de situations liées à la position occupée par les femmes dans l’échelle sociale. On s’intéresse à la maternité, rôle constitutif de la nature féminine et premier devoir de la femme mariée ; ainsi qu’au travail à la maison comme à l’extérieur, à la campagne comme à la ville. Les loisirs auxquels s’adonnent les femmes et la dévotion à Dieu, mais aussi aux autres, sont également évoqués.

La femme imaginée
Après les réalités du quotidien, la troisième section est dédiée aux visions de la femme, construites à partir d’un discours essentiellement masculin. Dans un contexte de réflexion et de débat sur la nature et la condition féminines, la fin du Moyen Âge voit s’opposer les partisans d’un discours misogyne et les fervents défenseurs de la cause féminine. Des voix s’élèvent pour prendre la défense des femmes, comme celle de Christine de Pizan. Les théologiens, les traités d’enseignement (qu’ils soient le fait d’hommes ou de femmes) ou la jurisprudence consacrent un panel de vertus considérées comme féminines auquel il est attendu que les femmes se conforment, et qui se retrouve dans l’iconographie : chasteté et continence, humilité, obéissance, douceur, dévotion. Entre le modèle inatteignable de la Vierge et la fille d’Ève, porteuse de tous les vices, la figure féminine oscille entre idéalisation et mépris, à la fois ange et diable, porteuse de vie et de mort. L’ambivalence qui la caractérise cristallise des tensions fondamentales dans la manière de penser le monde à cette période.

Femmes en armes
Assez paradoxalement, les 15e et 16e siècles voient fleurir les représentations de femmes fortes maniant l’épée, symbole masculin par excellence. Les héroïnes bibliques ou mythologiques en armes, telles que Judith ou les Amazones, sont extrêmement populaires. La quatrième section s’interroge sur les raisons du succès de ces personnages féminins, ces « viragos » (femmes fortes) qui adoptent des comportements traditionnellement considérés comme masculins. En dévoilant le rôle véritable que les femmes pouvaient être amenées à jouer lors d’affrontements guerriers, elle ouvre de nouvelles perspectives sur un sujet encore méconnu du grand public.

Gouverner au féminin
Pour clore l’exposition, la dernière section envisage les multiples manières qu’ont eues les femmes (reines, princesses et nobles dames) de gouverner et de se représenter dans l’exercice du pouvoir. Par l’usage de nombreux symboles, elles s’affirment comme les détentrices d’une puissance politique et lignagère qu’elles cherchent toujours davantage à légitimer. Cet art de la mise en scène, qui se donne à voir dans de multiples objets (médailles, portraits, sceaux), constitue l’une des facettes du pouvoir au féminin entre le début du 15e et la fin du 16e siècle.

Note : 5 sur 5.

UNE SÉLECTION D’ŒUVRES

proposée par Hélène Jagot,
directrice des Musées & château de Tours,
et Elsa Gomez,
conservatrice du patrimoine au musée des beaux-arts de Tours
commissaire de l’exposition


Herman van der Mast (1545-1555 – 1610) (attribué à), Portrait de famille, Flandres, 1577
Huile sur bois (chêne), H. 43,8; l. 59; pr. 7 cm
Le Puy-en-Velay, musée Crozatier, inv. 826.4 © Le Puy-en-Velay, musée Crozatier, Luc Olivier 

Ce portrait représente l’artiste Frans I Francken (1542-1616) avec son épouse, Elisabeth Mertens (morte en 1639), et leurs quatre enfants : Frans, Magdalena sur les genoux de sa mère, Thomas qui tient un petit moulin fabriqué avec deux cartes à jouer repliées, et le dernier-né, Hieronymus II, ajouté deux ans plus tard dans les bras de son père. Chacun des personnages est identifié par ses initiales et son âge. Dans les deux tondi accrochés sur le mur du fond apparaissent les portraits du père de Frans I, Nicolaes Francken, à droite, et de celui d’Elisabeth, Marten Mertens, à gauche. La présence des deux grands-pères veillant sur leur descendance insiste nettement sur la généalogie familiale, dans laquelle tout contribue à souligner le rôle d’Elisabeth. Celle-ci est placée au sommet d’une composition pyramidale où l’époux se trouve légèrement en retrait. Le regard doux mais direct qu’elle nous adresse accroche immédiatement l’œil. Cet effet est renforcé par la gestuelle du fils aîné, dont les yeux invitent également à regarder sa mère, qu’il désigne du doigt. Ce même geste se retrouve comme en miroir chez Frans I, dont le regard est tourné vers son épouse. Ce portrait inverse en outre la convention de représentation, généralement respectée à l’époque dans les portraits de couples aussi bien que de familles, qui veut que l’homme se trouve à la place d’honneur, à gauche (la droite héraldique), et la femme à droite. La toute jeune Magdalena, dont la petite main repose sur celle de sa mère, au centre du tableau, est également mise en avant, renforçant l’importance conférée aux éléments féminins de la famille. La position centrale accordée à Elisabeth se retrouve dans un autre portrait plus tardif de la famille Francken (vers 1590-1600, collection particulière). Elle est ici mise en valeur dans ses rôles fondamentaux d’épouse et de mère, garante avec son mari de la perpétuation dynastique, de l’harmonie du foyer et de la prospérité de la famille, membre de la bourgeoisie anversoise.

Elsa Gomez, conservatrice du patrimoine, chargée des collections Antiquité, Moyen Âge et Renaissance, musée des Beaux-Arts de Tours

Note : 5 sur 5.


Marinus van Reymerswaele (vers 1490 – vers 1546) (d’après), Le Banquier et sa femme,
Pays-Bas, première moitié du XVIe siècle. Huile sur bois, H. 80,5; l. 115,2 cm
Valenciennes, musée des Beaux-Arts, inv. 46.I.47
© Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, Thomas Douvry 

Ce tableau, à la composition resserrée, nous plonge dans l’intérieur d’un fonctionnaire flamand à l’aube de la Renaissance. Les Pays-Bas figurent alors comme une place financière d’importance où transitent de nombreuses richesses, comme en témoigne la présence de pièces d’or et d’argent au-devant de l’homme occupé à leur pesée. Selon une inscription figurant sur la toile, il s’agirait de Jean Dyssens, receveur de taxes sur les denrées dans la ville de Middelbourg. L’homme d’argent, symbole du capitalisme naissant, constitue alors une figure centrale dans la peinture flamande, qui s’attache principalement à dénoncer la cupidité et l’avarice inhérentes à sa profession. Le tableau a d’ailleurs longtemps été attribué à Quentin Metsys, auteur d’une œuvre pionnière en la matière, Le Prêteur et sa femme (1514), aujourd’hui conservée au Louvre (INV 1444). À sa suite, de nombreux peintres nordiques s’emparèrent du sujet, et Marinus van Reymerswaele reprit la composition de Metsys dans de nombreuses versions (Madrid, Prado ; Munich, Alte Pinakothek, notamment), à la tonalité critique plus ou moins affirmée. Le tableau de Valenciennes se rattache à un groupe dans lequel la dimension moralisante semble toutefois moins présente : le trébuchet dont se sert l’homme est certes rattaché au monde matériel de l’argent et peut avoir une valeur allégorique, mais certaines allusions à la vanité de la profession présentes dans d’autres versions (coiffe extravagante de l’homme, bougie éteinte sur l’étagère) ne sont pas figurées ici. L’œuvre met également en évidence la mixité des activités exercées au sein de l’entreprise familiale. Selon le principe de la communauté de biens entre époux qui prévaut alors au nord de l’Europe, les femmes constituent des partenaires économiques à part entière au sein du foyer. Ainsi, l’épouse a la capacité de gérer l’entreprise familiale en cas d’absence du mari et participe à l’encadrement des valets et des apprentis. Surtout, elle peut avoir la charge de la comptabilité, comme le montre ici sa consultation d’un registre de comptes, alors qu’il s’agit d’un livre d’heures chez Metsys. Ainsi, cette œuvre témoigne de la place occupée par les femmes au sein de l’économie urbaine des XVe et XVIe siècles.

Julie Pilorget, agrégée et docteure en histoire médiévale

Note : 5 sur 5.


Christine de Pizan (vers 1364 – vers 1430), La Cité des dames, France (Paris?), vers 1460-1470
Parchemin, H. 31; l. 21,5 cm. Reliure de veau raciné au chiffre de Napoléon
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Français 609 © BnF 

Née à Venise vers 1364, Christine de Pizan passe son enfance à la cour du roi Charles V, dont son père, Thomas de Pizan, est le médecin et l’astrologue officiel. Celui-ci dispense à sa fille une instruction soignée sans pour autant lui transmettre sa science, qui est alors un apanage masculin. Mariée à l’âge de quinze ans au secrétaire du roi Étienne du Castel, elle devient veuve dix ans plus tard et doit subvenir seule aux besoins de sa famille. Elle fait alors le choix, rare à l’époque, de ne pas se remarier et embrasse un métier d’homme, celui d’écrivain. Tour à tour poétesse, historienne philosophe ou moraliste reconnue, elle dirige bientôt l’édition et l’illustration de ses propres textes, produisant un œuvre d’une ampleur inédite dont elle puise la matière dans sa condition même de femme limitée par les usages de son temps. C’est en 1404 ou 1405 qu’elle compose l’une de ses œuvres les plus engagées en faveur de son sexe, La Cité des dames, conçue comme une galerie des femmes illustres. Le récit commence dans la bibliothèque de l’autrice, qui évoque ses lectures et ses rêveries: « Selon mon habitude et la discipline qui règle le cours de ma vie, c’est-à-dire l’étude inlassable des arts libéraux, j’étais un jour assise dans mon étude, tout entourée de livres traitant des sujets les plus divers » (Le livre de la Cité des dames, éd. 1992, p.35). C’est là que la surprennent trois Vertus personnifiées – Raison, Droiture et Justice –, qui lui enjoignent de construire une cité métaphorique où pourront se réfugier toutes les femmes méritantes injustement dénigrées par les hommes. Alors que la plupart des manuscrits illustrés de cette longue allégorie s’ouvrent sur une miniature mettant en scène l’apparition des Vertus, l’enlumineur anonyme de l’exemplaire ici exposé, qui date vraisemblablement du troisième quart du XVe siècle, a choisi de s’arrêter sur l’image liminaire de la femme de lettres parmi ses livres (fol. 2v). Le mode de représentation est singulier et confère à Christine une autorité imposante : elle apparaît ici non de profil ou de trois quarts ainsi que les miniaturistes portraituraient habituellement les écrivains, mais de face et sous un dais, posant la main sur un volume fermé en un geste souverain qui évoque davantage l’iconographie des hommes de pouvoir et les figures de majesté.

Laure Rioust, conservatrice du patrimoine, département des Manuscrits, Bibliothèque nationale de France

Note : 5 sur 5.

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