NAPOLÉON // UK // PN // RCT3

Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) ladpe.fr. Le Royal Collection Trust ne saurait être tenu pour responsable du contenu de ce parcours.

Note : 5 sur 5.

Napoléon à Fontainebleau, le 31 mars 1814
Tableau d’Hippolyte Paul Delaroche, 1846
Exposé dans le salon de Billard, à Osborne House (île de Wight)

Note : 5 sur 5.

Le départ de l’Empereur
Caricature de Thomas Rowlandson, 1814

Nous avons déjà remarqué le caractère très acide des caricatures anglaises à l’égard de Napoléon, notamment celles de Thomas Rowlandson. Comme nous pouvions nous y attendre, celles qui s’attaquent à l’empereur déchu sont tout aussi coriaces ! Sur celle-ci, on voit Talleyrand (« Tally ») chasser Napoléon « à coup de pied au c.. ». Il le traite de « coquin » et de « pitoyable vagabond », et lui promet de détruire sa couronne (« Va ten Cocquin I’ll crack your Crown you pitiful vagabond »). Furieux, l’Empereur lui répond un ironique « Votre très humble serviteur Monsieur Tally ». Talleyrand, reconnaissable à son pied bot, tient à la main une parodie de l’acte d’abdication : « Abdication ou le dernier discours moribond d’un meurtrier qui va être déféré entre les mains du Diable… » Soutenu dans son propos par une foule de soldats blessés, il pousse son ancien maître vers un gibet. Au loin, sur une île, on aperçoit un autre gibet, où pendent plusieurs corps, et où figure la mention « La famille de Boney exilée sur l’île d’Elbe ». Le tout est titré malicieusement « Un adieu affectueux ou Coup pour coup ».
On peut analyser cette caricature au premier degré. Effectivement, c’est Talleyrand qui a poussé à l’abdication de l’Empereur. Membre du conseil de régence, il doit quitter Paris avec la Cour, mais s’arrange pour rester dans la capitale. Là, il négocie la capitulation de Marmont et offre la ville aux Alliés. Immédiatement, les souverains étrangers viennent lui rendre visite dans son hôtel de la rue Saint-Florentin, à l’angle de la place de la Concorde. C’est même là que s’installe l’empereur Alexandre Ier. Le 1er avril 1814, le Sénat désigne Talleyrand pour présider le gouvernement provisoire, chargé de négocier avec les Alliés. Le lendemain, ce même Sénat proclame la déchéance de l’Empereur. À l’heure où Napoléon abdique, c’est donc Talleyrand qui dirige la France occupée et ce qui reste de l’Empire.
Jusqu’ici, nous avons peu rencontré ce personnage éminemment important dans l’histoire de la France et de l’Europe, et ce pendant plusieurs décennies. Il semble ne pas être très présent dans les collections britanniques, alors même qu’il a été ambassadeur de France à Londres pendant quatre ans, au début du règne de Louis-Philippe (1830-1834). Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, né à Paris le 2 février 1754, est issu d’une des familles les plus prestigieuses de France. Il descend notamment des Mortemart de Rochechouart, des Colbert, des Damas d’Antigny, des Vienne… Grâce au soutien d’un oncle archevêque de Reims, puis cardinal et archevêque de Paris, il fait une brillante carrière dans l’Église de France, d’abord en tant qu’agent général du clergé (1780-1785), puis en tant qu’éphémère évêque d’Autun (1788). Élu du clergé du diocèse aux États Généraux, il se rallie bien vite au Tiers et à la Révolution. On lui doit tout ou partie de quelques-unes des mesures les plus importantes de l’époque, comme la nationalisation des biens de l’Église, l’adoption du système métrique, la réforme de l’éducation, mais aussi la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, où il célèbre la messe en présence de la famille royale.
Mais le vent tourne en France et la Terreur s’installe. Profitant d’une série de missions à Londres, il s’installe comme si de rien n’était dans la capitale britannique, officiellement pour vendre sa bibliothèque. En fait, il est touché par un décret d’accusation émanant de l’Assemblée, qui a pris connaissance de son double-jeu avec Mirabeau lors de la découverte de la fameuse armoire de fer des Tuileries. À la différence de plusieurs milliers d’Émigrés qui trouvent refuge et soutien au Royaume-Uni, Talleyrand est expulsé et s’embarque pour l’Amérique.
Le 20 septembre 1796, il est de retour à Paris, où il devient vite le ministre des Relations extérieures du Directoire. C’est à ce poste qu’il rencontre l’ambitieux général Bonaparte, qu’il soutient lors du coup d’État du 18 Brumaire. Il est récompensé par de nombreux honneurs et charges : ministre du Consulat puis de l’Empire, prince de Bénévent, grand chambellan, grand cordon de la Légion d’honneur, Vice-Grand-Électeur. Mais le vent tourne encore et le tout-puissant Talleyrand se lance dans un nouveau double-jeu. On dit que c’est à l’occasion de la rencontre d’Erfurt (1808) qu’il se rapproche de l’empereur Alexandre Ier et qu’il commence à contester de plus en plus ouvertement les décisions de son maître. Conscient du danger, Napoléon lui retire un certain nombre de ses positions, mais continue à chercher conseil auprès de cet homme si brillant, jusqu’à la trahison finale de 1814.
Rallié aux Bourbons, Talleyrand continue à peser dans la vie politique nationale et internationale. Ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII, il est son envoyé au congrès de Vienne, où, presque miraculeusement, il parvient à faire entendre la voix de la France vaincue. Pendant les Cent-Jours, son sens politique le pousse à rester fidèle à ses nouveaux maîtres, ceux-là même qu’il avait fréquenté à Versailles un quart de siècle plus tôt. Louis XVIII fait finalement de lui le président de son Conseil après Waterloo. Il récupère également la charge qu’il avait occupée sous l’Empire, celle de grand chambellan. Presque naturellement, celui que l’on appelle le « Diable boiteux » se rapproche du duc d’Orléans et se voit récompensé par l’ambassade de Londres à l’avènement de Louis-Philippe. À son retour, il se retire dans son château de Valençay, mais c’est à Paris qu’il meurt, le 17 mai 1838, au terme d’une des carrières les plus étonnantes de l’histoire de France.
On ne sera donc pas surpris par la représentation qu’en fait Rowlandson sur cette caricature. Le « coup pour coup » rappelle peut-être la disgrâce relative qu’avait dû subir l’ancien évêque d’Autun. En revanche, l’apparition des gibets peut nous interpeller. Est-ce une référence imagée à la mort politique que constitue l’exil sur l’île d’Elbe ou faut-il y voir quelque chose de plus inquiétant ? Malgré les traités signés par les Alliés, des rumeurs courraient-elles à l’époque sur une éventuelle exécution de l’empereur déchu, voire un assassinat ? Et que penser des membres de sa famille qui l’attendent, pendus, à l’île d’Elbe ? La réponse est peut-être dans la caricature suivante.

Note : 5 sur 5.

Napoléon à l’île d’Elbe
Caricature de Thomas Rowlandson, 1814

La mort, c’est peut-être tout simplement ce que Napoléon méritait dans l’esprit de nombre de ses contemporains. Cette caricature se passe de commentaires, puisque les légendes sont plus qu’explicites. « Ce que j’étais » : « Un tyran cruel » ; « Ce que je suis » : « Un misérable pleurnicheur » ; « Ce que je devrais être » : « Un bouffon pendu »… À noter, la très sarcastique mention qui figure sur le rocher : « Brève histoire de ma vie, que j’ai l’intention de publier » !
À travers cette caricature, Rowlandson critique peut-être ce qu’il considère comme un traitement fort généreux pour celui qui a mis l’Europe à feu et à sang pendant presque vingt ans. Néanmoins, il se trompe. Si, pour l’Empereur (qui conserve ce titre), la vie à l’île d’Elbe n’a sans doute pas été facile à supporter tous les jours, d’un point de vue psychologique, il est loin d’être l’épave larmoyante dépeinte sur ce dessin.
Le 4 mai 1814, Napoléon débarque sur cette île de 224 km² et 37 000 habitants située à une dizaine de kilomètres de la Toscane. Immédiatement, il se décide à exercer la pleine souveraineté que lui a accordée le traité de Paris. Il reconstitue une cour impériale, un palais presque digne de ce nom, des troupes, et se lance dans un travail de réorganisation des routes, des ports, des impôts, des ressources naturelles et agricoles, etc. S’il a la douleur d’être séparé de son épouse, Marie-Louise, et de son fils, le roi de Rome, tous les deux réfugiés à Vienne, il peut compter sur sa mère, Madame Mère, et sa sœur, la fidèle Pauline, qui viennent s’installer à Portoferraio, sa nouvelle capitale. Il reçoit également la visite de sa maîtresse, Marie Walewska, et de son fils adultérin, Alexandre Colonna Walewski.
Napoléon n’a pas le temps de pleurnicher, surtout, puisqu’il organise son retour sur le Continent : le 26 février 2015, après seulement 300 jours sur l’île d’Elbe, il s’embarque pour la France, avec un millier d’hommes entassés dans sept bateaux avec armes, munitions et bagages. Le 1er mars suivant, il débarque à Golfe-Juan. Le 20 au soir, il s’installe aux Tuileries, désertées par Louis XVIII et ses partisans quelques heures plus tôt. Si l’Europe est en émoi, Paris semble reprendre le cours de sa vie impériale. Mais cela ne va pas durer longtemps. À peu près cent jours !
Afin d’apaiser les puissances européennes réunies à Vienne, l’empereur restauré prétend vouloir la paix et, avec le soutien de Benjamin Constant, offre aux Français un régime beaucoup plus libéral. Mais les Alliés ne l’entendent pas de cette oreille et réunissent un million d’hommes, qui marchent sur la France. L’Empereur décide qu’il va les arrêter dans ce qui était ses départements belges et qui fait désormais partie du tout nouveau royaume des Pays-Bas.