


Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) ladpe.fr. Le Royal Collection Trust ne saurait être tenu pour responsable du contenu de ce parcours.
La bataille de Waterloo (1815)
Tableau de George Jones, 1822

The Battle of Waterloo, 1822
George Jones (1786-1869)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN407187
La bataille de Waterloo est certainement la plus emblématique de toutes celles des guerres napoléoniennes du point de vue des Britanniques, mais ce n’est pas la seule de cette campagne de Belgique. Le 15 juin, Napoléon passe la frontière et marche vers Bruxelles, alors que Wellington et ses officiers s’apprêtent à participer au fameux bal de la duchesse de Richmond (voir la traduction du texte de James Peill, conservateur des collections des ducs de Richmond à Goodwood House). Le lendemain, deux batailles se déroulent en même temps : les Français battent les Anglo-Hollandais aux Quatre-Bras et les Prussiens à Ligny, mais Wellington et Blücher parviennent à se replier en bon ordre et à préserver leurs forces. Deux jours plus tard, le 18 juin, l’Empereur attaque les troupes du Britannique à Waterloo, tandis que Grouchy est censé empêcher celles du Prussien de les rejoindre.
Ce tableau de George Jones nous plonge au cœur de la bataille. Le peintre sait de quoi il parle, puisqu’il a combattu sous les ordres de Wellington pendant les guerres de la péninsule ibérique. Commandée par Georges IV en 1822, ce tableau orne les murs de la salle du trône du palais de Saint-James, où elle accompagne l’autre grande œuvre de Jones, La bataille de Vittoria, présentée plus haut. Au premier plan, on voit le duc de Wellington, monté sur son cheval Copenhagen. Comme nous l’avons déjà remarqué, Arthur Wellesley a reçu ce titre avant la bataille de Waterloo, en récompense pour ses victoires au Portugal et en Espagne. Presqu’au centre de la composition, on aperçoit Napoléon au milieu des combats, sur son cheval blanc.
Le champ de bataille
Plan et vue de Charles Smith, 1815

Plan and View of the Battle of Waterloo, with the Positions of the Troops,
nearly at the moment the Victory was gained […], 12 Aug 1815
Charles Smith (c. 1768-1854)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN735188
Ce plan très complet, réalisé quelques mois après la bataille, précise d’abord le lieu des combats. Remarquons que le Nord est en bas et le Sud en haut. Les armées s’affrontent donc au Sud de Waterloo (le village est évoqué tout en bas) et de la forêt de Soignes, à une vingtaine de kilomètres de Bruxelles. La bataille a lieu autour du château-ferme d’Hougoumont, à proximité immédiate de Mont-Saint-Jean, où se trouvent basées les troupes de Wellington. D’ailleurs, les Français évoquent d’abord la bataille sous le nom de bataille de Mont-Saint-Jean. C’est toutefois dans le village de Waterloo que Wellington rédige sa fameuse dépêche et c’est donc sous ce nom que les Britanniques connaissent leur victoire. Quant aux Allemands, ils parlent de la « Victoire de la Belle-Alliance », du nom de l’auberge où Wellesley et Blücher se sont rencontrés au soir de la bataille. Elle figure également sur la carte, tout comme d’autres lieux importants, notamment la ferme de la Haye Sainte.
Bien sûr, nous n’allons pas nous attarder ici sur le déroulé des combats, mais il est tout de même intéressant d’évoquer les forces en présence. La légende, située tout en bas de la carte, mentionne, du côté des Alliés, des troupes britanniques (en rouge), des troupes belges et hollandaises (en jaune), ainsi que les troupes du duc de Brunswick (les Brunswickers, en noir, voir le personnage n°15 dans le Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber du château de Windsor). En face d’eux, de l’autre côté d’Hougoumont, les troupes de Napoléon (en bleu). Pour être plus précis, Wellesley commandait 25 000 Britanniques, 17 000 Néerlandais (la Belgique est rattachée aux anciennes Provinces Unies au sein du royaume des Pays-Bas depuis le 15 mars 1815), 7 000 Brunswickois, mais aussi d’autres troupes allemandes : 10 000 hommes du Hanovre, 6 000 hommes de la King’s German Legion et 3 000 hommes du Nassau (rappelons que le roi du Royaume-Uni règne également sur le duché de Brunswick-Lunebourg, devenu royaume de Hanovre le 12 octobre 1814). Ce sont donc 68 000 hommes qui s’opposent d’abord aux 71 600 soldats de l’Empereur.
La scène se situe juste avant la victoire finale des Alliés et on voit donc arriver les troupes prussiennes (en vert) : sur la gauche (à l’Est), les troupes commandées par Blücher (nominalement par von Zieten) et en haut à gauche (Sud-Est), celles placées sous le commandement de von Bülow. Il est donc à peu près 16h30. On sait que Grouchy n’avait pas « pu » retenir ces 100 000 hommes qui déterminent finalement l’issue de la bataille.
La position initiale des troupes commandées par Wellington est présentée sur la carte, mais pas celle des troupes françaises. Il est intéressant de noter que, tout en haut, figure le lieu d’où Napoléon observe la bataille. Il n’y a pas d’équivalent pour Wellington. Est-ce à dire que l’Empereur regarde ses hommes combattre de loin, tandis que le général britannique est au milieu de ses hommes ? Il s’agit bien sûr d’une légère adaptation de la réalité historique à des fins de propagande, qui s’oppose d’ailleurs au tableau précédent.
En y regardant de plus près, on peut entrer dans les détails des différentes armes : artillerie, cavalerie, mais aussi cuirassiers du côté français et gardes du côté britannique (il s’agit des régiments de la garde royale, notamment les Coldstream Guards, au niveau d’Hougoumont, qui est attaqué au début des combats par les troupes du roi Jérôme, plus jeune frère de l’Empereur). La position du 2e corps commandé par Rowland Hill est également visible (personnage n°1 dans le Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber du château de Windsor).
Le manteau de l’Empereur

Napoleon’s Cloak (Burnous), 1797 – 1805
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN61156
Selon la tradition, cet objet étonnant fait partie du butin pris à l’Empereur, après sa fuite du champ de bataille de Waterloo, au soir du 18 juin 1815.
Pendant longtemps, les péripéties de la prise par les Prussiens des objets personnels de Napoléon ont été assez mal connues, compliquées par des témoignages souvent contradictoires et des imprécisions sur la nature des biens concernés. En 2012, les décorations du vaincu, aujourd’hui conservées au musée historique d’État de Moscou, ont été exposées au musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, à Paris. À cette occasion, Jean Tulard a dirigé un passionnant ouvrage, où les meilleurs spécialistes ont pu préciser le déroulement et l’ampleur de ce pillage (Jean Tulard, dir., La berline de Napoléon : le mystère du butin de Waterloo, Paris, Albin Michel, 2012). Si les objets de la Royal Collection ne sont pas évoqués, ils nous permettent d’y voir plus clair sur leur histoire.
Pierre Branda nous explique d’abord l’ampleur des moyens mis à disposition pour le déplacement de l’Empereur, dans le cadre de la campagne de Belgique. Parties en trois convois successifs, quatorze voitures font partie du voyage, dont deux pour Napoléon (une dormeuse et un landau), deux pour la chambre, cinq ou six pour la bouche, une pour le cabinet, une pour les aides de camps, etc., sans compter la voiture de Maret, le puissant secrétaire d’État. Il y a également une « bastardelle » qui transporte notamment Marchand, le valet de chambre de l’Empereur, avec sa garde-robe. Signalons également la présence d’un fourgon du Trésor de la Couronne. Napoléon a en effet demandé à Peyrusse, le trésorier de la Couronne, d’y faire transporter un million en or, gardé « par un payeur, un officier de gendarmerie d’élite, deux sous-officiers et quatre gendarmes ». D’autres sommes d’argent en billets complètent le pécule, tiré non des fonds de l’État, mais des fonds personnels de l’Empereur.
Thierry Lentz dessine quant à lui le trajet de certaines de ces voitures. Napoléon et sa suite quittent le champ de bataille à cheval pour rejoindre le « palais du Caillou » (une simple ferme qui, parce qu’habitée par l’Empereur, a le rang de palais), mais, pendant la bataille, les voitures ont été envoyées à la Belle-Alliance. Il continue donc à cheval vers Genappe. Devant l’avancée des Prussiens, le général en charge du convoi décide de quitter la Belle-Alliance pour le Caillou, mais, l’Empereur étant déjà parti, il décide d’envoyer les voitures sur sa trace. Bientôt, elles sont bloquées par les troupes qui fuient et abandonnées sur place. Marchand, s’il peut sauver 300 000 francs en billets de banque, doit laisser derrière lui « le collier donné par Pauline à son frère à l’île d’Elbe (valeur : 300 000 francs), pour un million de francs de diamants « en grains » donnés par Joseph Bonaparte et 2 000 napoléons en or ». Cette voiture est prise et pillée par les Prussiens à l’entrée de Genappe. Sur les quatorze équipages envoyés en Belgique, neuf reviennent aux Tuileries. Cela signifie que cinq restent dans les environs de Waterloo. Il s’agit, en l’occurrence, des deux voitures de l’Empereur, de celle de Maret, de celle des secrétaires et de celle de Marchand.
Le sort des deux voitures de Napoléon est désormais connu, mais a longtemps été incertain du fait de la confusion entre les deux. Pour le dire simplement, lorsque « le landau en berline » est remis au feld-maréchal Blücher, commandant en chef des troupes prussiennes, celui-ci ignore que son subordonné, le major von Keller, s’est emparé de la « dormeuse ». La première est restée dans la famille du brillant commandant et est exposée au château de la Malmaison depuis 1973. La seconde a connu une histoire bien plus rocambolesque… sur le territoire britannique.
Le 25 juin 1815, une semaine après la bataille, la « dormeuse » arrive à Düsseldorf, dans la propriété du major von Keller. Quelques mois plus tard, il lui fait traverser la Manche pour l’offrir au Prince Régent. Elle est finalement vendue à William Bullock (1773-1849), le propriétaire d’un cabinet de curiosités, dont beaucoup avaient été ramenées des Mers du Sud par les équipages du capitaine Cook. Depuis 1812, la collection est installée dans un édifice de Piccadilly, commissionné par Bullock dans le style égyptien et qu’on connait donc sous le nom d’Egyptian Hall. Quant à sa collection, on parle du London Museum, de l’Egyptian Museum ou du Bullock’s Museum. Parmi les milliers d’artefacts qui y sont réunis, on trouve bientôt de nombreuses reliques de l’épopée napoléonienne, et notamment une partie du butin de Waterloo. La pièce maitresse est bien sûr ce qu’on appelle alors « la berline » de Napoléon. Le shilling payé par plus de 200 000 visiteurs comme droit d’entrée permet à Bullock d’encaisser une somme rondelette. Elle part ensuite pour une tournée à travers le pays et est finalement vendue à un carrossier, du nom de Robert Jeffreys. En 1842, elle rejoint le musée ouvert à Londres par Marie Tussaud et qui renferme lui-aussi un certain nombre d’objets en lien avec Napoléon, notamment deux autres voitures, celles du couronnement comme roi d’Italie et une des voitures de Sainte-Hélène. Malheureusement, le tout disparait dans un incendie, le 18 mars 1925. De la « berline de Napoléon », en fait sa « dormeuse », il ne reste qu’un essieu calciné, exposé à Malmaison depuis 1976. Les deux voitures de Waterloo, ou ce qu’il en reste, sont donc désormais réunies dans les communs de l’ancienne demeure de Napoléon et Joséphine.
Mais qu’en est-il du burnous de Napoléon ? La tradition retient qu’il est porté par le général Bonaparte pendant la campagne d’Égypte. On sait qu’il n’hésite pas à s’approprier un certain nombre de coutumes locales, qui lui permettent d’imposer plus facilement sa domination sur le pays. N’est-il pas allé jusqu’à prétendre qu’il n’aurait eu aucun souci à se convertir à l’islam si cela avait pu lui permettre de renforcer son autorité ? Il semble toutefois que le burnous du futur empereur soit de fabrication française, et non égyptienne, et postérieure à la campagne d’Égypte. Si on est certain qu’il figure dans les inventaires de Carlton House en juillet 1816, sa provenance n’est pas assurée, puisqu’il est mentionné comme « Said to be a Cloak worn by Bonaparte » (« manteau dont on dit qu’il a été porté par Bonaparte »). On dit aussi qu’il proviendrait du butin de Waterloo et aurait été offert par Blücher au futur Georges IV. Ce n’est pas l’avis de Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon. Dans un texte publié sur le site de la fondation, il remarque qu’aucune source ne fait mention d’un tel vêtement dans la garde-robe de l’Empereur en général, et encore moins à Waterloo. Selon lui, il pourrait éventuellement s’agir d’un cadeau diplomatique de la part du roi du Maroc ou du bey de Tunis, ce qui expliquerait le « N » brodé à l’intérieur, ou tout simplement d’un faux. Le mystère demeure.
Les collections royales britanniques conservent également un couteau (RCIN48460), dont la fabrication par Biennais, semble davantage prouver une provenance impériale. Il ferait ainsi partie des innombrables objets du quotidien de Napoléon, pris par les Prussiens dans les voitures de Waterloo, dont certains offerts ou vendus en Angleterre, notamment au Prince Régent.
La « Bannière de location » des ducs de Wellington
Le drapeau de l’année en cours est exposé
dans la Queen’s Guard Chamber, au château de Windsor

Rent banner, 1817 – 2020
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN39445
Au tout début de ce Parcours Napoléon, ainsi que dans l’introduction du Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber du château de Windsor, nous avons brièvement évoqué les « bannières de location » des ducs de Marlborough et de Wellington. De quoi s’agit-il ?
Au début du XVIIIe siècle, John Churchill, commandant en chef des forces britanniques, remporte d’admirables victoires contre la France de Louis XIV, dans le cadre de la guerre de Succession d’Espagne. Il est récompensé par le titre de duc de Marlborough, ainsi que par une importante somme d’argent offerte par la Nation reconnaissante, en tout cas par le Parlement britannique. Cette donation doit lui permettre d’édifier une somptueuse résidence, digne de son nouveau rang de héros national. La Couronne accorde à Churchill l’ancien domaine royal de Woodstock, près d’Oxford. C’est là qu’il va faire construire l’immense palais de Blenheim (Blenheim Palace), du nom de la victoire qu’il a remportée le 13 août 1704 (aussi appelée deuxième bataille de Höchstadt). D’après la tradition, c’est le seul bâtiment du pays à pouvoir se targuer du titre de palais, en dehors des résidences ou anciennes résidences royales (par exemple le palais de Westminster, siège du Parlement britannique, qui a toujours le statut de palais royal, ou Eltham Palace, dans la banlieue de Londres, qui est un ancien palais royal) ou de celles des prélats du royaume (par exemple Lambeth Palace, résidence de l’archevêque de Canterbury). Chaque année, depuis trois siècles, le duc de Marlborough du moment est assujetti au paiement d’un loyer symbolique à la Couronne, pour son domaine de Woodstock. Ce loyer prend la forme d’une copie d’une bannière blanche ornée de trois fleur-de-lys, c’est-à-dire les « couleurs de la France » à l’époque de Louis XIV (il n’y avait pas véritablement de drapeau national avant la Révolution). Le 13 août, le duc de Marlborough fait donc remettre au souverain un drapeau fleurdelysé, qui est ensuite exposé dans la salle des Gardes de la Reine, au château de Windsor. Il porte la mention de l’année en cours. L’histoire ne dit pas si une quittance de loyer est délivrée.
Après la bataille de Waterloo, on procède de la même manière pour le héros des guerres napoléoniennes. Le Parlement attribue l’énorme somme de £600 000 pour la construction d’un « Waterloo Palace ». Le choix de Wellington se porte sur le domaine de Stratfield Saye, dans le Hampshire, qui est l’ancien fief des Pitt. Néanmoins, Arthur Wellesley étant sans doute plus raisonnable que John Churchill, il décide de ne pas faire construire une telle demeure, mais d’utiliser l’argent pour améliorer celle qui existe, ainsi que sa résidence londonienne, Apsley House. Il n’y a donc pas de « Waterloo Palace » au Royaume-Uni, même si le duc de Wellington est créé prince de Waterloo par Guillaume Ier des Pays-Bas le 8 juillet 1815, avec le prédicat d’Altesse Sérénissime. Il reçoit également 1 000 hectares de terres, aujourd’hui situées dans le royaume de Belgique.
S’il n’y eut jamais de « Waterloo Palace », la tradition de la « Rent banner » fut conservée et, chaque année, à l’occasion de la « Waterloo Ceremony », le duc de Wellington du moment fait remettre au souverain la copie d’un drapeau tricolore. Napoléon, même empereur des Français, avait fait le choix de conserver cet héritage de la Révolution française. Naturellement, la cérémonie se déroule le 18 juin, jour anniversaire de la bataille de Waterloo. Les bannières sont également marquées de l’année du paiement de ce loyer symbolique. La bannière de l’année en cours est exposée dans la salle des Gardes de la Reine du château de Windsor, en face de celle du duc de Marlborough. Un buste de chacun des deux héros accompagne les drapeaux.
Le service commémoratif de la bataille de Waterloo
Conçu par Chamberlain & Co., à Worcester, 1816

Battle of Waterloo commemorative plate, 1816
Chamberlain & Co., Worcester
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN10884.7
De nos jours, les mariages royaux et autres anniversaires donnent lieu à la production et à la commercialisation d’un nombre impressionnant de produits dérivés, qu’on appelle en anglais des « goodies » : mugs, tea towels, assiettes, tee shirts, magnets, etc. Cette tradition est très ancienne, comme en témoignent notamment, sans remonter très loin dans le temps, les nombreuses médailles commémoratives distribuées par Napoléon au cours de son règne. Les monnaies commémoratives des empereurs romains sont un exemple beaucoup plus ancien. Naturellement, la victoire britannique à Waterloo a entraîné la multiplication de tels éléments de propagande nationale. Parmi tant d’autres exemples, les collections royales conservent quelques assiettes commémoratives. Comme les « goodies » d’aujourd’hui, elles n’étaient pas produites comme élément d’un service de table complet, mais pour être vendues à l’unité et exposées dans les foyers britanniques.
L’assiette présentée ici fait partie d’un lot de douze assiettes commémoratives représentant des scènes du champ de bataille de Waterloo. Elles ont été acquises pour le compte du Prince Régent, le 31 octobre 1816, auprès de la manufacture Chamberlain & Cie, basée dans la ville de Worcester, qui était un centre important de production de porcelaine. Chamberlain disposait également d’une boutique à Londres, d’abord sur Piccadilly, ensuite sur New Bond Street, et reçut le titre de fournisseur officiel du Prince Régent en 1807 (Royal Warrant). Depuis sa création en 1783, l’entreprise avait constitué une importante collection de sujets à collectionner, avec des vues de châteaux anglais, des scènes tirées des œuvres de Shakespeare ou l’évocation, comme ici, d’un événement historique de première importance dans l’histoire du pays et du continent.
Cette assiette nous montre une vue de l’auberge, dite Ferme de la Belle-Alliance, et située au lieu-dit éponyme, à quelque distance du champ de bataille. Elle se trouvait en plein centre des troupes françaises au début des combats, mais est surtout connue pour avoir abrité l’entrevue entre les deux commandants des armées alliées, le Britannique Wellington et le Prussien Blücher, au soir de la victoire. Si son nom semble évoquer le beau mariage des premiers propriétaires (l’auberge apparait sous ce nom sur une carte des années 1770), elle est devenue l’expression de l’alliance entre les puissances européennes contre celui qu’on appelait l’Usurpateur. La bataille de Waterloo est ainsi, en quelque sorte, celle de la Belle-Alliance, comme la bataille de Leipzig est celle des Nations et Austerlitz celle des Trois empereurs. Seuls les Allemands semblent avoir gardé le souvenir de ce nom et il y eut pendant longtemps une « Belle-Alliance Platz » à Berlin.
Le fauteuil de Waterloo
Meuble de Thomas Chippendale le Jeune, vers 1818-1820
Exposé dans la Queen’s Guard Chamber, au château de Windsor

Waterloo Chair, c. 1818-1820
Thomas Chippendale the Younger (1749-1822)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN31593
En plus des nombreux objets commémoratifs produits en série et diffusés dans l’Europe entière, certains artistes et artisans ont réalisés des œuvres uniques, dont certaines sont aujourd’hui conservées dans les collections royales britanniques (voir également le vase de Waterloo, plus loin).
Ce fauteuil, également exposé dans la salle des Gardes de la Reine du château de Windsor, évoque la bataille à plus d’un titre. Passons rapidement sur le décor, où se côtoient drapeaux, casque, têtes et pattes de lions, guirlandes de feuilles de chêne, inscriptions commémoratives et même un bas-relief représentant un lion au milieu du village de Waterloo, foulant des pattes le drapeau tricolore. Ce qui est plus intéressant, c’est la provenance du bois d’orme dans lequel le meuble est sculpté.
Cet orme se trouvait sur une butte, là où Wellington avait ordonné à ses troupes de se rassembler avant l’attaque finale. A priori, c’est là où se trouve aujourd’hui le Gordon Monument, du nom d’un aide de camp écossais du duc, tué sur le champ de bataille à l’âge de 29 ans. L’endroit appartenait à un paysan, qui y faisait pousser du maïs. Après la bataille et l’apparition presque instantanée d’une forme de tourisme mémoriel à Waterloo, son champ était régulièrement endommagé par des « chercheurs de souvenirs » qui venaient arracher des morceaux d’écorce de l’arbre, devenu, pour les Anglais, aussi mythique que le chêne de saint Louis mais, il faut bien le dire, bien plus réel ! En septembre 1818, le paysan décida donc d’abattre l’orme. Or, la veille de la coupe, un bibliothécaire du British Museum avait visité le site et sa fille avait réalisé un croquis de l’arbre. Ce dénommé John Children (1777-1854) décida donc d’acheter le bois de l’orme abattu et de le faire expédier à Londres. Il commanda plusieurs pièces de mobilier, dont un fauteuil qui fut plus tard offert au duc de Wellington. Le duc de Rutland, avec qui il était allé à l’université, fit également réaliser un fauteuil dans le bois d’orme offert par Children.
L’objet présenté ici est de première importance, puisque le bibliothécaire londonien le commanda à l’illustre ébéniste Thomas Chippendale le Jeune (1749-1822), le fils du Thomas Chippendale (1718-1779) qui avait marqué si brillamment l’histoire du mobilier anglais au XVIIIe siècle. Le fauteuil était destiné à être offert au Prince Régent, et, effectivement, il entra dans les collections de Carlton House le 24 février 1821.
Le vase de Waterloo
Sculpture de sir Richard Westmacott, 1819-1830
Exposé dans les jardins du palais de Buckingham

The Waterloo Vase, 1819-1830
Sir Richard Westmacott (1775-1856)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN68600
Pesant près de 40 tonnes, mesurant plus de 5 mètres de haut et presque 3 mètres de diamètre, l’un des mastodontes de la collection royale trône aujourd’hui dans les jardins du palais de Buckingham, après deux siècles d’une histoire mouvementée. Avant le vase de Westmacott, il y a un énorme bloc de marbre de Carrare, sorti des carrières toscanes en 1812. Ces fameuses carrières dépendent alors d’Élisa, une sœur de Napoléon dont il n’a été question que très brièvement jusqu’à présent.
Née le 3 janvier 1777 à Ajaccio, Maria-Anna (de) Buonaparte, future Élisa, convole vingt ans plus tard avec Félix Baciocchi, issu d’une grande famille corse, et ce, malgré les réticences de Napoléon, alors tout puissant général en Italie. S’il n’est pas particulièrement proche de cette sœur d’un point de vue affectif (comme il peut l’être avec sa bien-aimée Pauline), il partage avec elle un certain nombre de traits de caractère, et notamment ce génie de l’organisation administrative. Aussi, pour reprendre les termes de Thierry Lentz, fait-il d’elle « la première femme haut fonctionnaire de notre histoire », en la nommant « gouverneur général des départements de Toscane, avec autorité sur les préfets, la police et l’armée » (Thierry Lentz, Napoléon : dictionnaire historique, Paris, Perrin, 2020.),
Le 18 mars 1805, l’Empereur offre d’abord à Élisa la petite principauté de Piombino, sur la côté toscane. Quelques semaines plus tard, elle et Félix reçoivent également celle de Lucques. La sœur de Napoléon règne donc désormais en pleine souveraineté sur cette principauté de Lucques et Piombino. Le 31 mars 1806, le généreux frère y rattache la province de Massa et Carrare, prise à la Toscane, et donc les carrières de marbre. Élisa se lance alors dans un vaste programme de modernisation et de promotion de l’industrie marbrière de ses États. Elle organise notamment la production à grande échelle de copies de bustes de Napoléon et d’autres membres de la dynastie, et participe ainsi à la propagande impériale. Finalement, le 3 mars 1809, elle devient grande-duchesse de Toscane « ayant le gouvernement général des départemens de la Toscane », ce qui fait d’Élisa Baciocchi la seule des trois sœurs Bonaparte à être l’un des grands dignitaires de l’Empire, Caroline Murat et Pauline Borghèse n’étant que des épouses de grands dignitaires. Bien sûr, la nouvelle grande-duchesse, qui succède à Florence aux Médicis et aux Habsbourg, conserve Lucques et Piombino, mais surtout ses précieuses carrières de marbre.
Mais revenons au bloc. D’après les conservateurs des collections royales, les architectes et décorateurs Charles Percier et Pierre Fontaine avaient prévus de faire sculpter dans ce bloc un immense vase, qui aurait été placé au cœur du palais du roi de Rome, le gigantesque palais impérial que Napoléon prévoyait de faire construire sur la colline de Chaillot et dont les jardins auraient rejoints le bois de Boulogne. Mais la campagne de Russie et la grave crise économique qui touche l’Empire empêchent la construction du palais et le bloc de marbre reste en Toscane. En 1814, après la débandade russe et le soulèvement de l’Europe contre l’Empereur, les Baciocchi sont chassés de leurs États et le grand-duc de Toscane est à nouveau un Habsbourg. En 1815, Ferdinand III (1769-1824), qui est le frère de l’empereur d’Autriche et l’oncle de l’impératrice Marie-Louise, décide d’offrir le bloc de marbre au Prince Régent. Celui-ci désigne Richard Westmacott (1775-1856) pour sculpter un vase commémorant la victoire de Waterloo.
Ceux qui ont parcouru le Parcours Napoléon à l’abbaye de Westminster sont sans doute déjà familiarisés avec cet artiste, qui a réalisé de nombreux monuments en mémoire de soldats britanniques tombés pendant les guerres napoléoniennes et inhumés ou commémorés dans le panthéon londonien, ainsi que de dirigeants politiques de l’époque (Pitt le Jeune, Perceval, Fox). À la cathédrale Saint-Paul, il est également l’auteur du monument au lieutenant général sir Ralph Abercromby, tué à Aboukir le 28 mars 1801. Après les guerres napoléoniennes, il participe encore aux bas-reliefs de Marble Arch, au monument à Wellington dans Hyde Park, à la colonne du duc d’York (voir le Parcours Napoléon à Londres), mais aussi aux sculptures du fronton du British Museum.
Le vase de Waterloo est bien sûr un nouvel hommage à Wellington. Westmacott sculpte dans le bas-relief de la frise les dernières actions de la bataille du 18 juin 1815. Monté sur Copenhagen, Arthur Wellesley donne des ordres, au milieu de la charge finale de l’infanterie et de la cavalerie des troupes anglo-hollandaises. Napoléon, quant à lui, s’apprête à enfourcher son cheval pour s’enfuir. Le décor est complété par des allégories de la Victoire et de la Défaite, de la Paix qui présente une branche de palmier au Prince Régent, de l’Europe qui peut enfin quitter l’abri où elle s’était réfugiée, sous un trône, celui de Georges III, bien entendu.
L’œuvre aurait dû être la pièce centrale de la Waterloo Chamber du château de Windsor, mais, à cause de son poids, il fallut trouver une alternative. Après plusieurs localisations à Londres, elle atterrit finalement dans les jardins d’Édouard VII, au palais de Buckingham, en 1903. Le tout dernier objet présenté dans ce Parcours Napoléon dans les collections royales est d’ailleurs une photographie de la Reine Mère, prise par Cecil Beaton devant le vase.
