


Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) ladpe.fr. Le Royal Collection Trust ne saurait être tenu pour responsable du contenu de ce parcours.
Lettre de reddition de Napoléon

Letter of surrender from Napoleon to the Prince Regent, 13 July 1815
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 /
Royal Archives GEO/MAIN/21730.
De tous les souvenirs napoléoniens conservés au Royaume-Uni, celui-ci est tout à la fois le plus précieux et le plus émouvant. Il s’agit de la lettre de reddition envoyée par Napoléon au Prince Régent le 13 juillet 1815, pour lui demander l’asile au Royaume-Uni.
« Altesse Royale, en but aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique et je viens comme Thémistocle m’asseoir sur le foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse Royale comme au plus puissant, au plus constant et au plus généreux de mes ennemis.
Rochefort, 13 juillet 1815.
Napoléon »
Le 22 juin, quatre jours seulement après la défaite de Waterloo, Napoléon signe son acte d’abdication, le second. Quelques jours plus tard, Fouché l’a convaincu de se rendre à Rochefort, sur la côte atlantique, où deux frégates l’attendent pour l’emmener à Philadelphie. Il pourra jouir d’un exil paisible aux États-Unis d’Amérique, loin de la politique européenne. Le 6 juillet, l’empereur déchu arrive à Rochefort, mais des navires anglais empêchent son départ. Quelques jours plus tard, Napoléon s’installe à l’île d’Aix. Là, les derniers fidèles parviennent à le convaincre de se rendre aux Anglais : les généraux Savary, Lallemand, Gourgaud et Montholon, le grand maréchal Bertrand et le chambellan Las Cases. Il accepte, comptant sur l’esprit chevaleresque des Britanniques pour qu’ils lui permettent de se retirer à Londres, dans la campagne anglaise ou dans un château écossais. C’est dans cette perspective que la lettre est écrite par un secrétaire et signé par Napoléon, le 13 juillet.
Sauf qu’il n’attend pas la réponse du cabinet de Londres pour se rendre. Après les négociations menées par ses compagnons d’exil, Napoléon est accueilli à bord du HMS Bellerophon le 15 juillet. C’est a priori à ce moment qu’il remet la lettre aux représentants des autorités britanniques. Confiant pour son avenir, il est stupéfait d’apprendre le refus de lord Liverpool, le 23, lorsque le navire arrive au large des côtes anglaises. Le 7 août, il est transféré à bord du HMS Northumberland, chargé de le conduire sur l’île de Sainte-Hélène, un ilot rocheux au milieu de l’Atlantique Sud.
Napoléon à Sainte-Hélène
Tableau d’Hippolyte Paul Delaroche, vers 1855-1856

Napoleon at St Helena, c. 1855-1856
Hippolyte Paul Delaroche (1797-1856)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN404876
Ce tableau de Delaroche date des années 1850 et est donc nettement postérieur à l’arrivée de Napoléon dans son nouveau lieu d’exil. Après trois mois sur les eaux de l’Atlantique, l’Empereur, sa suite et ses geôliers mettent pied à terre le 17 octobre 1815. Voilà comment Thierry Lentz nous décrit l’île dans son Dictionnaire Napoléon : « longue de 17 kilomètres et large de 10, à 1 930 kilomètres de la côte africaine et 3 500 kilomètres de celle du Brésil, ses 177 kilomètres carrés encadrés de hautes falaises de 200 à 300 mètres avec peu d’accès à la mer » (Thierry Lentz, Napoléon : dictionnaire historique, Paris, Perrin, 2020). Fanny, l’épouse du fidèle général Bertrand, qui est par ailleurs grand maréchal du palais, aurait quant à elle dit en voyant apparaître les côtes de Sainte-Hélène : « C’est le diable qui a chié cette ile en volant d’un monde à l’autre ».
Lorsqu’il a quitté l’Europe, les Britanniques ont autorisé l’empereur déchu à se faire accompagner d’un nombre réduit de compagnons, en l’occurrence trois officiers et un secrétaire, à savoir les généraux Henri Gatien Bertrand, Charles Tristan de Montholon et Gaspard Gourgaud, et le conseiller d’État Emmanuel de Las Cases. Fanny Bertrand a suivi son mari avec leurs deux enfants, Napoléon et Hortense, tout comme Albine de Montholon, qui voyage avec leur fils Tristan. Quant à Las Cases, il est accompagné de son fils, Emmanuel-Pons. Les Bertrand donnent naissance à un troisième enfant à Sainte-Hélène, Arthur, en 1817. Les Montholon y ont deux filles, Napoléone en 1816 et Joséphine en 1818. On prétend d’ailleurs que la seconde n’est autre que le tout dernier rejeton de l’Empereur.
Napoléon est également accompagné d’une dizaine de domestiques, parmi les plus fidèles : Louis Marchand, qui est son premier valet de chambre depuis 1814 ; Louis-Étienne Saint-Denis, connu sous le nom de « mamelouk Ali », qui n’a de mamelouk que son uniforme ; le valet suisse Jean Abram Noverraz ; ou encore le maître d’hôtel corse Cipriani, qui meurt sur l’île en 1818.
D’autres personnes viennent rejoindre l’Empereur au fil du temps (le médecin Antomarchi, le prêtre Vignali, par exemple), tandis que certains rentrent en Europe, soit par choix plus ou moins personnel (Albine de Montholon, Gourgaud), soit sur ordre des Britanniques (Las Cases est expulsé dès 1816).
Face à cette trentaine de reclus, les Britanniques disposent d’une force de plusieurs milliers d’hommes, sous les ordres d’un gouverneur de Sainte-Hélène. L’île était en fait une possession de la Compagnie britannique des Indes orientales et elle disposait de son propre gouverneur. Mais lorsque le gouvernement de Londres décide de réquisitionner l’île, le gouverneur de la Compagnie est remplacé par un gouverneur militaire, aux ordres du ministre de la Guerre et des Colonies, lord Bathurst. Le poste est d’abord occupé par George Cockburn, qui a escorté Napoléon à bord du HMS Northumberland. Quelques mois plus tard, il est remplacé par un nouveau gouverneur, de triste mémoire, le fameux Hudson Lowe, qui arrive avec son épouse le 14 avril 1816. Il y a en permanence 2 000 soldats pour surveiller l’Empereur, espionner ses compagnons, empêcher une évasion. Des navires de la Royal Navy tournent en permanence autour de l’île, pour surveiller ses côtes et ses rares points d’accès, dont la plupart ont été fortifiés. Mais, selon l’historien Pierre Branda, c’est l’ensemble de l’Atlantique Sud qui est quadrillé par la flotte britannique. Selon lui, « Jamais dans l’histoire mondiale autant de moyens et d’espace ne furent mobilisés pour enchaîner un seul homme ». (Pierre Branda, Napoléon à Sainte-Hélène, Paris, Perrin, 2021).
C’est finalement cette vision d’un homme seul que traduit le portrait posthume de Delaroche : celle d’un homme qui a toujours vécu entouré d’une famille fort nombreuse et soudée, malgré les dissensions, qui a constitué une cour dotée de centaines de dignitaires et servie par des milliers de domestiques (3 381 en 1812), qui a conduit à travers l’Europe des armées composées de centaines de milliers d’hommes (455 000 hommes pendant la campagne de Russie) et qui est désormais condamné à partager son exil, sur un rocher perdu au milieu de l’océan, avec quelques personnes, certes fidèles, parfois intéressées, et, pour quelques-uns d’entre eux, au caractère aussi ombrageux que celui de leur maître.
Les journées de Napoléon
Gravure d’Ackermann, 1816

Napoleon Bonaparte, 1816
R. Ackermann
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN617774
Sur cette gravure, on retrouve Napoléon dans sa pause habituelle : la tenue de colonel, le bicorne porté en bataille (parallèle aux épaules) plutôt qu’en colonne (perpendiculaire) et complété d’une cocarde tricolore, les mains derrière le dos. Que fait-il ? Il observe, peut-être. Qu’avait-il d’autre à faire à Sainte-Hélène ? Sur l’île d’Elbe, l’Empereur était le souverain absolu d’une principauté, qu’on dirait peut-être aujourd’hui d’opérette. Comme il l’avait toujours fait, il avait profité de ce pouvoir presque sans limites (elles étaient surtout financières) pour réformer, organiser, améliorer. Sur l’île de Sainte-Hélène, il n’est plus guère qu’un prisonnier, dont la souveraineté s’étend à peine sur sa demeure.
Du 18 octobre au 10 décembre 1815, Napoléon loge d’abord chez les Balcombe, au pavillon des Briars, en attendant que le logement qui lui a été attribué par les Britanniques soit préparé. Au cours de ces semaines, peut-être les plus agréables qu’il a passé à Sainte-Hélène, il sympathise avec Betsy Balcombe, alors âgée de 13 ans. Il est important de le préciser : Napoléon n’avait pas forcément de préjugés contre les Britanniques en tant qu’individus. S’il s’oppose évidemment au gouvernement de Londres, aux politiciens et aux militaires qui sont à leurs ordres, il sait aussi nouer des relations très cordiales avec certains Britanniques de Sainte-Hélène, de simples particuliers, comme les Balcombe, le docteur O’Meara (l’Irlande fait partie intégrante du Royaume-Uni depuis 1803) ou, d’une autre manière, lady Holland, muse du parti libéral qui, depuis Londres, tente avec son mari de faire fléchir le gouvernement sur le sort réservé à l’empereur déchu et lui envoie de nombreux livres pour agrémenter son exil au beau milieu de l’Atlantique.
Dès décembre 1815, Napoléon doit quitter le charmant domaine des Balcombe pour s’installer à Longwood House, sur le plateau du même nom, balayé par les vents et imprégné d’humidité. L’ancienne résidence d’été des gouverneurs de la Compagnie des Indes orientales a été aménagée dans l’urgence. L’Empereur y dispose de quelques pièces de représentation, d’autres plus intimes (antichambre, salon, salle à manger, cabinet de travail, chambre à coucher, bibliothèque, cabinet de bain). Il y recrée une petite cour où dignitaires et domestiques doivent respecter l’ancienne étiquette des Tuileries. Ce petit monde loge dans les nombreuses pièces à l’arrière de la maison, à l’exception des Bertrand, qui ont leur propre pavillon dans le domaine. Bertrand est toujours grand maréchal du palais, Montholon est chambellan, Gourgaud est écuyer, Las Cases est secrétaire : titres devenus quelque peu ronflants pour ces compagnons d’infortune.
La vie à Sainte-Hélène est bien sûr ennuyeuse, compliquée par les relations conflictuelles entre les compagnons cités à l’instant, compliquée aussi par l’opposition grandissante entre Napoléon et Hudson Lowe. L’Empereur et le gouverneur cherchent tous deux à imposer leur pouvoir. L’Empereur s’amuse à ennuyer le gouverneur avec des questions d’étiquette. Le gouverneur répond en imposant des règles de surveillance et d’isolement de plus en plus strictes. Que reste-t-il à l’ancien souverain ? La lecture, la promenade, le règlement des conflits au sein de sa suite, un peu de jardinage à la fin de sa vie, mais surtout sa dernière grande réalisation politique : mettre en place sa légende.
Afin de réhabiliter son image actuelle et de préparer sa postérité, Napoléon passe des heures à dicter ses souvenirs à ses compagnons d’exil. Bien sûr, tout n’est pas toujours très objectif : comment se présenter comme le grand champion des libertés en Europe sans faire sourire ou froncer les sourcils ? Dans son Dictionnaire, Thierry Lentz donne une description très intéressante de ces Mémoires de Napoléon. Comme il l’indique, il ne faut pas les confondre avec les nombreux écrits de ses compagnons, en premier lieu le colossal Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases.
Dans ces Mémoires, l’Empereur tente de se justifier, en même temps qu’il laisse une sorte de testament politique à son fils, le roi de Rome, relégué à Vienne. Il jette aussi un regard sur le passé, regard subjectif, déformé, et sans doute un peu nostalgique, comme sur la gravure présentée ici. Malgré les nombreuses rumeurs de tentatives pour le faire évader, Napoléon a fini par comprendre qu’il ne quitterait plus sa prison de l’Atlantique Sud.
La Légion d’honneur de l’Empereur
Décoration française, vers 1802-1804

Légion d’Honneur – Emperor Napoleon I’s Star, c. 1802-1814
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN441475
Si les reliques de Waterloo sont nombreuses et, comme nous l’avons vu, suscitent parfois le débat, il en va de même pour les reliques de Sainte-Hélène.
Passons sur les reliques physiques de Napoléon. Si quelques mèches de cheveux ont bien été prises sur le corps du défunt empereur, on ne compte plus les autres morceaux de son anatomie qui ont fait leur apparition après sa mort, le 5 mai 1821. Si la polémique a aujourd’hui été éteinte par les historiens les plus sérieux, il y a même encore des adeptes de la théorie du complot pour prétendre que l’Empereur repose à l’abbaye de Westminster, et que c’est peut-être le fidèle Cipriani qui est inhumé sous la Coupole des Invalides !
En revanche, il existe évidemment une infinie variété d’objets qui témoignent des six années passées par l’Empereur dans son île de l’Atlantique Sud. Une partie d’entre elles ont été cédées par Napoléon, soit vendues (l’argenterie des Tuileries martelée et vendue au poids à Jamestown pour protester contre la baisse du budget de Longwood imposée par Bathurst et Hudson Lowe) soit offertes par le captif à des proches, des visiteurs de passage ou même des Anglais ayant plus ou moins sympathisé avec lui. L’autre partie, la plus importante, relève bien sûr de la succession de l’Empereur. Il s’agit de toutes les possessions personnelles de Napoléon qui restaient à Longwood House au moment de sa mort et des reliques de son immense fortune. Si les derniers compagnons reçoivent des sommes d’argent plus ou moins importantes, ses frères et sœurs doivent se contenter de quelques objets sans grande valeur (Napoléon estime les avoir suffisamment récompensés au cours de son règne. Seuls son fils, le roi de Rome, se voit attribuer une part conséquente des objets personnels de Sainte-Hélène : livres, armes et autres souvenirs. Malheureusement, les exécuteurs testamentaires ne seront pas en mesure de les faire parvenir à celui qui est devenu duc de Reichstadt. La mort prématurée de l’Aiglon, le 22 juillet 1832, à l’âge de 21 ans, fait passer son héritage familial à sa grand-mère, Madame Mère, retirée à Rome avec l’oncle Fesch. Rappelons que, parmi les bénéficiaires du testament de Longwood, figure une Anglaise, lady Holland, qui se voit attribuer une tabatière, désormais conservée au British Museum. L’égérie du parti libéral, favorable à l’Empereur, se voit ici remercier pour son soutien et ses tentatives auprès du gouvernement (ultra-)conservateur pour améliorer le sort du prisonnier, comme pour les nombreux livres qu’elle a expédiés à Sainte-Hélène pour garnir sa bibliothèque.
Bien sûr, l’objet ici représenté fait partie de la première série de reliques, celles cédées par l’Empereur. Il aurait donné cette étoile de grand-croix de la Légion d’honneur au quartier maitre Stevens. Nous n’avons pas plus d’information à ce sujet.
