


Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) ladpe.fr. Le Royal Collection Trust ne saurait être tenu pour responsable du contenu de ce parcours.
La reine Victoria devant la tombe de Napoléon Ier (1855)
Tableau d’Edward Matthew Ward, 1860

Queen Victoria at the Tomb of Napoleon, 24 August 1855, 1860
Edward Matthew Ward (1816-1879)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN402019
Pendant des siècles, Londres et le Royaume-Uni ont été une terre d’accueil pour les exilés français. Des Huguenots aux Émigrés, des Communards aux Résistants, des Bourbons aux Orléans, des hommes et des femmes de tous les bords et de toutes les convictions ont pu se placer sous la protection des lois britanniques. Si ce refuge ne fut pas accordé à Napoléon Ier après Waterloo, bien des membres de sa famille furent autorisés à séjourner au Royaume-Uni, notamment lorsque leur présence sur le territoire français était interdite.
Le premier d’entre eux, avant même la chute de l’Aigle, fut Lucien Bonaparte, brouillé avec son impérial frère. Mais sa présence à Ludlow et Grimley relève plus de la résidence surveillée que de l’exil franchement volontaire. Il voulait s’établir aux États-Unis mais son navire fut arraisonné par la Navy et il fut envoyé en Angleterre. (voir Cédric Lewandowski, Lucien Bonaparte : le prince républicain, Paris, Passés composés, 2019.)
Après la fin de l’Empire, plusieurs Bonaparte séjournèrent à Londres. On se souvient de Joseph qui revenait des Amériques et était reçu dans la bonne société britannique. On sait aussi que son turbulent neveu, Louis-Napoléon, profite plusieurs fois de la sécurité des lois britanniques, notamment après l’échec du coup de Strasbourg, puis après l’évasion du fort de Ham. C’est depuis Londres qu’il prépare son élection en tant que Président de la Deuxième République. Une fois devenu empereur, sous le nom de Napoléon III, il conserve un attachement particulier pour Londres et le Royaume-Uni, ainsi que pour la reine Victoria et son époux, le prince Albert. Avec Victoria et ses ministres, il accentue le rapprochement entre les deux nations, ébauché par Louis-Philippe, et qui deviendra l’Entente cordiale. Cela s’exprime notamment par une série de visites d’États réciproques, notamment celle qui voit venir le couple royal à Paris en août 1855, en marge de l’Exposition universelle. Napoléon et Eugénie vont à Boulogne-sur-Mer pour accueillir Victoria et Albert. Logés à Saint-Cloud, ils visitent Versailles et Saint-Germain-en-Laye (où les derniers rois jacobites avaient vécu en exil après la Glorieuse Révolution), le Louvre et les Tuileries, et sont reçus à l’Hôtel de Ville de Paris et à l’Opéra.
Victoria souhaite également se recueillir devant la tombe de Napoléon Ier, geste éminemment politique et diplomatique, qui signifie l’espoir d’une paix prolongée et d’une alliance indéfectible entre les deux pays. La scène se déroule le 25 août 1855, dans la chapelle Saint-Jérôme de l’église royale des Invalides : Napoléon ne rejoindra la crypte que quelques années plus tard. Au centre, on reconnait Napoléon III avec son bicorne à la main, et Victoria avec son châle rose. Derrière se trouvent deux femmes : peut-être lady Ely (1821-1890), dame d’honneur de la reine, et la princesse d’Essling (1802-1887), grande-maîtresse de la Maison de l’impératrice, qui représente cette dernière. Puis viennent Auguste Rougevin (1794-1878), architecte en charge des Invalides de 1832 à 1859, le comte d’Ornano (1784-1863), gouverneur des Invalides de 1853 à 1863, le général Sauboul, commandant des Invalides. Entre ces deux derniers personnages, c’est Henry Wellesley (1804-1884), comte Cowley. Ambassadeur du Royaume-Uni à Paris, il n’est autre que le neveu du duc de Wellington, encore un signe de l’apaisement entre les deux pays et les deux dynasties. De l’autre côté, la princesse Mathilde (1820-1904), fille du roi Jérôme (lui-même gouverneur des Invalides à l’époque du Prince-Président) et cousine de Napoléon III, accompagne le prince Albert et les deux aînés, la Princesse Royale (titre attribué à l’aînée des filles d’un souverain britannique) et le prince de Galles, futur Édouard VII, en tenue des Highlands, le bonnet à la main.
Le musée Napoléon de Marlborough House
Photographie de Grove & Boulton, 1912

Napoleonic Room, Marlborough House 1912
Grove & Boulton, 174 Brompton Road, London
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN2102003
Comme son nom l’indique, Marlborough House fut d’abord la résidence londonienne des ducs de Marlborough. Dans plusieurs de nos Parcours Napoléon, nous avons déjà évoqué le parallèle entre le 1er duc de Marlborough et le 1er duc de Wellington.
En 1817, la résidence est réintégrée au domaine de la Couronne et d’abord attribuée à la princesse Charlotte de Galles, fille du Prince Régent et héritière en second du trône. Après la mort prématurée de la jeune fille, elle est parfois occupée par son époux, le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, futur roi des Belges (personnage n° 19 du Parcours Napoléon dans la Waterloo Chamber). Avec l’accession au trône de la reine Victoria, en 1837, Marlborough House devient la résidence de la veuve de son prédécesseur, la reine Adélaïde de Saxe-Meiningen, épouse de Guillaume IV. Sur l’impulsion du prince Albert, elle sert ensuite pendant plusieurs années à l’École nationale d’entrainement à l’art (National Art Training School), qui deviendra le Royal College of Art.
Finalement, dans les années 1860, elle est réaménagée pour devenir la résidence officielle du prince héritier et de son épouse. Compte-tenu de la longévité de la reine Victoria, elle restera associée au futur Édouard VII et à la reine Alexandra pendant de nombreuses années. On parle d’ailleurs fréquemment du Marlborough House Set, que l’on pourrait traduire par « groupe de Marlborough House », voire « clique de Marlborough House » si on souhaite lui donner un sens péjoratif. Il s’agissait du groupe d’amis du prince et de la princesse de Galles, groupe éminemment plus ouvert et libéral que l’entourage de la « Veuve de Windsor ».
C’est le futur Édouard VII qui fait aménager une salle Napoléon (Napoleon Room) dans sa demeure londonienne. Cette pièce est remplie de souvenirs du règne de l’Empereur : tableaux, gravures et sculptures, mobilier de style Empire (accoudoirs en tête de cygne, dossiers ornés de palmettes) et autres ornements napoléoniens (le motif de la tapisserie et des tentures est très proche du fameux « N » lauré). On notera également, dans l’embrasure de la porte, un tableau qui semble être un portrait du Prince Impérial, fils de Napoléon III.
Si la Napoleon Room date du futur Édouard VII, il est difficile de dire s’il est responsable de l’aménagement visible sur la photographie. On sait que l’épouse de son fils, la future reine Mary, a eu une importance considérable dans l’organisation des collections royales. En 1901, à la mort de la reine Victoria, Édouard VII et la reine Alexandra s’installent au palais de Buckingham et ce sont les nouveaux héritiers, le futur Georges V et la future reine Mary, qui occupent Marlborough House. Neuf ans plus tard, à la mort d’Édouard VII, ces derniers s’installent à leur tour au palais de Buckingham, et la reine douairière, Alexandra, revient vivre à Marlborough House. Au moment où cette photo a été prise par Grove & Boulton, c’est donc elle qui occupe la demeure, mais cela ne nous indique pas à qui l’on doit véritablement le décor de cette pièce. Il est toutefois important de noter que l’attrait pour Napoléon est toujours bien présent dans les générations de la famille royale britannique qui ont succédé à la reine Victoria, la grande amie de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie.
Théière de l’Empereur
Fournie par Martin Guillaume Biennais, 1809-1815

Teapot, 1809-1815
Martine Guillaume Biennais (1764–1843)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN48395
Cette théière a jadis été exposée dans la Napoleon Room de Marlborough House (d’après un inventaire de 1885). On sait qu’elle a été acquise par le prince de Galles, futur Édouard VII. Elle était d’ailleurs précieusement conservée et étiquetée, puisque c’était l’un des rares trésors de la salle qui soit directement de provenance impériale. Biennais, dont nous avons déjà parlé au début de ce parcours, a doublement marqué cette provenance : par le « N » ornant le piédestal sur lequel des anges déposent une couronne impériale ; par les armoiries impériales qui figurent en dessous, avec l’aigle napoléonien et le grand-collier de la Légion d’honneur.
La théière est accompagnée d’une boite à thé, au décor similaire. Il est probable que ces deux objets fassent partie d’un nécessaire, dont le coffret et les autres éléments éventuels auraient été « perdus ».
Napoléon le Tout-Petit
Miniature anglaise, 1924
Exposée dans la maison de poupée de la reine Mary, au château de Windsor

Napoleon, 1924
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN230708
Si nous qualifions Napoléon de Tout-Petit, en paraphrasant Victor Hugo qui évoquait Napoléon III comme « Napoléon le Petit », c’est que cette statuette mesure à peine 5 centimètres de haut (4,6 pour être précis). C’est l’une des innombrables et minuscules curiosités qui ornent la maison de poupées de la reine Mary (Queen Mary’s Dolls House), véritable trésor des collections royales exposé au rez-de-chaussée du château de Windsor.
Conçue par le grand architecte sir Edwin Lutyens en 1920, elle est offerte par la Nation à la reine Mary, épouse de Georges V, comme un témoin d’une ère à jamais révolue, celle d’avant la Grande Guerre. Lutyens fait appel aux plus grands artistes, artisans et industriels de l’époque pour réaliser des objets miniatures (par exemple Rolls-Royce pour les voitures, Otis pour l’ascenseur). La demeure, de 2,59 mètres de long pour 1,49 mètre de large et 1,52 mètre de haut, est à l’échelle « 1 inch » pour « 1 foot ». De la salle à manger au grand salon, en passant par les chambres royales et les nurseries, on découvre une multitude de reproductions lilliputiennes d’objets réels : tableau de Winterhalter, joyaux de la Couronne, bouteille de Montrachet 1889, cheminée d’Inigo Jones et même du papier toilette dans les salles de bains !
Dans la bibliothèque, 300 livres miniatures occupent les étagères, tous reliés par des ateliers britanniques, certains à partir de microphotographies. Au catalogue, on trouve pêle-mêle trois Bibles et un Coran, des pièces de Shakespeare, des poèmes de Robert Burns, des romans de sir Arthur Conan Doyle, Thomas Hardy, Edith Wharton, un album de timbres, un dictionnaire, des partitions musicales et des livres pour enfants. Les bureaux sont encombrés de coffrets, d’écritoires, de vases, de photographies et de sculptures, notamment celle de l’ennemi historique des Britanniques : Napoléon. Cet objet témoigne d’une nouvelle réalité : plus qu’un ennemi, l’Empereur était devenu un personnage de leur propre histoire, un héros européen qu’il convenait de célébrer.
La Reine Mère devant le vase de Waterloo
Photographie de Cecil Beaton, 1939

Queen Elizabeth The Queen Mother (1900-2002) when Queen Elizabeth,
Buckingham Palace Gardens, 1939
Cecil Beaton (1904-1980)
Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023 / RCIN2315149
Terminons ce Parcours Napoléon dans les collections royales par une image très glamour. Il s’agit d’une photographie de la reine Élisabeth, épouse de Georges VI, devant le Vase de Waterloo que nous avons évoqué plus haut.
Elizabeth Bowes-Lyon, fille du comte écossais de Strathmore et Kinghorne, est née le 4 août 1900. En 1923, elle épouse le duc d’York, deuxième fils du roi Georges V et de la reine Mary. À la faveur de l’abdication de son frère aîné, le roi Édouard VIII, le duc d’York monte sur le trône en 1936, sous le nom de Georges VI. La photographie est prise trois ans plus tard, peu avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale. Elle est signée Cecil Beaton, l’un des plus grands photographes de mode du XXe siècle. Il a réalisé des portraits des plus grandes personnalités du monde, de De Gaulle à Churchill en passant par Picasso et Dali, Marilyn Monroe et Elizabeth Taylor, Balenciaga et Givenchy, Mike Jagger et Jane Birkin, Caroline de Monaco et Inès de la Fressange. Proche de la famille royale, et notamment de la Reine Mère, c’est lui qui fut choisi pour réaliser le portrait official de la reine Élisabeth II, le jour de son couronnement, le 2 juin 1953. Il fut également créateur de costumes pour le théâtre et le cinéma (Gigi, de Vincente Minnelli, 1958 ; My Fair Lady, de George Cukor, 1964).
Ce portrait a quelque chose d’historique. À la veille de cette guerre où les Français et les Britanniques combattirent côte à côte contre les Allemands (nouveau renversement des alliances !), il symbolise cette Entente cordiale si chère à la famille royale, et notamment à cette reine francophone et francophile, disparue plus que centenaire, le 30 mars 2002.
