Les textes ont été rédigés par Thomas Ménard. N’hésitez pas à lui signaler toute erreur en écrivant à t.menard (a) ladpe.fr. La Wallace Collection ne saurait être tenue pour responsable du contenu de ce parcours.
Nous avons déjà évoqué les deux portraits de grenadiers, qui ont été le prétexte pour parler de l’île d’Elbe et, peut-être, de Sainte-Hélène. Nous avons parlé, aussi, de Napoléon passant la garde en revue ou participant à la bataille d’Ulm ou au siège d’Acre. La Wallace Collection renferme bien d’autres tableaux consacrés aux aspects militaires de l’épopée napoléonienne, qu’il s’agisse de batailles célèbres ou de soldats inconnus.
Le général Bonaparte avait déjà combattu en Italie. Après le siège de Toulon, c’est là, d’ailleurs, qu’il avait obtenu ses premières victoires et ses premiers lauriers. Après Brumaire et son accession au titre de Premier consul, Napoléon doit lancer une seconde campagne dans le Nord de la péninsule, en 1799. Il s’agit de combattre les Autrichiens qui menacent la République cisalpine et les autres intérêts français. La bataille décisive se joue à Marengo, dans le Piémont, le 14 juin 1800 (26 prairial an VIII). C’est bien sûr une grande victoire pour le Premier consul et l’occasion d’admirer la bravoure de la Garde consulaire, ici représentée par Auguste Raffet. Rappelons que cette victoire fait partie de l’intrigue de Tosca, l’opéra de Puccini, créé un siècle plus tard, le 14 janvier 1900. Selon la légende, c’est également au soir de cette glorieuse journée que François Claude Guignet, dit Dunan, un des cuisiniers de Bonaparte, élabore la recette d’une fricassée de poulet à la sauce tomate et au vin blanc, le « poulet de la victoire », dit poulet Marengo, qui se décline ensuite avec du veau ou du lapin ! Enfin, elle donne son nom à l’un des chevaux préférés de l’Empereur, dont le squelette est aujourd’hui conservé à Londres, dans les collections du National Army Museum.

La Garde consulaire à Marengo (The Consular Guard at Marengo), vers 1844-1845,
Auguste Raffet (1804-1860),
© The Trustees of the Wallace Collection, P744, non exposé.
Avec la Légion de la Vistule, dont un des soldats est ici représenté par Horace Vernet, on fait un saut de quelques années. Un des aspects de la politique militaire napoléonienne est l’obligation par les pays frères, vassaux ou amis de fournir des renforts pour les armées françaises. C’est ainsi que des soldats de l’Europe entière suivent l’Empereur au-delà du Niémen. Parmi eux, beaucoup de Polonais.
Le duché de Varsovie est créé en 1807, suite aux traités de Tilsit, avec la Russie et la Prusse. Il est confié au roi de Saxe, l’un des principaux alliés de l’Empereur. Frédéric-Auguste envoie quelques milliers d’hommes, qui rejoignent la Légion polonaise et italienne. L’année suivante, le 31 mars 1808, Napoléon les incorpore au sein d’une nouvelle Légion de la Vistule, une unité mixte regroupant infanterie, cavalerie et artillerie. La Légion se bat en Espagne, aux côtés d’autres régiments polonais, mais surtout en Russie. Après la désastreuse retraite de Russie, la Légion est dissoute le 18 juin 1813, mais un régiment de la Vistule lui succède. Il participe à la campagne d’Allemagne et à la campagne de France, restant fidèle à l’Empereur. Plusieurs centaines de soldats du régiment de la Vistule accompagnent Napoléon à l’île d’Elbe. Beaucoup seront aussi à ses côtés à Waterloo.

Grenadier de la Légion de la Vistule (Grenadier of the Vistula Legion), 1823,
Horace Vernet (1789-1863),
© The Trustees of the Wallace Collection, P728, non exposé.
La Wallace Collection renferme deux tableaux de Géricault : l’un est un portrait du prince de Galles, futur Georges IV ; l’autre est une scène militaire décrivant la bravoure des armées de son ennemi, Napoléon Ier. Sur cette « charge de cuirassiers », on devine un des cavaliers de la Grande Armée arrachant un drapeau à un fantassin russe. Nous n’avons pas plus d’information sur cette œuvre, mais peut-être illustre-t-elle la campagne de Russie, puisque plusieurs des tableaux de Théodore Géricault représentent cette étape charnière dans l’épopée napoléonienne.
Il est intéressant de noter que cette œuvre fut achetée par Richard Seymour-Conway, 4e marquis de Hertford… à son propre fils illégitime, Richard Wallace, lors d’une vente aux enchères les 2 et 3 mars 1857 à Paris : à cause de mauvais placements boursiers, le fils doit se défaire de 320 objets d’art et 152 tableaux, achetés grâce à la pension de son père (voir l’article de Susan Moore pour Apollo Magazine, le 24 juillet 2018) ! Le Géricault revient à sir Richard lorsqu’il hérite des biens de son père, en 1870.

Une charge de cuirassiers (A Charge of Cuirassiers), vers 1822-1823,
Théodore Géricault (1791-1824),
© The Trustees of the Wallace Collection, P274, West Gallery III.
La dernière scène de bataille, celle de Bellangé, est consacrée au dernier grand événement de l’épopée napoléonienne, la bataille de Waterloo. Cette scène est pourtant très approximative, puisque l’Empereur n’a jamais été aussi directement menacé par les armées britanniques. Il l’a été par les Prussiens, mais pas à une aussi courte distance.
On le voit à l’extrême-droite du tableau, bien reconnaissable à son bicorne. Pour le protéger des Tuniques rouges, il n’y a que quelques lignes de soldats de la Garde, et notamment quelques officiers. Auraient-ils pu résister à la vague qui s’apprête à déferler ? Plus qu’un résumé, ce tableau est peut-être une allégorie. N’est-ce pas Wellington en personne qui commande la charge des cavaliers britanniques ? N’est-ce pas tout simplement l’image de la victoire finale et symbolique des Anglais sur Napoléon ?

Waterloo, vers les années 1840, Hippolyte Bellangé (1800-1866),
© The Trustees of the Wallace Collection, P748, non exposé.
Dans le tableau suivant, Vernet témoigne du fardeau des survivants. Encore une fois, l’œuvre est imagée. Le soldat, qu’on pourrait presque prendre pour Napoléon, semble désespéré. Assis sur un monticule de terre, pieds nus, avec une pelle à ses côtés, il a sans doute creusé la tombe de son compagnon. Ici le fardeau est concret, physique, matériel. Sauf que le soldat mort est déjà à l’état de squelette. Par une contraction du temps (comme le tableau précédent était une contraction de l’espace), Vernet a représenté la mort : quoi de plus précis qu’un squelette pour la représenter ? Le défunt soldat est là, avec son fusil à baïonnette, son drapeau qui part en charpie, mais aussi ses feuilles de laurier. Mais c’est aussi le fardeau moral du survivant que représente le peintre : le fardeau de survivre à ceux qui sont partis, le fardeau de vivre la défaite alors que ceux qui sont partis ont rencontré la gloire, le fardeau d’avoir ardemment combattu pour quelque chose qui, tout à coup, semble presque dérisoire, inutile, vain. Le fardeau de la guerre. Le fardeau de ceux qui font la guerre pour ceux qui l’ont décidée, aussi.

La tombe du soldat (The Soldier’s Grave), vers 1818, Horace Vernet (1789-1863),
© The Trustees of the Wallace Collection, P729, non exposé.
On retrouve une forme de nostalgie dans les deux tableaux suivants de Vernet. Elle semble presque joyeuse dans la première : le vétéran a retrouvé son village, son foyer, sa famille, son enfant. Peut-être un enfant qu’il rencontre pour la première fois. C’est la fête, les gens dansent après un bon repas. Est-ce qu’on célèbre son retour ? Lui ne semble pas intéressé par la fête, tout occupé qu’il est à rattraper le temps perdu avec son enfant. Mais l’uniforme est là, rutilant, presque trop quand on sait dans quel état sont revenues les armées de l’Empereur après Waterloo. Il y a le bicorne, l’épée, la Légion d’honneur. En fait, est-ce que cet épisode précède Waterloo ? Est-ce qu’on célèbre le retour de l’Empereur ? Est-ce que le soldat s’apprête à repartir et dit au revoir à son enfant ? Alors, pourquoi avoir nommé ce tableau « le vétéran à la maison » ? Tableau compliqué à décrypter, encore une fois.

Le vétéran à la maison (The Veteran at Home), 1823, Horace Vernet (1789-1863),
© The Trustees of the Wallace Collection, P582, West Gallery III.
Le second est bien plus sombre. Qui est cet homme ? Un paysan qui, en labourant son champ, en remuant la terre, est tombé sur les reliques d’un passé proche (le tableau date de 1820). Le bicorne cabossé qu’il ne sait pas/plus trop comment porter, le hausse col, la Légion d’honneur qu’il tient dans sa main, est-ce qu’il les a ramassé dans la tombe qu’il a mis à jour ? À ses pieds, il y a d’autres éléments : un casque, un sabre, une veste d’uniforme, ce qui peut ressembler à des épaulettes. Le pauvre paysan, avec ses tatouages, sa barbe mal entretenue, la maigreur de son visage qui contraste avec les muscles de ses bras de laboureur, ses yeux presque hagards, semble lui aussi se rappeler d’un glorieux passé désormais révolu. L’homme est aussi un vétéran. Un de ceux qui a combattu, plus ou moins vaillamment, on ne le sait pas, pour la gloire, qu’il s’agisse de la sienne, de celle de son pays, de celle de son Empereur, ou peut-être parce qu’on ne lui en avait pas laissé le choix.
Ce pauvre hère renvoie aussi à l’une des tragédies qui a accompagné la fin de l’épopée napoléonienne. À la suite de la seconde abdication, les Alliés, beaucoup plus stricts qu’après la première (ce que l’on peut comprendre), exigent de Louis XVIII qu’il licencie l’armée de Napoléon. La décision est annoncée le 11 août 1815. Au mois de septembre, la grande majorité de la Garde impériale est dissoute (voir Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, Histoire de la Restauration, 1814-1830, Paris, Perrin, 1996). Les vétérans sont renvoyés dans leurs foyers, avec une maigre pension, qui ne leur permet pas toujours de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles retrouvées. Beaucoup, et surtout dans le contexte de la Terreur blanche, sont suspects de bonapartisme, ce qui n’arrange guère leur sort. Certains ont combattu pendant de longues années et n’ont plus forcément l’âme d’un paysan ou d’un artisan. D’autres ont vu leurs liens conjugaux ou familiaux s’étioler au fil de leur(s) absence(s). Et puis, il y a le fardeau moral dont nous avons parlé. C’est aussi tout cela que représente ce tableau.

La Paix et la Guerre (Peace and War), 1820, Horace Vernet (1789-1863),
© The Trustees of the Wallace Collection, P598, West Gallery III.
