TRÉSOR DE PEINTURE # 10

🇫🇷

Note : 5 sur 5.

Texte : Anne Deltour, Conservatrice ad interim du Cabinet cantonal des estampes, Musée Jenisch Vevey

Né à Nuremberg dans une famille d’artisan, Albrecht Dürer se forme au métier d’orfèvre auprès de son père. Son goût pour l’art le conduit à voyager : en 1490, il se rend à Colmar pour apprendre la gravure dans l’atelier de Martin Schongauer (vers 1450-1491), puis effectue deux séjours italiens. Le jeune artiste, peintre et graveur, maîtrise rapidement la xylographie comme le burin, et passe de motifs sculpturaux rappelant les manières médiévales à un vocabulaire de la Renaissance, intégrant perspective, études des proportions et rappel de l’antique. La Mélancolie est l’une des plus célèbres estampes de la maturité de l’artiste.

Rare sujet profane dans l’œuvre de Dürer, La Mélancolie est une allégorie complexe qui a suscité de nombreuses interprétations. Les symboles liés à l’art et à la géométrie ont fait penser à l’expression des doutes de Dürer sur sa pratique, dans un questionnement humaniste. Cette œuvre a souvent été comprise au sein d’une série sur les tempéraments humains, avec Le Chevalier, la Mort et le Diable et Saint Jérôme dans sa cellule. Le personnage ailé à l’attitude accablée se distingue néanmoins des deux figures chrétiennes, qui traduisent plutôt la quiétude et la détermination. Si ces trois gravures n’ont sûrement pas été conçues comme un ensemble, leur richesse d’invention et leur format similaire en font une triade majeure de l’œuvre de Dürer.

L’épreuve conservée à Vevey présente un encrage raffiné qui permet de la situer parmi les premières impressions du second état. L’œuvre a été acquise par Pierre Decker (1892-1967), chirurgien vaudois ayant réuni en une vingtaine d’années trente-quatre gravures de Dürer et seize estampes de Rembrandt. La Mélancolie combine les qualités techniques et esthétiques recherchées par le collectionneur. Elle témoigne de son goût pour l’art du burin, que le graveur manie ici parfaitement. Qualifiant Dürer de « technicien étourdissant », Decker admire le rendu des contrastes lumineux et la profusion des détails. Sa prestigieuse collection a été léguée à la Faculté de médecine de Lausanne en 1967, et a rejoint le Cabinet cantonal des estampes au Musée Jenisch Vevey en 1989.

Note : 5 sur 5.

Cette contribution est extraite du recueil des 35 œuvres emblématiques de la collection du Musée Jenisch Vevey, ouvrage édité par Nathalie Chaix, directrice de l’institution. Par ailleurs, il est l’occasion de retracer l’histoire du musée, qui fêtera ses 127 ans en 2024. C’est Fanny Jenisch, une riche Allemande souvent en villégiature dans la commune de Vevey, qui a permis sa construction. Regroupant d’abord des collections artistiques, historiques et scientifiques, ainsi que la bibliothèque de la ville, il évolue vers une institution exclusivement consacrée aux Beaux-Arts, avec un exceptionnel Cabinet d’estampes. L’ouvrage est disponible à la boutique du musée, au prix de 30 francs suisses (CHF 30).