La Douleur et les Regrets d’Andromaque, de Jacques-Louis David
Bibliothèque municipale de Mulhouse
Mulhouse, France
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La Douleur et les Regrets d’Andromaque, Jacques-Louis David (1748-1825), vers 1780. Plume, encre brune et crayon sur papier filigrané. Signé en bas à gauche : David. 217×24 mm. Ancienne collection (Augustin ?) Dumont. Don de Charles Steinbach en 1911 à la Société industrielle de Mulhouse. Collection de la Société industrielle de Mulhouse en dépôt à la Bibliothèque municipale de Mulhouse (Inv. SIM 2007 1771). © Ville de Mulhouse.
Texte : Michaël Guggenbuhl, Conservateur en charge des collections et du patrimoine, et Nathalie Munck, Chargée des collections iconographiques, Bibliothèque municipale de Mulhouse
Ce dessin de David est l’une des plus belles pièces de la collection de dessins anciens et modernes réunie par la Société industrielle de Mulhouse (voir Catalogue des œuvres exposées au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse. Mulhouse : Société industrielle de Mulhouse, 1922. N° 1216, sous le titre « La mort d’Hector »).
Il s’agit d’une esquisse préparatoire pour l’œuvre peinte du même nom exposée au Salon du Louvre en 1783, qui permit à l’artiste d’entrer à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Une œuvre importante donc, aujourd’hui conservée au musée du Louvre (Propriété de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris), illustrant un épisode de l’Iliade : le corps d’Hector, héros de Troie, pleuré par son épouse Andromaque et leur jeune fils Astyanax.
Le sujet principal de la composition n’est pourtant pas le destin tragique d’Hector, dont le corps meurtri gît au second plan, mais bien la douleur et les regrets d’Andromaque qui, vainement, tenta de persuader son époux de se soustraire au duel fatal face au glorieux Achille et de les protéger en gardant les remparts de Troie contre les assauts des Achéens. Le refus d’Hector de se dérober et sa résolution à affronter son destin, au prix de sa vie, condamnent sa femme et son fils à une inconsolable solitude et les exposent à des périls pires que la mort, le déshonneur et la servitude en cas de prise et de saccage de Troie…
L’esquisse de la Bibliothèque municipale de Mulhouse met en évidence les recherches menées par le peintre dans le processus créatif, étapes souvent méconnues. David a conçu et élaboré son projet par le dessin : composition générale, étude des personnages, esquisse du décor. Le dessin nous donne de précieuses informations sur les modifications et ajustements intervenus au cours de l’élaboration de son œuvre. Ainsi des recherches quant à la position des jambes de l’enfant, l’artiste laissant apparaitre et matérialisant sur le papier plusieurs possibilités. Les idées abandonnées en cours d’étude, les repentirs et autres variations explorées par l’artiste sont ainsi révélés par le dessin. Une comparaison de ce dernier avec l’œuvre peinte met en évidence ces évolutions : assis sur les genoux de sa mère dans le dessin, Astyanax est debout au chevet de sa mère qui lui tient la main dans la composition finale.
Notre esquisse insiste davantage sur la composition des personnages, sur les formes, alors qu’un dessin conservé au Petit Palais donne les valeurs (Bernard Jacqué, Dessins anciens de la Société industrielle de Mulhouse, livret de l’exposition présentée à la Bibliothèque municipale de Mulhouse, du 13 décembre 1975 au 10 janvier 1976). Elle laisse toutefois déjà entrevoir des aspects caractéristiques de l’œuvre peinte, en particulier la mise en scène de la douleur et des pleurs sur la mort d’un être aimé, perceptible dans la posture et le visage d’Andromaque. « Ils ramenèrent le héros dans sa noble demeure et le placèrent sur un lit sculpté. À ses côtés vinrent se mettre des chanteurs de thrènes, qui poussèrent leurs chants plaintifs, ponctués par les longs sanglots des femmes. Andromaque aux bras blancs ouvrit le concert de leurs plaintes… « Époux, tu perds la vie et meurs bien jeune, en me laissant veuve dans ta maison. Hélas ! qu’il est encore petit l’enfant qui nous est né ! » » (L’Iliade, XXIV, 719-727). La main d’Andromaque, ouverte à côté de celle d’Hector, semble lui demander par-delà la mort « pourquoi ? », alors même que son buste semble se détourner de l’insoutenable spectacle du corps aimé que la vie a quitté. Le visage, de manière magistrale, trahit le sentiment d’abandon et une détresse insondable…
Il est à remarquer enfin que ce dessin fut gravé au XIXe siècle par Jules David pour le recueil de planches « Le peintre L. David » (Paris, 1892), preuve de la puissante charge dramatique qu’il recèle.


