Dessiner pour orner ou orner pour dessiner ?
Hugo Guibert
École du Louvre
www.ecoledulouvre.fr
🇫🇷

Claude III Audran, Étude pour un décor de plafond avec les quatre éléments, 1692-1734
Sanguine, contre-épreuve, gouache et or sur papier, trait d’encadrement à l’or,
annotations rédigées à la plume et l’encre noire, 33,8 x 29,4 cm
Stockholm, Nationalmuseum, Inv. NMH CC II 34
Cecilia Heisser / Nationalmuseum (CC BY-SA).
Dessiner pour orner ou orner pour dessiner ? Catalogue raisonné des 600 dessins de plafonds de Claude III Audran (1658-1734) conservés au Nationalmuseum de Stockholm
Mémoire de Master en Histoire de l’art appliqué aux collections, École du Louvre, soutenu en juillet 2024, sous la direction du Professeur Olivier Bonfait.
Texte : Hugo Guibert, Classe préparatoire aux concours de conservateur du patrimoine, École du Louvre.
En 1734, l’architecte suédois Carl-Johan Cronstedt (1709-1779) achète, à Paris, un fonds de 600 dessins de plafonds provenant de l’atelier du peintre en ornements, Claude III Audran (1658-1734). Les dessins sont déposés, après leur arrivée en Suède, dans la bibliothèque de Cronstedt, qui est située au manoir de Fullëro (près d’Uppsala), et y restent préservés jusqu’au 1940, date à laquelle les feuilles rentrent dans les collections du Nationalmuseum de Stockholm. Connu des spécialistes, le fonds suédois reste méconnu du grand public [Bortolozzi, 2020, voir bibliographie ci-dessous].
Pourtant, la collection est essentielle pour appréhender un pan entier de l’histoire des arts décoratifs en France. Neveu de Claude II Audran (1639-1684), collaborateur de Charles Le Brun (1619-1690) sur les chantiers versaillais du Roi-Soleil, Claude III Audran est l’un des décorateurs les plus prolifiques de sa génération. Tout au long de sa carrière, il travaille à l’ornementation des plus prestigieuses demeures monarchiques (Fontainebleau, Marly, Versailles), princières (Chantilly, Meudon) et aristocratiques (Anet, Sceaux, Petit-Bourg). Il œuvre aussi, pendant la Régence, à la décoration des hôtels particuliers des plus riches financiers du royaume, comme Abraham Peyrenc de Moras (1680-1732). Comparé de son vivant à Raphaël (1483-1520), Audran parvient au succès grâce à deux facteurs : d’une part, il renouvelle le genre décoratif des grotesques qui prospère depuis le XVIe siècle en y associant des éléments nouveaux comme des arabesques et des singeries et d’autre part, il travaille, grâce à sa position de Concierge du palais du Luxembourg (conservateur des peintures), avec les artistes les plus prometteurs de son temps, comme François Desportes (1661-1743), Claude Gillot (1673-1722), Christophe Huet (1700-1759), Nicolas Lancret (1690-1743), Jean-Baptiste Oudry (1683-1755), ou Antoine Watteau (1684-1721).
Bien qu’Audran soit décrit comme le « parfait peintre de plafonds » [Weigert, 1960], la majeure partie de son œuvre est aujourd’hui détruite. Ainsi, les dessins conservés à Stockholm constituent des documents de premier plan pour comprendre les transformations de la décoration intérieure en France entre 1690 et 1734, c’est-à-dire au moment où les motifs d’arabesques et de singeries remplacent les grands décors historiques dans les demeures des élites. C’est pourquoi la localisation des châteaux, pavillons et hôtels particuliers pour lesquels les feuilles ont été élaborées est au cœur de mon travail entrepris, sous la direction d’Olivier Bonfait, entre septembre 2022 et juillet 2024 à l’École du Louvre.
Cette première enquête, qui m’a permis d’analyser de manière approfondie chaque feuille de la collection du Nationalmuseum, a été complétée par des recherches sur la manière dont Audran utilise la feuille de papier pour élaborer un décor de plafond. En effet, le fonds suédois regroupe des documents de travail provenant de son atelier. Loin de déployer quelques simples motifs de grotesques et d’arabesques sur l’espace de la feuille de papier, Audran est un dessinateur prolifique utilisant le dessin comme un instrument de travail et un objet esthétique. À partir de la feuille de papier, il imagine, invente, crée, projette, visualise, perfectionne et expérimente son langage ornemental et figuratif. Dans cette perspective, Audran bénéficie, grâce à la position géographique de son atelier, d’une importante main-d’œuvre. Si les localisations, identifications et analyses du langage graphique sont au cœur de mon travail, cette recherche de master a aussi contribué, de manière significative, à confirmer la présence de collaborateurs, et d’en identifier des nouveaux.
En définitive, mes différentes découvertes ont permis d’éclairer un décorateur aimant décorer les espaces privés et les pièces de réceptions intimes. Avec la complicité d’artistes novateurs, il a orné ces divers lieux d’œuvres exaltant une approche sensualiste et galante de l’art du plafond. À cet égard et à cause de l’arrivée précoce des dessins du maître en Suède, j’ai également cherché à mesurer l’impact des inventions d’Audran sur la décoration suédoise.
Bibliographie :
Bortolozzi, Anna, Italian architectural drawings: from the Cronstedt Collection in the Nationalmuseum, Nationalmuseum, Stockholm, Hatje Cantz, Ostfildern, 2020.
Louis XIV : faste et décors, (Paris, Musée des Arts décoratifs, mai-octobre 1960), cat. sous la dir. de Roger-Armand Weigert, Paris, Musée des Arts décoratifs, 1960.

Claude III Audran, Étude pour un décor de plafond avec des fonds dorés, 1692-1734
Crayon, gouache et or sur papier, trait d’encadrement à la gouache noire, 16,5 x 30,8 cm
Stockholm, Nationalmuseum, Inv. NMH CC II 5
Cecilia Heisser / Nationalmuseum (CC BY-SA).
