RÉSIDENCE # 02/06

🇫🇷

Assiette potagère, étain martelé, France, 1650-1690, L. 26,8 cm
Poinçon : un marteau couronné, initiales NL (maître non identifié), un croissant au-dessous 
Musée des arts de la table / CD 82. Inv. 2018.13.1
© Musée des arts de la table. Photo Jean-Michel Garric

Note : 5 sur 5.

Texte : Jean-Michel Garric, chef de service, Abbaye de Belleperche – Musée des Arts de la Table.

Cet objet illustre bien le caractère encore polyvalent des objets de table au XVIIe siècle dans les milieux aisés. S’agit-il d’une assiette, d’un plat creux ou d’une jatte ? La question, pour ce siècle, est incongrue. Il faut en effet oublier la spécialisation croissante de l’usage des objets qui accompagna leur multiplication à partir des années 1730-1750 et considérer qu’avant cette époque, l’assiette servait non seulement pour manger mais aussi de plat. Nombre de services en argent, en étain, en faïence ou en porcelaine de Chine, ne comportaient que des assiettes et quelques plats de divers diamètres, dont la fonction était à la fois individuelle et collective. La présence d’une assiette plate devant chaque convive n’excluait pas la consommation directe d’un potage à même le plat, à la cuillère, et beaucoup d’assiettes qui parsemaient la nappe selon les principes du service à la française en cours de structuration, contenaient des mets variés desquels on se servait librement. Cette assiette en étain a probablement été employée comme assiette individuelle ou comme plat selon les besoins, mais sa profondeur semble en faire avant tout une assiette potagère.
Il existait dans la seconde moitié du XVIIe siècle toutes sortes d’assiettes, auxquelles on donnait des noms variés que l’on retrouve dans les inventaires après décès ou ceux des fonds d’atelier de fabricants : assiettes « à la dauphine », « à garnir », « volantes », « mazarines », « potagères »… L’assiette potagère, qui devint l’assiette creuse par opposition à la plate, fut créée en Italie et adoptée en France. On lui donna le nom du cardinal Mazarin mais il ne l’a ni inventée ni importée, contrairement à ce que l’on répète inlassablement. Auparavant, pour consommer les mets liquides, sans consistance, ou pour manger les préparations de viandes et de légumes dans un bouillon, on utilisait des écuelles qui ressemblaient déjà à des assiettes creuses sans aile, bien que parfois la bordure en prenait l’apparence. Mais parmi la haute société, l’écuelle, dès le XVIe siècle, cessa rapidement d’être utilisée à table. L’assiette creuse, sous la forme d’une calotte bordée d’une aile très large, était déjà connue en France mais on ne l’utilisait pas partout ni au quotidien.
L’essor de l’assiette creuse tient un peu à l’italianisme qui irriguait la culture des élites françaises mais aussi à l’évolution des formes de décence et de propreté, les deux mots mêlant à la fois les principes d’hygiène et d’élégance. Au cours du XVIIe siècle, comme il était de plus en plus mal vu que chacun mît sa cuillère au plat, l’assiette creuse se révéla vite indispensable. Les convives, en utilisant la grande cuillère de service pour saisir viandes et légumes, puis la louche pour prendre du bouillon, deux ustensiles nés à la fin du XVIIe siècle dans le sillage des nouvelles normes de politesse, cessèrent peu à peu de manger dans le plat de service. Cette ancienne pratique, considérée comme répugnante, fut dès lors abandonnée aux classes populaires, essentiellement rurales, qui la perpétuèrent jusqu’à la fin du XIXe siècle voire plus tard encore. Dans Les délices de la campagne, ouvrage d’économie domestique destiné aux aristocrates vivant dans leur château, Nicolas de Bonnefons écrivait en 1673 : « Les assiettes des convives seront creuses, afin que l’on puisse se présenter du potage et s’en servir à soi-même, sans prendre cuillérée à cuillérée dans le plat ».
Une assiette aussi profonde était apte à la consommation des potages qui, au XVIIe siècle, mêlaient des tranches de pain mitonnées puis trempées de bouillon, des légumes, des herbes, des viandes, et dans certaines recettes du riz, des légumineuses, des œufs, des fruits…