RÉSIDENCE # 02/03

🇫🇷

Palette présentoir d’écuyer tranchant
Allemagne, vers 1480-1500
Acier, laiton incrusté d’os, L. 37 cm
Musée des arts de la table / CD 82. Inv. 2010.20.1
© Musée des arts de la table. Photo Jean-Michel Garric / CD 82 

Note : 5 sur 5.

Texte : Jean-Michel Garric, chef de service, Abbaye de Belleperche – Musée des Arts de la Table.
Contribution publiée le 14 mars 2025.

Dans les cours européennes, les offices domestiques étaient occupés par des nobles de haut rang. Tout ce qui touchait à la personne princière, habillement, parure, mobilier, chapelle, table, était géré par de grands seigneurs ayant sous leurs ordres une administration. Dans le domaine de la bouche, très sensible étant donné le protocole strict qui s’y attachait et la peur des empoisonnements, les responsabilités étaient accrues. Autour d’une table princière évoluaient diverses personnes chargées de servir avec la déférence requise et les précautions nécessaires. Il existait ainsi l’office de l’échanson, dévolu au service des boissons avec essai préalable, et celui de l’écuyer tranchant qui se chargeait des viandes. La découpe à la table des grands personnages, exécutée sous leurs yeux, était un exercice difficile qui demandait habileté et maîtrise du geste. L’écuyer tranchant devait connaître l’anatomie des bêtes servies (toujours présentées entières), afin de trouver les jointures du premier coup et de trancher au bon endroit. Chaque oiseau, chaque pièce de gibier ou de boucherie devait être découpé dans les règles : on ne tranche pas un aloyau comme on lève les filets d’un chapon. Aussi l’art de la « dissection » ou du « dépeçage » fit-il longtemps partie de l’éducation des jeunes aristocrates, même lorsqu’ils n’étaient pas destinés à servir un roi ou une reine. Dans les sphères de la haute noblesse et de la grande finance, mais aussi dans certains milieux bourgeois, savoir découper proprement et avec adresse était une compétence très appréciée. Un convive qui se montrait bon découpeur était assuré de se voir invité tous les jours à une table différente.
En matière de dépeçage, chaque pays avait ses traditions, ses manières de procéder, qui se sont influencées les unes les autres. C’est l’Italie de la Renaissance qui raffina et codifia dans des ouvrages de référence cet art aujourd’hui oublié en dehors des plus grands restaurants. On travaillait sur un plat ou, pour les pièces de petite taille, « en suspension », la fourchette levée, action spectaculaire mais délicate. Du Moyen Âge au XVIIe siècle, les écuyers tranchants disposaient d’une panoplie d’ustensiles en nombre variable, adaptés aux différentes pièces à découper, depuis le grand couteau à dégrossir jusqu’au petit permettant d’obtenir des tranches fines et régulières. Ces objets, souvent armoriés, étaient disposés en bon ordre, avant l’opération, sur un plat recouvert d’une serviette blanche.
La viande, coupée proprement en tranches régulières, nettes et fines, était ensuite présentée au prince sur la lame du couteau le plus large ou bien, de manière plus raffinée, sur un présentoir tel que celui-ci, typique des créations allemandes. C’est d’ailleurs dans les pays germaniques que la tradition de l’écuyer tranchant s’est conservée jusqu’au XIXe siècle, alors qu’elle n’existait plus en France depuis longtemps. Cet objet est constitué des mêmes matériaux et présente les mêmes caractères techniques de fabrication que certaines armes blanches de la période.