RÉSIDENCE # 01/01

🇫🇷

Fig. 1 : Léonce Petit, Rue d’une petite ville, 1873
Huile sur toile
Coll. Musée de Dinan (n°2021.02), œuvre acquise en 2021 (avec l’aide du F.R.A.M.),
restaurée en 2023 (avec l’aide du F.R.A.R.) © Ville de Dinan / cliché Gwenola Corbin.

Note : 5 sur 5.

Texte : Elsa Le Borgne, médiatrice culturelle, musée de Dinan.

Léonce Petit, né à Taden en 1839, passe son enfance à Dinan, avant de partir à Rennes pour y étudier le droit. À Rennes, il se lie d’amitié avec Paul Sébillot et Jean Even, partageant avec eux une passion pour l’art. Puis, à la demande de ses parents, il embrasse une carrière administrative, mais s’ennuie profondément à son poste de receveur des impôts dans le Cantal. Il commence alors à dessiner des scènes de la vie quotidienne puis, encouragé par son ami Paul Sébillot, qui travaille pour Le Journal Amusant, il envoie ses premières caricatures au journal en 1866, marquant le début de sa carrière artistique.
Léonce Petit s’installe à Paris en 1866 pour se consacrer pleinement à l’illustration et à la caricature. Collaborant avec plusieurs journaux satiriques comme Le Hanneton, L’Éclipse et Le Bouffon, il devient rapidement une figure incontournable de la scène artistique parisienne. Ses caricatures, notamment celle de Gustave Courbet, sont très appréciées pour leur mordant et leur originalité. En 1869, il publie Les Mésaventures de M. Bêton, un album dans lequel il utilise un format préfigurant la bande dessinée moderne : des dessins en séquences accompagnés de légendes (fig. 2). Ce style novateur lui vaut d’être identifié aujourd’hui comme l’un des pionniers de la bande dessinée.
Il ne se limite pas au dessin de presse. Il s’illustre également dans la peinture et la gravure. Il expose au Salon à plusieurs reprises, notamment avec sa toile Pendant l’office en 1868 et La rue du Jerzual à Dinan en 1872. Il s’inspire souvent de la vie provinciale et des scènes du quotidien, qu’il dépeint avec un regard à la fois humoristique et touchant comme l’illustre le grand tableau Rue d’une petite ville (1873). Décédé prématurément en 1884, Léonce Petit laisse derrière lui une œuvre prolifique, à la fois riche et encore largement méconnue.

Fig. 2 : Léonce Petit, Les aventures de M. Bêton, 1869.
Coll. Bibliothèque municipale de Dinan © Ville de Dinan

La guerre franco-prussienne de 1870 puis la Commune poussent Léonce Petit à quitter Paris pour trouver refuge chez ses parents à Dinan. C’est probablement dans cet environnement, coupé du tumulte parisien, qu’il conçoit l’œuvre exposée au Salon de 1872 sous le titre : La rue du Jerzual, à Dinan. Le tableau a disparu mais une photographie de l’œuvre réalisée par Charles Marville et conservée à la bibliothèque de Dinan permet d’en avoir un aperçu (fig. 3). On y distingue la rue du Jerzual, la Maison du Gouverneur et ses deux maisons mitoyennes (aujourd’hui disparues). L’année suivante, il expose au Salon un grand tableau intitulé Rue d’une petite ville qui met en scène un spectacle d’animaux dans une rue médiévale qui n’est pas sans rappeler celle du tableau La rue du Jerzual, à Dinan. En effet, les maisons du premier plan sont identiques.

Fig. 3 : Charles Marville, photographie du tableau de Léonce Petit
intitulé La rue du Jerzual, à Dinan.
Coll. Bibliothèque municipale de Dinan © Ville de Dinan

Le grand tableau exposé au Salon de 1873 (fig. 1) a pour point focal un petit singe chevauchant un chien, affublé d’un costume de scène et dirigé par un joueur d’orgue de barbarie. Des coqs, des poules, des oies complètent la ménagerie qui anime la rue et rappellent combien Léonce Petit aimait peindre les animaux domestiques. À la variété des animaux fait écho la variété des personnages. Le spectacle réunit des individus de toutes conditions sociales, notre regard est notamment capté par l’homme au gilet noir et à la chemise blanche qui arbore fièrement sa montre à gousset (et donc sa réussite sociale). Il semble librement profiter de l’attraction, aux côtés d’une ribambelle d’enfants pareillement fascinés. Cette diversité sociale rappelle Un enterrement à Ornans, immense tableau de Gustave Courbet qui fait cohabiter sur le même plan bourgeois, notables, artisans, curé et fossoyeur. En plaçant ses personnages sur un même pied d’égalité, Léonce Petit prend part au grand mouvement de démocratisation des représentations qui s’opère alors en peinture et que l’on nomme « le réalisme ». Grâce à ce mouvement artistique, les personnes quelconques, les scènes quelconques, les rues quelconques deviennent des sujets visibles et acquièrent une dimension noble et monumentale.

Léonce Petit vend son tableau à un collectionneur d’Angers, comme il le précise dans une lettre de février 1875. En 1884, le peintre décède prématurément. Il laisse derrière lui une œuvre prolifique, à la fois riche et encore largement méconnue. On perd la trace du tableau jusqu’à ce qu’il réapparaisse lors d’une vente à Cholet, en 2019. À nouveau mise en vente en décembre 2021, l’œuvre est finalement acquise par la Ville de Dinan, pour le compte de son musée, avec le soutien de l’État et de la Région Bretagne. La Ville fait ensuite restaurer le tableau et son cadre en 2023, grâce au soutien du Fonds Régional d’Aide à la Restauration.
Pour marquer les 140 ans de la disparition du peintre et dessinateur, le Musée et la Bibliothèque de Dinan s’associent pour présenter une exposition temporaire en son honneur, organisée autour de ce grand tableau. Il sera exceptionnellement visible dans le cadre de l’exposition Léonce Petit : illustrateur populaire, peintre méconnu, du 6 décembre 2024 au 30 juin 2025 à la Bibliothèque municipale. Ensuite, il reprendra sa place dans les réserves du musée de Dinan.

Informations pratiques
Exposition Léonce Petit: illustrateur populaire, peintre méconnu
Gratuit – Renseignements : 02.96.39.04.65 / bm@dinan.fr
Bibliothèque municipale de Dinan – (Salle Mathurin-Monier)
20, rue Waldeck-Rousseau, 22100 Dinan