Arbre généalogique des singes
Musée & parc Buffon
Montbard, France
www.musee-parc-buffon.fr
🇫🇷

Arbre généalogique des singes
École française, XVIIIe siècle (après 1766), 106 x 44 cm
Coll. Musée Buffon © Musée & parc Buffon, Montbard
Texte : l’équipe du musée & parc Buffon, Montbard.
Contribution publiée le 23 mai 2025.
Arrivée dans les collections du musée Buffon de Montbard en 1993, cette huile sur toile devait appartenir auparavant à un décor dont seul ce panneau subsiste aujourd’hui. C’est en tout cas ce que semblerait indiquer le numéro latin « I. » inscrit au dos de l’œuvre. En pleine campagne d’acquisition, l’Arbre généalogique des singes est acheté par préemption par la ville de Montbard qui la fait ensuite restaurer en 1995 pour orner son futur musée Buffon. On y voit représenté dans un encadrement rouge dix-sept singes de diverses espèces, répartis sur et autour d’un arbre. En arrière-plan se dessine un paysage naturel maritime. D’une qualité picturale modeste, c’est son sujet en particulier qui interpelle. L’Arbre généalogique des singes est en effet une des rares œuvres à traduire dans le domaine de l’art un concept à la fois scientifique et philosophique. Il s’agit ici d’une interprétation synthétique du travail de Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788) sur sa nomenclature des singes. Celle-ci, exemple unique de nomenclature établie par le naturaliste, peu enclin à ce système, reprend son discours sur la théorie de la dégénération des espèces telle qu’il l’établie dans son œuvre l’Histoire naturelle, générale et particulière (voir illustrations ci-dessous).
Le regard fixé sur le spectateur, les dix-sept primates reprennent à l’identique les postures représentées sur les estampes de Jacques de Sève et Buvée l’Américain pour l’Histoire naturelle, à l’exception de certains détails permettant de mieux harmoniser les animaux avec leur nouveau décor. La pièce de tissu tendue par le talapoin sur la gravure est ainsi remplacée par une branche sur la peinture, le capucin à face blanche (« Sai à gorge blanche » d’après Buffon) voit la chaînette dont il se saisissait changée en fruit. Les artistes d’origine n’ayant pas représenté d’échelle sur les estampes – ce qui sera rectifié pour l’Histoire naturelle des Oiseaux – tous les singes semblent ici reproduis à la même taille. Tandis que les ouistitis et les macaques se partagent les branches, l’espèce que Buffon considère comme la plus évoluée, le Jocko (qui est associé soit à l’orang-outan soit au chimpanzé, souvent confondus au XVIIIe siècle), se tient aux côtés du grand gibbon debout sur le sol ou tous deux s’appuient sur le même bâton. Un fossé sépare ainsi les espèces arboricoles, davantage « dégénérées » et celles qui, en utilisant un outil, se redressent à la manière de l’être humain. L’auteur du tableau n’a cependant pas choisi de représenter exactement la pensée du savant. Sur l’œuvre, les espèces d’Asie et d’Afrique comme le mandrill ou le macaque sont mélangées – dans l’arbre et donc dans l’interprétation de la nomenclature – aux sapajous et au singe-araignée (« le coaita »), habitants du Nouveau-Monde. Ceci va à l’encontre de ce qu’avance Buffon qui réfute un lien biologique direct entre les espèces des différents continents tout autant qu’il réfute un lien entre singe et être humain.
Les singes, en particulier l’orang-outan et le chimpanzé, sont au cœur de discussions animées au Siècle des Lumières. Leur apparence, leur tempérament et leurs capacités physiques intriguent les savants qui peinent à comprendre leur place dans la Nature, surtout en rapport avec l’Homme. Ceux-ci sont vus à la fois comme le plus animal des êtres humains et comme le plus humain des animaux. Comme le fait entendre Buffon : « À l’exception de l’âme, il (le singe) ne lui manque rien de ce que nous avons. ». Cette ambiguïté fascine et se retrouve à l’origine de nombreuses représentations, notamment dans le domaine de l’art décoratif où les « Singeries » prennent possession des murs et des tapisseries. Dans l’Histoire naturelle, c’est néanmoins le cheval qui est placé au plus près de l’homme. Le singe, lui, est traité de manière remarquable en dernier dans les Quadrupèdes. Pour Buffon, la ressemblance physique entre l’homme et le singe est trompeuse. Celui-ci fait pâle figure en comparaison de bien d’autres espèces plus sophistiquées. Sa position dans le quatorzième et quinzième volume permet alors un énième pied de nez aux classificateurs que Buffon méprise, bien qu’on le considère lui-même plus tard comme un prédécesseur de Darwin et de sa théorie de l’évolution.

Le jocko, planche n°I, Jacques de Sève, Histoire naturelle, t. XIV
© Musée & parc Buffon, Montbard

Le sai à gorge blanche, planche n°IX, Jacques de Sève, Histoire naturelle, t. XV
© Musée & parc Buffon, Montbard

Le talapoin, planche n°X, Jacques de Sève, Histoire naturelle, t. XIV
© Musée & parc Buffon, Montbard
