TRÉSOR DE SCULPTURE # 05

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Donatello, Vierge à l’enfant (Madone Pazzi), vers 1422
Marbre, 74,5 x 73 x 6,5 cm
Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung (Bode-Museum), inv. no. 51
© Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst
Antje Voigt CC BY-SA 4.0.

Note : 5 sur 5.

Texte : Neville Rowley, conservateur des collections italiennes anciennes, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin.
Traduction : Thomas Ménard.
N.B. : les textes originaux sont tirés du catalogue de l’exposition Donatello. Inventeur de la Renaissance proposée par les musées de Berlin en 2022.
Contribution publiée le 26 mai 2025.

Cette interprétation du thème de la Madone est l’une des plus émouvantes de toute la Renaissance. Marie serre son fils dans ses bras et pose son visage contre le sien, dans un geste de grande tendresse, teintée de mélancolie. La Vierge a le pressentiment que son fils est appelé à mourir trop jeune, en rémission des péchés de l’humanité. L’Enfant, de son côté, semble encore inconscient de son destin : il sourit, en nous montrant ses petites dents et en serrant le voile de sa mère avec beaucoup de naturel. Son pied gauche repose sur le bord de la sorte de niche où sont représentés les deux personnages.

En plus du rapport affectif intime entre les personnages, la composition du bas-relief est l’une de ses caractéristiques notables. Après la prédelle de Saint Georges pour l’église d’Orsanmichele, c’est la deuxième fois que Donatello fait usage de la perspective mathématique inventée par son ami Filippo Brunelleschi. Les lignes de fuite des bords de la niche ne convergent pas parfaitement en un seul point – loin de là – mais l’effet est très convaincant : vu d’en-dessous, la Vierge à l’Enfant semble véritablement tridimensionnelle, émergeant littéralement de la surface du relief. Il est donc très probable que l’œuvre ait été accrochée à l’origine à une certaine hauteur, bien que l’endroit pour lequel elle a été sculptée soit encore débattu. Selon Wilhelm Bode, qui l’a acheté en 1886 pour le compte des musées de Berlin, le marbre provenait de l’une des résidences florentines de la famille Pazzi (Bode 1886, p. 203). En 1677, un guide florentin mentionne effectivement une Madone de Donatello dans la maison de Francesco Pazzi, mais la description ne correspond pas tout à fait à notre relief (Cinelli 1677, p. 369-370 ; Catterson 2020 a remis en question cette provenance, ainsi que l’authenticité du relief, de manière peu convaincante).

Le profil « grec » de la Madone est très proche de deux figures bien documentées de Donatello : l’Isaac dans le groupe d’Abraham et Isaac, sculpté en 1421 en collaboration avec Nanni di Bartolo pour le campanile de Florence (et aujourd’hui au Museo dell’Opera del Duomo), et une Sibylle, réalisée en 1422 pour la Porta della Mandorla de la cathédrale. Dès sa création, la Madone Pazzi a été admirée par de nombreux artistes florentins et toscans (Michelozzo dans sa Madone Orlandini, également en marbre et maintenant à Berlin, inv. n° 50 ; ou Jacopo della Quercia dans sa Fuite en Égypte pour le portail principal de la façade de San Petronio à Bologne). Il reste une douzaine de répliques produites au cours du XVe siècle, soit en terre cuite soit en stuc. Mais presque toutes ignorent deux des innovations les plus radicales de ce chef-d’œuvre, à savoir la niche de perspective et la blancheur complète de la surface (sur la coloration surprenante du marbre de Donatello, voir Fehrenbach 2011, pp. 51-53). Dans ces œuvres dérivées, seule la plus émouvante des inventions de Donatello reste visible : l’intimité tendre mais tragique qui relie les visages de deux êtres qui s’aiment.

Bibliographie

Bode 1886
Wilhelm Bode, ‘Neue Erwerbungen für die Abteilung der christlichen Plastik in den Königlichen Museen’, in: Jahrbuch der Königlich Preußischen Kunstsammlungen, 7, 1886, pp. 203–214.

Catterson 2020
Lynn Catterson, ‘Art Market, Social Network and Contamination: Bardini, Bode and the “Madonna Pazzi” Puzzle’, in: Florence, Berlin and Beyond: Late Nineteenth-Century Art Markets and Their Social Networks, ed. by Lynn Catterson, Leiden/ Boston 2020, pp. 498–552.

Cinelli 1677
Le bellezze della città di Firenze, dove a pieno di pittura, di scultura, di sacri templi, di palazzi i piu notabili artifizj e piu preziosi si contengono, scritte già da m. Francesco Bocchi ed ora da m. Giovanni Cinelli ampliate ed accresciute, Florence 1677.

Fehrenbach 2011
Frank Fehrenbach, ‘Coming Alive: Some Remarks on the Rise of “Monochrome” Sculpture in the Renaissance’, in: Source, 30, 2011, no. 3, pp. 47–55.

Janson 1957
Horst W. Janson, The Sculpture of Donatello, Incorporating the Notes and Photographs of the Late Jenö Lányi, 2 vols, Princeton 1957.

Rowley 2022
Neville Rowley, Donatello berlinese, Rome 2022.