TRÉSOR DE TABLES # 06

🇫🇷 🇬🇧

Verseuse montée
Porcelaine : Jingdezhen, dynastie Ming, ère Wanli (1573-1619)
Monture : Nuremberg, 1603-1608 ; poinçon d’orfèvre : Balthasar Holweck (actif de 1602 à 1632)
Porcelaine blanche décorée en bleu sous couverte, argent doré, 30,5 x 30 x 20 cm
Vue de l’exposition « Trésors de la Renaissance. Collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine »
© The Al Thani Collection 2024. All rights reserved. Photographie par Marc Domage.

Note : 5 sur 5.

Texte : Julie Rohou, responsable des collections d’orfèvrerie, de joaillerie, d’instruments de précision, de métal et d’armement du musée national de la Renaissance – château d’Écouen.

C’est au début du XIVe siècle que les premières porcelaines de Chine atteignent l’Europe, où elles demeurent des biens extrêmement rares et coûteux jusqu’au début du XVIIe siècle. Malgré toutes les tentatives d’imitation, la matière brillante, translucide et résistante de la porcelaine obtenue grâce à l’emploi de kaolin demeure un secret jalousement gardé par les ateliers de Jingdezhen, dans la province de Jiangxi, principal centre de fabrication de Chine. En Europe, les porcelaines sont d’abord importées via l’Empire ottoman avant de devenir le monopole commercial exclusif du Portugal en 1557, concurrencé à partir de 1602 par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. À la fin du XVIe siècle, la porcelaine demeure toutefois un bien presque inconnu en terre d’Empire, comme en témoignent les inventaires de la cour de Saxe, où les porcelaines chinoises offertes par Ferdinand Ier de Médicis en 1590 sont répertoriées comme « vaisselle italienne ». En 1604, le navire portugais Santa Catarina, faisant route de Macao vers Melaka en actuel Malaisie, est fait prisonnier par des navires de la Compagnie ; à son bord se trouve un précieux chargement de biens de luxe chinois, dont environ soixante tonnes de porcelaines. Cette énorme quantité d’objets, mis en vente à Amsterdam, marque un tournant en contribuant à diffuser le goût de la porcelaine de Chine en Europe du Nord.

Le décor bleu et blanc de notre verseuse, obtenu à l’aide d’un oxyde de cobalt posé avant l’application de la glaçure, apparaît durant le deuxième quart du XIVe siècle. Le motif des huit emblèmes du Bouddha, roue, conque, parasol, nœud sans fin, fleur de lotus, deux poissons, bannière et urne qui figure sur la panse de la verseuse, est quant à lui utilisé pour la première fois sur des porcelaines de l’ère Yuan, puis tout au long de l’ère Ming ; on retrouve ces mêmes symboles porte-bonheur sur une chope hexagonale conservée au British Museum et contemporaine de notre verseuse.

Au premier titre que les naturalia, œufs d’autruche, noix de coco, cornes de narval et autres coquillages exotiques rapportés des horizons lointains par les voyageurs, les porcelaines sont parfois dotées de montures d’argent doré destinées tant à les protéger qu’à les mettre en valeur au sein de cabinets de curiosités. La somptueuse monture de notre verseuse porte le poinçon de l’orfèvre de Nuremberg Balthasar Holweck, actif à partir de 1602, et les armoiries d’Ulrich Grundherr, patricien de Nuremberg (1570-1654). Avec ses figures en termes, ses têtes de lion, ses rinceaux et ses palmettes, cette verseuse illustre la perfection technique atteinte par les orfèvres de Nuremberg au début du XVIIe siècle, mais aussi leur recours constant à des formes et à des décors hérités du siècle précédent. Les décors de vigne des frises ainsi que le petit Bacchus du couvercle rappellent qu’il s’agit d’une verseuse à vin, quoiqu’elle n’ait sans doute jamais été utilisée à cet effet.

Note : 5 sur 5.

Cet objet est exposé du 3 octobre 2024 au 5 octobre 2025 dans la galerie 4 de la Collection Al Thani, à l’Hôtel de la Marine à Paris, avec une soixantaine d’autres œuvres de la Collection. Elles célèbrent l’innovation, les compétences et le talent des artistes de la Renaissance. Il a été précédemment exposé dans le cadre de l’exposition « Le Goût de la Renaissance. Un dialogue entre collections » (6 mars – 30 juin 2024), qui présentait des objets de la Collection et une sélection d’œuvres du Victoria and Albert Museum de Londres.
Du 3 octobre 2024 au 5 octobre 2025, la Collection Al Thani propose également une exposition intitulée « La Couleur parle toutes les langues », dans la galerie 3, à l’Hôtel de la Marine. Plus de détails sur www.thealthanicollection.com.

Pour en savoir plus sur la Collection Al Thani, (re)découvrez notre Entretien avec Amin Jaffer.