TRÉSOR DE TABLES # 02

🇫🇷

Fig. 1 : Surtout de table à huit bras de lumière
Marseille, fabrique Joseph Fauchier, vers 1755-1765
Faïence stannifère, décor de grand feu monochrome en camaïeu ocre et jaune
Marseille, Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, inv. 1988.6.1
© Ville de Marseille

Note : 5 sur 5.

Texte : Marie-Josée Linou, conservatrice en chef du patrimoine
Directrice du pôle arts décoratifs des musées de Marseille
Château Borély – Musée Grobet-Labadié

La grande table de la salle à manger du Château Borély présente un service en faïence de grand feu produit par la manufacture Fauchier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (voir fig. 2 et 3). Elle est ornée en son centre d’un surtout de table à huit bras de lumière (fig. 1). Cette pièce rare témoigne du talent du faïencier marseillais Joseph Fauchier. Composé d’un plateau d’où partent quatre bras de lumière et d’une coupe, elle-même agrémentée de quatre bougeoirs, ce surtout de table est une parfaite illustration de l’art de la table et du service à la française.

D’abord réalisés en métal précieux, les surtouts de table font leur apparition à la cour de Louis XIV, dans les années 1697-1700. Disposés au centre de la table à des fins décoratives, ils s’accompagnaient d’objets fonctionnels tels que des salières, saupoudreuses, boîtes à épices, huiliers et autres vinaigriers. Les orfèvres et les ornemanistes ont accordé, au fil du temps, une importance croissante au décor, souvent sculptural et pittoresque, au détriment de la fonction initiale. La grande innovation du XVIIIe siècle fut l’apparition de surtouts réalisés en faïence puis en porcelaine, afin de répondre aux moyens d’une clientèle plus modeste.

Le jeune Joseph Fauchier (1687-1751), dit Joseph I, débute sa formation de faïencier dès 1705 avec Antoine Clérissy à Saint-Jean-du-Désert, à l’est de Marseille, avant d’être recruté par Anne Clérissy-Héraud en 1709. Au décès de celle-ci, il devient l’associé de sa fille Madeleine Héraud-Leroy qui reprend la direction de la fabrique jusqu’en 1728 ou 1732, année au cours de laquelle il achète un terrain pour y bâtir sa propre manufacture. Désormais à son compte, installé dans le bourg Saint-Lazare, à proximité de l’actuelle rue Fauchier, Joseph ne cesse de prospérer et occupe des fonctions importantes au sein de sa corporation. Son neveu et héritier, Joseph II (1720-1789), lui succède en 1738. Reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Marseille en 1778, il va changer l’esprit des productions de la manufacture et en garantir la prospérité pendant près de 40 ans.

Autour des années 1750, Joseph diversifie ses productions et introduit de nouveaux types de décors à la mode comme ces saynètes historiées traitées dans un camaïeu jaune sur des pièces de vaisselle que la manufacture produit désormais en grand nombre. Suivant le goût de l’époque, le faïencier s’inspire aussi bien de la littérature à succès (Don Quichotte de Cervantes) que de thématiques encyclopédiques, religieuses (Ancien Testament) ou mythologiques (divinités et autres héros gréco-romains). Les assiettes et plats Fauchier s’ornent aussi de sujets ludiques comme les « Jeux de l’Enfance » ou de scènes illustrant la vie quotidienne ou pastorale, à travers des compositions peuplées de figures paysannes ou de gentilshommes galamment accompagnés. Les plaisirs du jardinage côtoient les traditionnelles images de chasse (au faucon) et les travaux de la vie campagnarde, comme cette représentation de l’élevage des vers à soie, à placer sans doute dans le sillage de l’Encyclopédie et de la Description des Arts et métiers. Ces scènes historiées, souvent cernées par un médaillon « rocaille » placé au centre du bassin, s’inspirent généralement de gravures contemporaines, transposées plus ou moins fidèlement par les faïenciers.

Apparu au début du XVIIIe siècle, le style Rocaille connaît un grand succès tout au long du règne de Louis XV (1715-1774). En réaction à la symétrie et à la rigueur classique jusqu’alors recherchées, les œuvres de style Rocaille se distinguent par la prédominance des lignes courbes et des arabesques, par le foisonnement d’ornements inspirés de la nature (motifs de fleurs et de feuillages, coquillages et roches aux formes alambiquées…) et des décors extrême-orientaux, alors très en vogue. Les recueils de modèles d’ornements ont facilité la diffusion du style Rocaille dont se sont emparés artisans, ébénistes, orfèvres, ornemanistes et décorateurs comme Jean Pillement, Nicolas Boucher, Nicolas Pineau ou Juste-Aurèle Meissonnier.

Fig. 2 : Grande salle à manger du Château Borély © Ville de Marseille

Fig 3. : Service Fauchier dans la Grande salle à manger du Château Borély © Ville de Marseille